La Silicon Valley se veut le chantre du revenu de base anti-pauvreté
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Benjamin Adler, San Francisco
Publié jeudi 3 mars 2016 à 06:59
Si la Suisse n’est pas le seul pays européen à envisager l’implémentation du revenu de base inconditionnel. Aux Etats-Unis, le concept est défendu par un avocat inattendu : la Silicon Valley
Dans l’écosystème de la Silicon Valley, la liberté est l’opium du peuple entrepreneurial. Ce n’est pas un hasard si c’est dans la baie de San Francisco que manœuvre Forward us, le groupe de pression politique fondé par Mark Zuckerberg, militant pour l’ouverture des frontières à l’immigration qualifiée. Et ce n’est pas non plus une surprise si c’est de la Silicon Valley que se construit l’utopie libertarienne du Seasteading [projet de création d’habitations sur la mer, en dehors des eaux territoriales, ndlr] promu par le milliardaire transhumaniste Peter Thiel.
Dans cet Etat dans l’Etat, idéaliste mais cruel, la bienveillance existe même chez ceux qui ont bâti leur fortune sur la méritocratie ultralibérale. Peter Diamandis, fondateur et président de la fondation X Prize et de la Singularity University, et le pape du capital-risque Mark Andreessen se sont déclarés favorables à l’instauration d’un revenu de base. C’est maintenant au tour d’un avocat inattendu de plaider pour cette cause, Sam Altman, le président du plus célèbre incubateur de la Silicon Valley, Y Combinator, qui a vu naître Reddit, Airbnb et Dropbox, entre autres.
« La naissance, une injustice qui entrave l’entreprise »
Attiré par le concept parce qu’il est « juste et parce que c’est la bonne chose à faire », Sam Altman va financer un projet expérimental étalé sur cinq ans afin de « voir quel impact cette mesure peut avoir sur la vie des gens, s’ils sauront en faire bonne utilisation pour créer et s’épanouir. » En quête d’un directeur de recherche chargé de superviser ce programme test qui versera de l’argent sans condition à un maximum de 300 personnes, Sam Altman n’a pas encore décidé du montant versé, ni de la zone géographique opérationnelle. Il envisage même de réaliser plusieurs expériences pour comparer les résultats en fonction des montants donnés aux heureux « cobayes ».
« Une des raisons pour lesquelles j’ai commencé à m’intéresser à ce revenu minimum pour tous, c’est parce qu’il y a trop de gens talentueux qui n’ont jamais pu créer une entreprise uniquement parce qu’ils n’ont pas été chanceux dans ce tirage au sort qu’est la naissance », se justifie Sam Altman, persuadé qu’un enseignement financier complémentaire « peut permettre de faire confiance aux gens sans avoir besoin de les fliquer via un Etat autoritaire comme le clament certains politiciens. »
Dans un texte servant d’offre d’emploi publié sur le blog de l’incubateur, le président d’Y Combinator développe : « Je pense vraiment qu’avec l’élimination des emplois traditionnels par la technologie et la création de nouvelles immenses fortunes, le revenu minimum sera dans le futur mis en œuvre à l’échelle nationale. Donc commencer maintenant à étudier ses effets et répondre aux questions théoriques, ce n’est pas trop tôt. Est-ce que ne plus vivre avec la peur d’avoir faim permet par exemple d’accomplir plus de choses et en faire profiter la société ? »
Inventer un nouveau système de co-création
En pleine campagne présidentielle américaine, l’inégalité sociale s’impose comme un débat incontournable. Il est notamment marqué par les appels de Donald Trump et de Bernie Sanders d’augmenter les impôts des plus grandes fortunes des Etats-Unis formant, d’après une étude de Princeton de 2014, une oligarchie qui contrôle le pays. Ironie du sort et signe révélateur d’un débat antagoniste, au moment où Sam Altman annonce son intention le cofondateur d’Y Combinator Paul Graham publie, lui, une tribune contradictoire sur son blog. Il ne défend pas le revenu minimum et condamne la vision manichéenne des pourfendeurs du fameux 1% d’ultra-riches dénoncé par le mouvement Occupy.
Pour l’écosystème de la Silicon Valley où se façonne le futur technologique de la planète, le défi est immense. Et va au-delà de l’instauration du revenu de base. « Il lui faut imaginer un nouveau système dans lequel les principes de co-création sont stimulés par chaque étape du développement et du marketing du produit. Elle ne peut plus se contenter d’imaginer, de créer, de tester et de garder les retours financiers dans un petit nombre de très gros comptes bancaires », analyse Jess Rimington, professeur à l’Université californienne de Stanford.