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Russie - 10 décembre 2011 - Les communistes remportent largement les élections

vendredi 9 décembre 2011, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 9 décembre 2011).

Les Russes ont dit au communisme « reviens, tout est pardonné ! » Et ils viennent effectivement de voter pour la restauration de l’Union Soviétique sous une forme ou une autre. C’est pour camoufler cela que le pouvoir a trafiqué les résultats des élections russes !

La leçon des élections russes

Par Israël Shamir

6 décembre 2011

Il fait inhabituellement bon à Moscou : la température refuse de descendre en dessous de zéro. Au lieu de cela il fait humide et sombre. Le soleil se lève tôt et se couche tard. Pour rendre les choses encore pires, le président Medvedev a décidé de garder la Russie sous les lumières du jour durant l’hiver pour faire des économies. Pour contrebalancer cette décision stupide, les illuminations de Noël ont commencé un mois avant la date habituelle afin d’encourager les gens à voter dans le bon sens. Maintenant elles éclairent devant les caméras du monde entier les blindés de la police anti-émeute envoyée pour calmer mêmes électeurs.

Les élections parlementaires avaient été jugées d’avance comme un exercice vain et futile sans importance pratique. « Peu importe comment vous votez, ce qui importe c’est comment eux comptent » disaient les mandarins. Mais le résultat a été assez impressionnant et il annonce de grands changements. Les Russes ont dit au communisme « reviens, tout est pardonné ! » Et ils viennent effectivement de voter pour la restauration de l’Union Soviétique sous une forme ou une autre. Peut-être que ce vote ne sera pas pris en compte, mais à présent nous savons que les gens sont déçus par le capitalisme, par le rang moindre de la Russie postsoviétique dans le monde et par le mariage du business avec le gouvernement.

S’il a fallu aux communistes soixante-dix ans pour démontrer au monde que leurs idées étaient fausses, les capitalistes ont mis seulement vingt ans pour parvenir au même résultat, a fait remarquer Maxim Kantor, un peintre éminent, écrivain et penseur russe moderne. Le vingtième anniversaire de la restauration du capitalisme que les Russes ont célébré cette année n’a pas été une occasion de réjouissances. Les Russes ont fortement regretté la voie empruntée par leur pays en 1991, la tentative de coup d’état d’août 1991, qui tentait de préserver le communisme, a été remise à l’honneur, tandis que les braves garçons de Harvard qui avaient été à l’initiative des réformes sont vus comme des criminels. Eltsine et Gorbatchev sont out, Staline est in.

Malgré la falsification des résultats aux élections (voir ci-dessous), les communistes (CPRF et leur parti Juste Russie ou SR) ont largement augmenté leur part et peuvent être considérés comme les vrais vainqueurs. Le parti au pouvoir Russie Unie (ER) a subi de lourdes pertes. C’est une vague confédération d’ambitieux qui pourrait facilement s’écrouler. En revanche, les communistes pourraient parfaitement constituer un gouvernement, si cela devait leur être demandé par le président.

Les pro-capitalistes et les partis de droite ont été décimés par le vote. La Cause Droite Néolibérale (PD), le parti préféré de ceux qui croient au marché, languit avec moins d’un pour cent d’intentions de vote. Le parti libéral Yabloko pro-occidental (au logo en forme de pomme, qualifié avec humour de Parti de Steve Jobs) n’est pas parvenu au seuil électoral. Beaucoup de Russes pensent que, au delà de la fraude, les communistes ont réellement obtenu plus de 50% des voix tandis que l’ER en obtient de moins en moins. Les gens ont voté pour le communisme comme cela avait été prévu plusieurs mois auparavant par V. T. Tretyakov, un journaliste russe chevronné et éditorialiste en chef, durant une prise de parole face à un groupe de réflexion à Washington. Il avait prédit que dans le cadre d’élections justes et honnêtes les communistes seraient donnés vainqueurs et les libéraux disparaîtraient, et il avait raison. Si ce changement de sentiment ne trouve pas son expression dans l’action politique, les gens se sentiront trompés.

