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Pierre Mauroy Pouvait-il éviter de faire de l’Europe un faux idéal de substitution ?

jeudi 13 juin 2013, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 13 juin 2013).

Les deux morts de Pierre Mauroy

http://www.politis.fr/spip.php?page=article&id_article=22522

Par Denis Sieffert - 13 juin 2013

Le personnel politique de cette gauche-là est nourri d’une tout autre culture, et le président socialiste de la Cour des comptes a désormais plus d’influence sur le parti que le Premier secrétaire.

La mort de Pierre Mauroy a donné lieu à un exercice dont certains médias raffolent : le micro-trottoir. Principale cible, les jeunes. « Savez-vous qui était Pierre Mauroy ? » Réponses généralement embarrassées : « Oui, enfin non… Mais ça me dit quelque chose… » La belle affaire ! Quand on a 20 ans en 2013, ne pas connaître le nom du premier Premier ministre de François Mitterrand n’est sûrement pas le comble de l’inculture. Est-on sûr que les jeunes de Mai 68 connaissaient les noms de Joseph Laniel ou de Félix Gaillard ? La postérité est sélective, ce n’est pas une découverte. Mais ce que la mémoire collective oublie, l’histoire doit le retenir. Et le nom de Pierre Mauroy restera au moins pour deux raisons : il aura été le dernier « dinosaure » socialiste, avant l’hégémonie des technocrates et des comptables, mais il aura aussi été, en 1983, l’homme d’une rupture dont on mesure aujourd’hui les effets. C’est le paradoxe de la carrière politique de l’ancien maire de Lille. Enfant du Front populaire, il a été le dernier à incarner la vraie tradition sociale-démocrate à la française. Du socialiste à l’ancienne, il avait l’art oratoire un rien désuet, lyrique et affectif. Son verbe, sa culture, ses références étaient enracinés dans l’histoire du mouvement ouvrier. Le fils d’instituteur du Nord aimait à évoquer la figure de Léo Lagrange, l’homme des loisirs ouvriers de 1936 et de l’éducation populaire.

Pierre Mauroy était un réformiste au sens vrai du mot, par opposition aux courants communistes et révolutionnaires. Et c’est en réformiste qu’il gouverne lorsqu’il arrive à Matignon en mai 1981, dans le sillage de François Mitterrand. Le bilan est spectaculaire : réduction du temps de travail, cinquième semaine de congés payés, augmentation de 10 % du Smic, droits des travailleurs dans l’entreprise, remboursement de l’IVG et, évidemment, retraite à 60 ans. Mais, deux ans plus tard, il est l’homme du choix libéral, ouvrant involontairement la porte aux technocrates et aux comptables. L’héritier de Léon Blum devient l’ancêtre de François Hollande. Car le tournant de la rigueur de l’été 1983, c’est lui. Cette cassure dans la tradition socialiste, il l’a incarnée et assumée. Bien plus que François Mitterrand, qui venait d’un autre horizon et dont l’itinéraire était aussi sinueux qu’indéchiffrable. Et c’est bien ce second Mauroy que François Hollande a évoqué avec insistance le 7 juin, depuis Tokyo, où il était en visite, saluant les « réformes courageuses » et « ce qu’on a appelé la rigueur ». Suivez son regard… Ce n’était plus Hollande qui rendait hommage à Mauroy, mais Mauroy qui rendait hommage à Hollande ! Évidemment, la question de savoir si Pierre Mauroy pouvait agir différemment nous est toujours posée aujourd’hui. Pouvait-il résister à la pression de la doxa européenne ? Pouvait-il éviter de faire de l’Europe un faux idéal de substitution ? François Hollande a donc beau jeu d’invoquer cette personnalité du mouvement socialiste pour justifier sa propre politique d’austérité. Mais il y a tout de même entre les deux une différence fondamentale. En 1983, on parlait de « la parenthèse de la rigueur ». Et on peut imaginer que Pierre Mauroy a été d’une certaine façon victime de son propre discours. Il a sans doute cru à la fameuse parenthèse qui ne tarderait pas à se refermer. Un mauvais moment à passer en quelque sorte.

Qui peut encore y croire aujourd’hui ? Qui ne voit que le personnel politique de cette gauche-là est nourri d’une tout autre culture, et que le président socialiste de la Cour des comptes a désormais infiniment plus d’influence sur les sphères dirigeantes du parti que le Premier secrétaire ? Mais Pierre Mauroy, lui, avait gardé de solides convictions. On en trouve la preuve dans sa dernière intervention au Sénat, le 8 octobre 2010. Nous étions alors en plein débat sur la réforme Sarkozy des retraites. Le vieux socialiste avait rappelé avec émotion que l’« on écrit l’histoire non seulement avec l’avenir des propositions, mais aussi avec le passé des revendications et le vécu de l’ensemble [des] travailleurs ». Avant de conclure : « Nous ne voulons pas abandonner la retraite à 60 ans. » Il est mort quelques jours avant que le débat resurgisse. Mais, cette fois – cruelle ironie du destin –, ce sont les socialistes qui sont à la manœuvre. Le rapport commandé à une énarque, Yannick Moreau, doit être remis ces jours-ci au gouvernement. Le projet de loi qui s’en inspirera devrait aggraver la réforme Sarkozy en augmentant le nombre d’annuités nécessaires pour pouvoir bénéficier d’une retraite à taux plein. Au risque d’un divorce profond entre les dirigeants socialistes et leur base électorale. Pierre Mauroy n’aurait pas aimé voir ça

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