"En
tant qu’Israélien, concerné par son pays, je crois que l’avenir d’Israël dépend
de notre capacité à promouvoir une paix juste et durable avec nos voisins,
d’abord et principalement avec le peuple Palestinien. Étant donné les inégalités
énormes qui distinguent, dans tous les domaines, les deux sociétés, Israélienne
et Palestinienne, seule une intervention efficace en provenance de l’extérieur
peut empêcher Israël de continuer sa politique oppressive envers les Palestiniens.
Malgré la banalité de ces idées, la peur pétrifiante d’être stigmatisé comme
antisémite suffit à elle seule à empêcher pas mal d’entre nous d’agir efficacement
ou même de s’exprimer.
Le
besoin d’une action populaire urgente est souligné par la décision de la Cour
Internationale de Justice de La Haye contre le Mur de Séparation - manifestation
symbolique de l’idéologie sioniste - et la peur que les politiques cyniques
des états vont essayer d’ignorer la demande de millions de gens, partout dans
le monde, qui veulent que le mur soit démantelé - comme ils l’ont fait il
y a un an, en déclenchant la guerre en Irak.
Ce
document est le fruit d’un effort pour dévoiler et repousser l’exploitation
cynique de l’antisémitisme et de la culpabilité Européennes comme un outil
politique employé par Israël et les dirigeants Sionistes de la Diaspora Juive.
* * *
"Les antisémites deviendront nos amis les plus loyaux,
les nations antisémites nos alliées". (Le journal intime de Theodor Herzl).
* * *
Au moment où s’achèvent ces lignes il y a en France environ cent
émissaires en provenance d’Israël. Leur tâche est de convaincre quelques 30
000 Juifs Français de faire "Aliyah" (en hébreu, "s’élever", immigrer en Israël).
Leur message est simple et en même temps assez effrayant : "Partez de
la France dès maintenant et venez à votre vraie patrie - Israël. La France
n’est plus un endroit sûr pour les Juifs. Il faut que les Juifs n’oublient
jamais ."Ce message s’harmonise très bien avec le venin antisémitique :
"Juifs, partez de notre pays et allez chez vous, en Israël. Après tout, c’était
pour ça que nous vous avions aidés à créer Israël". Voilà en bref comment
l’antisémitisme peut être l’ennemi acharné du Juif et, en même temps, un puissant
allié du Sioniste. Ce point de vue peut provoquer une confusion parce que
bien des gens considèrent les mots "Sioniste", "Juif" et même "Israélien"
presque comme des synonymes. A vrai dire, il y a rien de surprenant dans cette
confusion puisque les dirigeants Sionistes, les hommes politiques Israéliens
et les communautés Juives, partout dans le monde , participent tous à l’effacement
des distinctions entre ces termes. Et chacun d’entre eux a assurément ses
propres raisons pour promouvoir cette confusion.
Le Mouvement Sioniste :
C’était grâce à l’identification entre le mouvement Sioniste et
le peuple Juif que ce mouvement nationaliste avait obtenu la légitimité tellement
nécessaire à ses débuts. Sans l’image de marque "Juif", le monde n’aurait
très probablement pas accepté une idéologie nationaliste fondée sur le remplacement
de la population Palestinienne indigène par les nouveaux venus en provenance
d’Europe.
Israël :
Cette
confusion est due en majeure partie à Israël, et c’est Israël qui en tire
le meilleur parti. Voici quelques moyens par lesquels Israël contribue à l’ambiguïté
sur la question d’identité :
L’élément
le plus manifeste est la définition d’Israël comme état "Juif-Démocratique".
La contradiction inhérente à cette définition (état Juif - qui appartient
au peuple Juif ; état démocratique - qui appartient à chacun de ses citoyens)
reste à résoudre pour Israël. Un fait ignoré par bien des gens, c’est que
la nationalité "Juive" est reconnue par Israël, mais pas la nationalité Israélienne.
Sur ma carte d’identité, ma nationalité (par opposition à ma citoyenneté)
est enregistrée comme Juive, pas comme Israélienne. La nationalité des citoyens
non-Juifs d’Israël est définie comme Arabe, Russe, Turque et ainsi de suite,
mais la nationalité Israélienne n’existe pas. Beaucoup d’Israéliens, Juifs
et Arabes, la plupart d’entre eux militants pour la paix, ont demandé à plusieurs
reprises que l’état reconnaisse la nationalité Israélienne. Encore une fois,
le 23 mai 2004, la Cour Suprême d’Israël s’est prononcée défavorablement.
