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Mort de Rémi Fraisse : les responsables sont à Matignon et place Beauveau

mercredi 6 juillet 2016, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 6 juillet 2016).

A Sivens, dans la nuit du 25 au 26 octobre 2014, la mort de Rémi Fraisse est le résultat d’une opération de gendarmerie toute différente de la version officielle. Mais les gendarmes n’ont pas agi spontanément : c’est toute une chaine de commandement qui est en cause, et qui remonte jusqu’à Paris.

À la lumière des éléments du dossier d’instruction, il n’est plus possible de nier les défaillances dans la version officielle présentée par les gendarmes sur la mort de Rémi Fraisse. D’abord sur la question du dispositif de maintien de l’ordre, avec l’existence d’une équipe fantôme au moment du décès du jeune homme.

L’étude minutieuse des 2.500 pages de l’enquête corrobore les témoignages des manifestants. Ils se recoupent pour attester la présence d’une équipe hors-zone, à gauche de la « zone de vie ». Ces mêmes manifestants subissent menaces et tentatives d’intimidation lorsqu’ils tentent de faire part de ces éléments aux enquêteurs. Un témoin est même mis officiellement sur écoute pendant quelques semaines. Quant à Rémi Fraisse, tout est mis en œuvre pour le faire passer pour un activiste violent et travestir l’image de sa famille qui serait « avide de vengeance ». Mais pourquoi les enquêteurs cherchent-ils tant à renverser l’accusation ?

À Sivens, les gendarmes mobiles doivent se coordonner à la fois avec les gendarmes locaux et avec les forces de police, notamment dans l’après-midi du 25 octobre. Toutes ces unités répondent à un commandement unique : il s’agit d’un groupement tactique de gendarmerie (GTG), supervisé par le commandant L. Celui-ci décide d’autoriser ou non l’emploi d’armes d’une intensité supérieure, comme les grenades offensives. Pourquoi un seul gendarme est-il accusé alors que la hiérarchie qui l’a autorisé à utiliser une grenade mortelle n’est pas inquiétée par la justice ? Les juges d’instruction chargées du dossier n’ont pas tranché la question, elles ont pour l’instant placé en mars dernier le maréchal des logis J. sous le statut de témoin assisté pour « homicide involontaire ». Cette décision pourrait aussi bien ouvrir la voie à un non-lieu qu’à la mise en cause de la chaîne de commandement. Mais les vrais responsables ne sont pas inquiétés.

Celui qui sait presque tout… exilé en Nouvelle-Calédonie

A Sivens, l’opération de maintien de l’ordre obéit, d’une part, à une autorité civile et, d’autre part, à la division locale de gendarmerie. Le Groupement tactique de gendarmerie déployé répond lui-même au commandant du Groupement de gendarmerie du Tarn, le lieutenant-colonel Sylvain Rénier. Celui-ci est présent durant la journée du 25 octobre, mais quitte les lieux à la tombée de la nuit et n’y revient qu’à partir de 3 heures du matin, après la mort de Rémi Fraisse.

Ce gradé, formé à l’école spéciale militaire de Saint-Cyr, est arrivé dans le Tarn en août 2014, avant le début des travaux du barrage. Selon une source proche de la gendarmerie, il aurait « mis la pression » sur les troupes locales pour « faire évacuer le plus vite possible les occupants de la ZAD ». Son arrivée correspond au pic de violences exercées par les forces de l’ordre sur les zadistes et leurs soutiens en septembre et en octobre. Particulièrement peu apprécié des gendarmes locaux, selon cette même source, « Sylvain Rénier a été pointé du doigt après la mort de Rémi Fraisse, mais n’a jamais été limogé. Cela aurait été perçu comme un constat d’échec ».

Le principal responsable reste le représentant de l’État dans le département du Tarn : le préfet Thierry Gentilhomme. Auparavant haut fonctionnaire au ministère de l’Intérieur, il débarque dans le Tarn à la fin août 2014. Le nouveau venu connait donc mal la situation.