Ce virage vers le communisme prend place alors que la Russie restaure son héritage perdu :

  • Le gazoduc du nord connecte directement le gaz russe aux consommateurs européens, laissant la Pologne (et par procuration, les États-Unis) sans prise. Des gazoducs et oléoducs ont été construits en direction la Chine, ce qui permettra aux Russes de choisir leurs clients.
  • Les idées de Poutine concernant l’Union Eurasienne ont commencé à prendre forme, l’Ukraine se montre plus amicale, la crise de la Biélorussie est terminée, le Kazakhstan est fermement ancré.
  • Le porte-avions de la marine Russe vogue vers les côtes syriennes en faisant un rare étalage de puissance, tandis que l’ambassadeur du Qatar à Moscou a été invité à plier bagage parce que ce petit mais riche émirat dirige apparemment la campagne anti-syrienne.
  • Le mois dernier, le fabuleux théâtre du Bolchoï a été amoureusement et très chèrement restauré dans sa splendeur de jadis, toute de pourpre et or. L’opéra Ruslan et Ludmilla de Glinka (avec le merveilleux chanteur américain Charles Workman) a bénéficié d’une mise en scène avant-gardiste, ce qui veut dire que le théâtre ne deviendra pas une relique muséale mais produira un art résolument à jour.
  • Sochi est sur le point de devenir la station balnéaire mer-et-montagne la plus chère et la plus luxueuse jamais conçue pour les jeux olympiques d’hiver.
  • Moscou s’est embellie, des arbres de Noël de trente pieds de haut ont été placés en des lieux significatifs dans toute la ville, rendant l’obscurité de ses nuits nordiques presque supportable. Les parcs de la ville ont reçu des garanties de gros budgets, des patinoires ont été aménagées, même des fontaines qui tombaient en ruine depuis plus de vingt ans ont été reconstruites.
  • Mais le plus important des signes récents du relèvement de la Russie est apparu ce mois-ci : une relique sainte, la ceinture de la Vierge Marie, a été rapportée à Moscou depuis sa châsse au mont Athos sacré. Trois stupéfiants millions de moscovites l’ont vénérée, faisant la queue pendant vingt-quatre heures en moyenne dans des températures glaciales. C’était la réponse asymétrique des Russes aux Américains et leurs queues devant les centres commerciaux suite au vendredi noir.

La Russie affronte également beaucoup de problèmes. Elle a perdu vingt millions de vies dans la transition vers le capitalisme, ses villages sont désertés, l’exode des cerveaux a envoyé les meilleurs et les plus brillants outre-mer. La fuite des capitaux a saigné la Russie à blanc, et les poursuites judiciaires à l’encontre de chefs d’entreprise débouchent sur des firmes off-shore basées à Chypre. Escroqueries et extorsion de fonds sont partout, les infrastructures sont en ruine, la désindustrialisation a miné la classe ouvrière ; les terres agricoles ont été confisquées par les péculateurs, l’armée est démoralisée, l’armement est obsolète, et l’éducation est aussi mauvaise en Russie qu’ailleurs.

Les riches sont trop riches et 1% de la population détient l’essentiel de la richesse du pays. Cette richesse n’est pas légitime aux yeux de la population : le procès en cours de Berezovskiy contre Abramovich apporte des preuves légales que la fabuleuse richesse des nouveaux Russes vient de détournements de fond. Ce qu’il y a de pire c’est que le business douteux fait pleinement partie du gouvernement, les oligarques et les officiels du gouvernement se marient entre eux et vivent séparés de la hoi polloi, le bas peuple.

La population est assez mécontente de voir ce qu’ils considèrent comme un régime dictatorial, voire un régime d’occupation. Tandis que Poutine est perçu comme un dirigeant hostile par l’Occident, les Russes pensent qu’il est bien trop complaisant envers l’Occident, et que c’est une pièce maitresse du régime installé dans les années 90. Ils préfèreraient une position anti-impérialiste plus forte de toute façon.

Les élections pourraient n’avoir que de faibles incidences directes : la constitution russe a été écrite par Boris Eltsine après qu’il ait atomisé le parlement en 1993 et imposé sa propre loi (sous les applaudissements des médias occidentaux). La constitution permet au président d’ignorer le parlement, mais les résultats électoraux mettent en évidence les attentes différentes des votants.