Se définir
comme un état Juif donne à Israël un prétexte pour une discrimination contre
les citoyens non-Juifs. Cette discrimination est habituelle dans la majeure
partie de la vie quotidienne, comme on le verra plus tard. L’ambiguïté qui
entoure la question d’identité ne s’arrête pas sur le plan légal.
La distinction
entre les termes Israélien et Juif est souvent effacée dans le discours public
et politique en Israël, surtout à droite de l’éventail politique. Les gens
ordinaires et les hommes politiques partagent une rhétorique qui permet de
dire "les Juifs peuvent s’installer partout sur ce territoire", ou même "les
Arabes nous haïssent parce que nous sommes Juifs", etc, etc. Par cet effacement
terminologique, Israël dit en réalité que le conflit Israélo-Palestinien n’est
pas un conflit national/politique, entre Israéliens et Palestiniens, susceptible
d’être résolu par des moyens politiques, mais un conflit ethno-religieux entre
Juifs et Arabes/Musulmans...
Le journaliste
Israélien Haim Hanegbi disait de cette politique : « Où
que se trouvent un Juif et un Arabe, une frontière se dresse entre eux. »
Evidemment c’est
un concept extrêmement dangereux qu’il faut absolument rejeter parce qu’il
nous emmène tous vers le "Clash des Civilisations" aussi redoutable qu’insensé.
La Diaspora Juive :
Si
la participation du mouvement Sioniste et d’Israël dans cette confusion est
cynique, celle de la Diaspora Juive est plutôt tragique. La Diaspora Juive
a été profondément traumatisée par l’Holocauste. Un tiers du peuple Juif a
péri, ainsi que leur culture, leurs traditions, même leur langue.
Un
fort sentiment contre le Sionisme - une opposition avec des racines religieuses
et culturelles - s’est transformé en un soutien sans réserve, non seulement
pour le Sionisme mais aussi pour sa manifestation physique - l’état d’Israël.
Dans l’esprit collectif et l’identité des Juifs, le "Nouveau Juif" Israélien-Sioniste
- grand, fort et fier - remplaçait le Juif errant, faible et pâle, qui avait
accepté son destin sans lutter. Par Israël, les Juifs pouvaient regagner leur
fierté, leur confiance. Avec la puissance et la protection formidable de l’armée
Israélienne, le Juif était dorénavant libéré de sa dépendance sur une Europe
perfide. Cette identification, cette loyauté, cette gratitude même de la Diaspora
Juive envers Israël l’amènent souvent à un soutien aveugle et sans nuance
de la totalité de la politique Israélienne, en dépit de ses directions...
* * *
Cet
effacement d’identités est la pierre angulaire d’une stratégie Israélienne
où le démon de l’antisémitisme est utilisé pour cacher une politique oppressive.
Comme
les images de cars éventrés dans des attentats ont suscité de la compassion
pour Israël et les souffrances de son peuple, de la même façon les images
des bulldozers en train de déraciner des milliers d’oliviers ou de détruire
des centaines de maisons ont provoqué une vague de répugnance contre Israël,
partout dans le monde. L’identité floue et déroutante de l’Israélien, alliée
à une forte charge émotionnelle, ont provoqué une réaction diffuse de colère
et de critique. Parmi les cibles des attaques qui en résultaient se trouvaient
les communautés Juives et l’idéologie Sioniste. Mais la plupart des critiques
visaient directement Israël et sa politique oppressive. Les propagandistes
Israéliens ont étiqueté cette attaque diffuse "le nouvel antisémitisme". Les
dirigeants de la Diaspora Juive ont réagi à ces attaques avec la peur instinctive
due à des siècles de persécution. Plutôt que de scruter de près et honnêtement
les évènements et leurs causes, ils ont paniqué en criant "antisémitisme",
sans réfléchir que cette nouvelle vague d’antisémitisme était étroitement
liée au conflit Israélo- Palestinien et qu’il fallait chercher le remède dans
le contexte de ce conflit. Israël a rapidement vu les énormes possibilités
présentées par ce bouclier "antisémite" et, plutôt que de s’occuper de l’occupation,
a choisi de se cacher derrière cette identité Juive ambiguë et d’enflammer
davantage la panique Juive au sujet de l’antisémitisme. Qu’il s’agisse de
la profanation d’un cimetière Juif à Rome, ou de critiquer la destruction
des foyers Palestiniens, une agression contre un Rabbin à Paris, ou de dénoncer
les assassinats extra-juridiques Israéliens - Tous les gestes et toutes les
déclarations sont confondues sous l’étiquette "antisémitisme".
