22 décembre 2008

PIAZZA FONTANA

Un exemple de manipulation du terrorisme par l’État

Attentat meurtrier en Italie à Milan le 12 décembre 1969

http://mai68.org/ag/1514.htm
http://cronstadt.org/ag/1514.htm
http://kalachnikov.org/ag/1514.htm

    Le Figaro ou la compassion pour les bourreaux
    http://bellaciao.org/fr/spip.php?article76598

    Tragique Figaro

    de Stefano Palombari

    Dans un article titré Tragique Italie, consacré au livre Sortir de la nuit. Une histoire des années de plomb de Mario Calabresi, paru dans le Figaro du 18 décembre 2008, Jacques de Saint-Victor nous livre une interprétation assez osée de l’histoire de l’Italie des années 60/70. Une vision où les victimes deviennent des bourreaux et vice-versa. L’auteur du livre, Mario Calabresi, qui est correspondant à New York pour le quotidien la Repubblica, est le fils de Luigi Calabresi, un commissaire de police tué en 1972. Au terme d’un procès très contesté, la justice italienne a désigné des membres de Lotta Continua, un groupe d’extrême gauche actif dans les années 70, comme les coupables de cet homicide.

    Qu’un fils veuille réhabiliter la mémoire de son père, je trouve cela assez compréhensible mais qu’un journaliste français en profite pour donner sa version berlusconienne de ses années là, c’est inacceptable.

    Mais venons aux faits. Au lendemain du massacre de la Piazza Fontana, le 12 décembre 1969, la police décide de s’attaquer aux anarchistes. Pourquoi ? Le journaliste du Figaro ne se pose même pas la question, peut-être que pour lui c’est une évidence. L’histoire, la vraie, nous dévoilera qu’en réalité c’était un massacre fasciste, avec la complicité des services secrets. Bref, le commissaire Calabresi, chargé de l’enquête, arrête plusieurs anarchistes, dont Pietro Valpreda, un danseur, et Giuseppe Pinelli, un cheminot. Le premier sera désigné comme « le monstre », le coupable, par la plupart des journaux italiens, en l’absence totale de preuve et en dépit d’un alibi en béton. Il restera en prison pendant trois ans. Pour l’accuser, on a même eu recours à un sosie, le néo-fasciste sicilien Antonino Sottosanti, qui se serait montré dans les environs de la Piazza Fontana. Le témoignage de plusieurs membres de la droite extrémiste ont montré qu’il s’agissait d’une énorme manipulation, un complot pour faire retomber la faute de l’attentat sur le milieu anarchiste. Entre-temps, le 15 décembre 1969, au bout de trois jours d’interrogatoire, alors que les termes de la garde-à-vue étaient expirés depuis longtemps, Giuseppe Pinelli tombe par la fenêtre du bureau du commissaire Calabresi et meurt.

    Sur la mort de Pinelli il y a eu plusieurs versions et l’enquête officielle parle d’un malaise. C’est quand même étrange, car, en général, lorsqu’on se sent mal, on tombe par terre et pas par la fenêtre. Et puis, pourquoi il se serait senti mal ? Peut-être à cause des trois jours d’interrogatoire (ce qui, je le rappelle, était tout à fait illégal) dans le froid, sans manger grand-chose. Mais bon, tout ça ne semble guère intéresser notre journaliste.

    Mais revenons aux faits. La première version donnée par le commissaire Calabresi est le suicide. D’après l’officier de police, Giuseppe Pinelli se serait jeté par la fenêtre suite un raptus suicide. Cette version se révèle tout de suite fausse. Pourquoi donc fournir une fausse version si on n’a rien à cacher ?