Et comme si cela ne suffisait pas, une manifestation de dix mille citoyens est descendue dans les rues de Moscou, quelque chose d’inédit depuis 1993. Les manifestants protestaient contre la fraude immense qui fausse les résultats électoraux. Trois cent personnes ont été arrêtées dont le blogueur populiste et populaire Alexeï Navalny qui a crée le Parti des voleurs et des tricheurs pour répondre à Russie Unie. Le lendemain la police a dispersé une autre manifestation dans le centre.

Avec le Printemps Arabe en toile de fond, les autorités sont inquiètes. Les troupes ont été envoyées à Moscou. Même si on e s’attend pas à des émeutes dans l’immédiat, les autorités russes, réputées pour avoir la main lourde, ne se contenteraient jamais de quelques policiers s’ils peuvent envoyer toute une brigade, et ils ont donc déployé leur redoutable brigade Djerzinsky des forces spéciales.

Les élections ont-elles été falsifiées ? Des observateurs indépendants ont signalé de nombreuses irrégularités à Moscou, et c’est probablement pire ailleurs. Il semblerait que les militants du parti au pouvoir Russie Unie aient bourré les urnes et probablement détourné le résultat en leur faveur. Un sondage réalisé par l’ONG Golos à partir de quelques bureaux de vote où on n’avait pas signalé d’irrégularité prouve que les communistes l’emportaient largement tandis que Russie Unie s’écroulait dans les sondages. Sur internet on invoque des distorsions massives des résultats après le décompte des voix. Il est difficile d’extrapoler à partir de ces résultats moscovites à l’échelle de tout le pays, mais les Russes sont persuadés que les résultats ont été falsifiés. Et ils en ont assez de leurs dirigeants en Téflon.

. ER SR CPRF LDPR
Résultats officiels 49% 13% 19 % 11%
Estimation populaire 32% 17% 35% 11%

[Note : SR est un parti de gauche et CPFR ou KPRF est le parti communiste traditionnel]

Cela devrait fournir un prétexte pour une révolution, mais à ce jour les dirigeants communistes ne sont pas de la même trempe que leurs prédécesseurs. Ils ne demandent pas de recomptage et acceptent généralement leur score incertain. En 1996 les communistes avaient gagné les élections mais ils avaient accepté la défaite parce qu’ils avaient peur des hommes de main de Boris Eltsine, menés par l’impitoyable oligarque Berezovsky. Ils tiennent par dessus à éviter la guerre civile et il y a peu de chances que les superriches renoncent à leur butin et à leurs positions simplement parce que les gens ordinaires auraient voté ceci ou cela. Beaucoup de gens sont convaincus que les leaders communistes font partie du système, comme une sorte d’opposition loyale à Sa Majesté, à l’anglaise.

C’est l’opposition de droite qui insiste le plus pour dénoncer les manipulations électorales, malgré le fait que rien dans les sondages, indépendants ou non, n’indique qu’ils auraient pu être victorieux. De plus, cette opposition n’est pas réputée pour son amour pour la démocratie. La journaliste renommée de droite Julia Latynina a déjà appelé à en finir avec "la farce de la démocratie". Le peuple russe est trop pauvre, dit-elle, pour qu’on lui accorde le droit de vote, ils seraient capable de voter contre les meilleurs. Cette opinion a été publiée dans le célèbre journal d’opposition Novaya gazeta (dirigé par l’oligarque Lebedev, propriétaire du quotidien anglais The Independant). Pour la droite c’est juste l’occasion d’attaquer Poutine et son régime.

La droite est fortement anti-Poutine, contrairement aux communistes qui sont prêts à travailler avec lui. Peut-il donner un coup de barre et devenir Poutine 2, un président procommuniste qui restaurerait l’Union Soviétique et briserait le pouvoir des oligarques ? Il pourrait certainement adopter quelques slogans de la rhétorique communiste et utiliser leur soutien. A en juger par ses récentes affirmations au forum de Valdaï, il serait capable de faire virer la Russie à gauche, avec ou sans les communistes.

Mais la stabilité de son régime n’est pas certaine. Poutine devrait agir rapidement s’il veut surfer sur la vague du sentiment populaire, au lieu d’être balayé par celle-ci. Les blindés sont la dernière chose dont il ait besoin.

Traduction : Charlie Sablor

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