Les
autorités Israéliennes ont récemment publié une plaquette intitulée "Comment
combattre l’antisémitisme", où se trouvent les "munitions" pour la guerre
Israélienne contre l’antisémitisme. Selon le texte, l’antisémitisme présente
quatre traits distinctifs :
1.
Démonisation d’Israël et du peuple Juif.
2. Utilisation de thèmes religieux de haine contre Israël.
3. Doubles mesures internationales.
4. Rejet du droit d’Israël d’exister.
Avant
d’analyser chaque argument, notons comment le texte utilise les termes "Juif"
et "Israélien", presque comme des synonymes.
La démonisation d’Israël et du peuple Juif.
Une
attaque contre Israël est tout autre qu’une attaque contre le peuple Juif.
Alors qu’Israël, comme tout autre état, mérite d’être critiqué pour ses méfaits,
le peuple Juif ne possède pas une politique commune. Une attaque contre le
peuple Juif vise donc leur identité, pas leurs propres actions. Les comparaisons
entre Israël et le Nazisme, ou bien entre les soldats Israéliens et les Nazis,
peuvent être considérées comme une démonisation d’Israël seulement si les
Nazis sont regardés comme des démons.
L’accusation
est clairement antinazie et non pas antisémitique. De telles comparaisons,
qui sont politiquement stupides, sont des accusations immodérées qui devraient
être comprises dans le sens suivant : "Vous, qui étiez jadis victimes
de la bête Nazie, êtes en train d’imiter la bête." Jeshaya Leibowitz, le célèbre
philosophe religieux Israélien, qui nous a donné l’expression "Judéo-Nazi",
était loin d’être un antisémite.
L’utilisation des thèmes religieux de haine contre
Israël.
On
a en grande partie répondu à cet argument dans la section précédente. Je voudrais
souligner encore une fois qu’un état ne peut s’en tenir à une idéologie ethno-religieuse,
et, en même temps, se plaindre d’être victime des thèmes religieux de haine.
Israël est coupable de plusieurs formes de discrimination sur le plan ethnique,
envers ses propres citoyens Palestiniens et particulièrement à l’égard des
3,5 millions de Palestiniens sous occupation qui ne bénéficient même pas des
droits civils les plus fondamentaux.
Pour
donner quelques exemples : à cause d’une politique à long terme de confiscation
des terres, les Palestiniens Israéliens possèdent seulement 3% de terre, tandis
qu’ils représentent 20% de la population. Des milliers de salles de classes
font défaut dans le système d’éducation Arabe, indépendant bien sûr, de celui
des Juifs. Depuis la création d’Israël, pas un seul nouveau village Arabe
n’a été construit pour pourvoir à l’accroissement de la population tandis
que des centaines de kibboutzim, villes et villages ont été construits exclusivement
pour les Juifs. A vrai dire, sept bidonvilles ont été construits - pour rassembler
les Bédouins nomades afin de les empêcher de poursuivre leur vie traditionnelle.
Doubles mesures internationales
Il
y a sûrement des doubles mesures internationales dans le cas d’Israël. Mais
ces doubles mesures, en fait , sont globalement en faveur d’Israël. Si ce
n’était pas le cas, en premier lieu Israël n’aurait probablement jamais été
créé, et n’aurait certainement pas profité du puissant soutien des États-
Unis. Ironiquement , une partie importante de ces doubles mesures en faveur
d’Israël est fortement contaminée par l’antisémitisme , comme c’est le cas
avec le soutien de l’extrême - droite Protestante des États - Unis.