    L’opinion publique se mobilise pour dénoncer ce crime qui, comme beaucoup d’autres dont celui de la Piazza Fontana, restera impuni. Un innocent balancé par la fenêtre lors d’un interrogatoire ce n’est pas normal dans un État qui se veut de droit. Dans l’hebdomadaire L’Espresso du 13 juin 1971, des intellectuels, réalisateurs, écrivains célèbres signent un papier qui désigne clairement le commissaire Calabresi comme le responsable de la mort de Pinelli. Dario Fo, prix Nobel de littérature, consacrera à Pinelli une pièce, Mort accidentelle d’un anarchiste. Mais rien n’y fait, le commissaire continue de faire son boulot tranquillement.

    Sur la mort du Commissaire Calabresi, tué le 17 mai 1972, l’issue officielle est aussi très controversée. Les membres de Lotta Continua, Adriano Sofri, Ovidio Bompressi et Giorgio Pietrostefani, sont condamnés en 1995, 23 ans après l’assassinat, sur la base du seul témoignage du repenti Leonardo Marino. Un coup d’œil rapide aux actes du procès permet de remarquer pas mal d’éléments très intéressants. Deux attirent plus particulièrement notre attention : la version de Marino change très souvent, à l’instar de sa situation financière. Avant le procès, il était fauché et plein de dettes tandis qu’après sa « repentance », survenue soudainement 16 ans après les faits, il se retrouve avec un pécule et toutes ses dettes effacées. D’où vient cet argent ? Apparemment, ce n’est pas le genre de questions qui intéressent le Figaro.

    Un autre élément troublant : lorsque le commissaire Calabresi a été tué, il n’enquêtait plus du tout sur l’extrême gauche mais sur un trafic d’armes qui voyait des hommes d’État impliqués. Le dossier de cette enquête n’a jamais été retrouvé. Un mystère de plus.

    Mais la cerise sur le gâteau de cet article du Figaro est la chute « Lecture à conseiller à tous les défenseurs de Mme Petrella et de M. Battisti. » .

    Qu’est-ce qu’ils viennent faire là Marina Petrella et Cesare Battisti ?

    On a l’impression que notre journaliste mélange un peu tout.

        Signé : Stefano Palombari
        lundi 22 décembre 2008

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REMARQUE 1 de do :

Je tiens à corriger ici une erreur classique faite par de nombreuses personnes qui tentent d’interprêter les événements de la Piazza Fontana.

Voici un court extrait de l'article ci-dessus où apparaît cette erreur :

« en réalité c’était un massacre fasciste, avec la complicité des services secrets »

Et je réponds : non, c’est exactement l’inverse !

En réalité, c’est les Services Secrets italiens qui ont commis cet attentat en se servant de fascistes comme hommes de mains.

C’est pas pareil et ça prend un tout autre sens qu’il faut bien comprendre à défaut de passer à côté de la vérité.

Le but de l’État italien, en utilisant à la Piazza Fontana la technique classique de la manipulation du terrorisme, était de stopper net le mai 68 italien qui avait lieu en 1969. Cela a malheureusement très bien réussi.

Mais on ne peut pas avoir la pleine compréhension de ce fait si on dit que c’est seulement un attentat fasciste commis avec la complicité des Services Secrets italiens : les services secrets n’étaient pas de simples complices, ils étaient les commanditaires, les maîtres d’oeuvre ! C’est pas du tout pareil et dans la compréhension historique de cet événement, ça prend un tout autre sens.

Les services secrets italiens ont utilisé des hommes de mains n’appartenant en rien au milieu des Services Secrets afin que la vérité ait du mal à se faire jour, afin que les hommes de mains servent de boucs-émissaires. À la Piazza Fontana, ils ont utilisé des fascistes, mais ils auraient très bien pu utiliser des hommes de mains provenant d’un autre milieu ; par exemple, ils ont utilisé les Brigades Rouges pour l’enlèvement d’Aldo-Moro.

L’utilisation par les Services Secrets d’hommes de mains provenant d’un milieu autre que celui des Services Secrets pour accomplir de basses oeuvres afin que ces hommes de main servent ensuite de filtres pour retarder l’apparition de la vérité est très classique. Par exemple, pour l’assassinat de Ben Barka à Paris, les Services Secrets français avaient utilisé des hommes de mains provenant du milieu (de la mafia).