Son directeur de cabinet, Yves Mathis, gère le dossier depuis le début. Il n’est donc pas étonnant de le retrouver en signature, par délégation du préfet, pour plusieurs demandes officielles d’envoi de forces mobiles du 10 octobre au 26 octobre, puis du 27 au 31 octobre. Quelques jours avant le décès de Rémi Fraisse, une rencontre est organisée entre la préfecture du Tarn, les députés Cécile Duflot et Noël Mamère, et plusieurs opposants locaux au projet. Un des participants, Ben Lefetey, porte parole du Collectif Testet, se souvient d’une scène surprenante : « Yves Mathis prend la parole pour annoncer que la préfecture soupçonne des convergences de mouvements sur la ZAD de Sivens. Lorsque je lui demande des précisions, il répond, en souriant : “On pense qu’il y a des convergences avec la mouvance islamiste.” » Une analyse fondée sur l’existence d’un lieu baptisé « Gazad », l’inscription de slogans de soutien à la cause palestinienne et l’emploi ponctuel d’expressions en arabe devant les charges policières. Mais, pour le témoin de cette scène, « Yves Mathis disait ça très sérieusement ». Devant les protestations des opposants et députés sur cet amalgame douteux, le préfet a précisé qu’« il ne s’agissait là que d’hypothèses ». L’anecdote pourrait prêter à sourire, mais elle traduit une conception biaisée de la part des autorités sur le mouvement d’occupation de Sivens.

La nuit du drame, il n’y a aucun représentant de l’État à Sivens. Yves Mathis, directeur de cabinet du préfet, gère les événements à distance, par téléphone. Dans son rapport, le lieutenant-colonel Rénier indique qu’à 21h31, le samedi, le commandant L., qui dirige les opérations ce soir-là, a informé Yves Mathis. Celui-ci « évoque la possibilité d’un désengagement si la sécurité des gendarmes est en cause. Le commandant de groupement demande un ordre écrit par SMS, qu’il ne recevra jamais ». Sur le rôle du préfet ou de son directeur de cabinet, rien d’autre ne figure dans le dossier. Ils ont tous deux toujours refusé de s’exprimer. Pis encore, Yves Mathis a depuis été muté comme directeur de cabinet du délégué de gouvernement, en Nouvelle-Calédonie. Loin, très loin des juges et de l’enquête sur la mort de Rémi Fraisse, dans laquelle, comme son supérieur hiérarchique, il n’a jamais été entendu.

A Paris, en tout cas, on suit avec la plus grande attention les événements durant weekend tragique. Le général Denis Favier, directeur de la Direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) envoie plusieurs messages aux responsables présents à Sivens. Notamment, ce texto déjà évoqué dans le premier volet de notre enquête : « On est attendu sur les interpellations. » Divers médias ont brossé un portrait flatteur de ce militaire « proche de ses hommes », qui n’ont jamais dit autre chose que le plus grand bien de ce « héros de la gendarmerie ». Il a aussi été conseiller en gendarmerie de juin 2012 à avril 2013 auprès de Manuel Valls, alors ministre de l’Intérieur. Le général Favier a été propulsé récemment « responsable de la sûreté » au sein du groupe Total.

Mais revenons à l’automne 2014. Denis Favier est encore à la tête de la Direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) et rend des comptes à Bernard Cazeneuve, qui a remplacé Manuel Valls au ministère de l’Intérieur. Devenu Premier ministre, Manuel Valls déclare la guerre aux ZAD. Dans sa ligne de mire : l’occupation de Notre-Dame-des-Landes, qualifiée de « kyste ». Pas question pour lui de voir une seconde ZAD se développer dans le sud-ouest de la France. De plus, Valls a toujours soutenu le projet de barrage de Sivens, notamment lors d’un discours emblématique le 6 septembre 2014 devant le congrès des Jeunes agriculteurs en Gironde, où il affirme avoir « tenu bon au barrage de Sivens. […] Ma politique est de débloquer ce pays ». La justice entendra-t-elle les responsables ?

Dès lors, une question se pose : le maintien de l’ordre à Sivens a-t-il été directement piloté par le Premier ministre et ses proches, dont le directeur général de la gendarmerie nationale, en liaison avec le ministère de l’Intérieur ?

L’enquête sur la mort de Rémi Fraisse est loin d’être terminée. Malgré des mois d’instruction, toutes les réponses n’ont pas été livrées sur les faits qui ont conduit au décès d’un jeune homme venu participer à un rassemblement militant le 25 octobre 2014, dans le Tarn.

Vendredi 1er juillet, le tribunal administratif de Toulouse a rendu ses décisions sur le projet du barrage de Sivens. La justice a annulé trois arrêtés fondateurs dont la déclaration d’utilité publique. Les travaux engagés étaient donc totalement illégaux. Rémi Fraisse a été tué sur le lieu d’un projet de barrage illégal. Que fera la justice pénale ?

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