Aucun
autre état ne serait sorti indemne de plus de 180 infractions des résolutions
de l’ONU, résolutions exécutoires du Conseil de Sécurité incluses. Cette situation
est due à la position privilégiée d’Israël comme "l’état Juif", qui jouit
des avantages fondés sur : soit la peur antisémite de la colère des "Anciens
de Sion", soit le désir d’obtenir leur soutien, soit à cause d’un sentiment
profond de culpabilité envers les Juifs. Quel que soit le cas, il est curieux
de noter comment Israël profite de ces doubles mesures tout en les critiquant.
Rejet du droit d’Israël d’exister.
Il
s’agit ici du quatrième attribut de l’expression antisémitique selon la plaquette
publiée par le gouvernement Israélien. Il faut d’abord se rappeler qu’en mars
2001, le monde Arabe entier - 22 états, dont l’Irak, ont proposé la paix et
la pleine reconnaissance à Israël, en échange de son retrait à la "Ligne Verte"
et de la création d’un état Palestinien. Israël n’a même pas pris la peine
de répondre, et s’est consacré au soutien du président Bush et de sa guerre
contre l’Irak.
Alors
que signifie vraiment cet argument ? L’argument est incompréhensible
si l’on n’ajoute pas les mots "comme un Etat Juif". Mais pourquoi les auteurs
de la plaquette ont-ils omis ces mots ? Probablement parce qu’il devient
de plus en plus difficile de défendre l’idée d’un état Juif sous sa forme
actuelle. Nombreux sont ceux qui souhaitent la transformation d’Israël en
un état multiculturel, démocratique et laïc, et bon nombre d’entre eux sont
Israéliens. Beaucoup d’entre nous croient qu’Israël ne peut pas maintenir
pour toujours l’identité contradictoire d’un Etat Juif et Démocratique. Nous
sommes convaincus que le monde interdépendant de demain ne peut tolérer l’existence
d’états fondés sur une supériorité ethnique et sur la discrimination ethnique
ou religieuse. Rangés contre l’état d’Israël sous sa forme d’état Juif-Sioniste,
se trouvent plusieurs groupes religieux Juifs,comme, par exemple Satmer et
Neturei Karta, qu’on ne peut qualifier d’ antisémites. Jews Not Zionist
Par
ailleurs : les Juifs de la Diaspora doivent se demander s’ils peuvent
soutenir un système politique qu’ils n’auraient jamais accepté chez eux. Combien
de Juifs accepteraient un état "Chrétien-Démocratique" dans lequel ils seraient
victimes de discrimination en tant que Juifs ? Combien de Juifs accepteraient
une "démocratie moderne" où l’achat des terres de l’état serait interdit aux
Juifs ?
Si Israël est vraiment inquiet au sujet de l’antisémitisme...
Voici
ce que je suggérerais qu’elle fasse :
- 1.
Déclarer que l’antisémitisme, ainsi que toute autre forme de racisme ou de
discrimination, est une maladie à l’échelle mondiale et ajouter qu’Israël
est prêt, dès maintenant, à arrêter toute pratique discriminatoire basée sur
la religion, l’origine ethnique ou le sexe.
- 2.
Déclarer que le conflit au Moyen- Orient n’est pas un conflit religieux-ethnique
entre Arabes/Musulmans et Juifs, mais un conflit national/politique, qui doit
être résolu par des négociations basées sur la loi internationale et non pas
selon la règle du plus puissant.
-
3. Commencer un processus immédiat de réconciliation vraie et profonde
avec le peuple Palestinien, dans un effort sérieux d’établir une paix juste
et durable entre les deux peuples.
- 4.
Commencer à construire une nouvelle vision de ponts entre des voisins plutôt
que des murs de Séparation. Israël a la possibilité unique et extraordinaire
de changer le courant mondial, d’éviter le Clash des Civilisations qu’elle
est actuellement en train de promouvoir et de le remplacer par un nouveau
modèle d’association et de générosité.
Dans
cette optique, les communautés Juives du monde entier, dont la plupart ont
profité des avantages des pays riches et démocratiques pendant des décennies,
ont un rôle crucial. C’est, en réalité, la meilleure aide que le monde Juif
puisse offrir à Israël et à lui-même."
Oren Medicks.