Note de do : depuis que j'ai fait ce commentaire sur Bellaciao, l'article a été corrigé en fonction de ma remarque.

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REMARQUE 2 de do :

On m'a posé la question : « la manière dont tu expliques les choses à la fin laisse penser que en gros ils "paient" une faction et qu’elle fait le boulot. Évidemment ce n’est pas ainsi que ça se passe. »

Voici ma réponse :

Salut,

Il est bien évident, par exemple, que les membres des Brigades Rouges n’ont pas été achetés (à propos d’Aldo Moro) ! mais je n’en dirais pas autant pour les membres de la Mafia à propos de l’enlèvement et de la mort de Ben Barka (je ne sais pas si on a directement payé ces gens de la Mafia en argent, ou si on leur a permis, et peut-être indiqué, un ou plusieurs casses comme la police le fait habituellement pour rémunérer ses indics (cliquable), ou si pour l’affaire Ben Barka la rémunération de la Mafia a pris une autre forme.)

En gros : ça dépend des fois. Les Services Secrets font ce qui leur semble le mieux selon la situation.

Pour plus de précisions, visite donc ce site où j’ai moi-même appris pas mal de trucs :

http://members.tripod.com/hlv-vlr

Extrait :

« Un groupe terroriste est forcément clandestin. La prudence le fait s’organiser en petites cellules bien séparées les unes des autres, où seul le chef a un contact avec la hiérarchie. Un groupe terroriste est donc fortement hiérarchisé, reproduisant en cela une des choses que je reproche à cette société : l’existence des chefs et du pouvoir. Chacun de ses membres a donc pour devoir l’obéissance absolue, sous prétexte de servir la "cause". Néanmoins, un groupe terroriste cherche à recruter. Les agents des services secrets peuvent donc facilement l’infiltrer en faisant semblant d’être des sympatisants (avant ou de préférence après avoir fait un "coup" spectaculaire avec la complicité des chefs de la police pour ne pas se faire pincer).

« Des agents spéciaux infiltrèrent les Brigades Rouges italiennes. Puisque le pouvoir commande aussi bien les diverses polices que les services secrets, ces agents spéciaux purent facilement faire des coups d’éclat sans se faire coincer. Ils acquirent ainsi une bonne réputation parmi les B.R. et purent monter dans la hiérarchie. À force d’améliorer leur image chez ces terroristes en faisant de nouveaux coups d’éclat, ils finirent par arriver, dans la hiérarchie des B.R., juste au-dessous de ses chefs historiques. Ils ne purent les détroner avec cette méthode, mais ils avaient toute leur confiance. À l’occasion d’un coup monté avec ces chefs, ils les firent tomber. Une fois ceux-ci en prison, les agents secrets furent chefs des B.R.. C’est à dire que depuis cette époque, les B.R. ne sont plus qu’un appendice gratuit et obéissant des services secrets italiens.

« Cette méthode que je viens de décrire est tellement facile à utiliser pour les services secrets que vous ne verrez certainement pas pourquoi ils s’en seraient privés. Cependant, si vous avez des doutes, lisez "Du terrorisme et de l’état" de Gianfranco Sanguinetti (distribution : "Le fin mot de l’histoire" ; B.P.274, 75866 Paris cedex 18 ; 50 Francs). Ce livre explique comment le grand spectacle de l’enlèvement d’Aldo Moro tua le printemps italien de 1978.

« Cette technique ayant réussi à la perfection en Italie avec les B.R., elle fut ensuite utilisée en Allemagne avec la Fraction Armée Rouge »

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REMARQUE 3 de do :

Pour mieux comprendre l'attentat de la Piazza Fontana Lire à tout prix ceci :

http://mai68.org/ag/727.htm



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                      ou : http://kalachnikov.org
           ou : http://vlr.da.ru
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