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Pays Basque - Euskal Herria - ETA - 15 juin 2013 - la vie d’un déporté basque

samedi 15 juin 2013, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 15 juin 2013).

« Je me sens comme un type enfoncé dans la glace, congelé »

http://www.lejpb.com/paperezkoa/201…

14/06/2013

Entretien avec Alfonso ETXEGARAI / Militant basque banni en Afrique

Giuliano CAVATERRA

Parmi les militants basques qui vivent en exil, il y a ceux qui se nomment les “déportés”. Ils vivent une mesure de bannissement arbitraire, fruit d’accords entre les États français, espagnol et les pays “d’accueil” sans que ce soient des mesures judiciaires. L’un d’entre eux, Alfonso Etxegarai, vit depuis près de 30 ans cette situation. Son histoire et celle du couple qu’il forme avec la Souletine Kristiane Etxaluz a été relatée dans le documentaire Sagarren denbora (“le temps des pommes”) réalisé par Josu Martinez et Txaber Larreategi (production GITE/IPES). Pour Le JPB, il raconte son histoire et sa situation kafkaïenne.

Tout d’abord pourriez-vous vous présenter ?

Un camarade m’avait baptisé du nom de Zamora, en me comparant au grand joueur de football de la Real Sociedad, dans les années 1980. Moi, je m’étais habitué à Txema, nom que j’avais adopté en laissant la Bizkaia et en commençant à parcourir la géographie d’Euskal Herria, cap vers l’est, pour me réfugier à Baiona. Je l’avais adopté en décembre 1977, lors de ma renaissance comme clandestin. Nous, les Biscayens, sommes un peu comme les gens de Bermeo qui aiment se rebaptiser de noms qui ont une signification sur le moment et dans des circonstances données. Actuellement, je m’appelle Remixio, en hommage à mon grand-père mort à la bataille de Matxitxako sur le bateau de guerre basque Nabarra. C’est le nom que j’utilise pour mon adresse e-mail et quand je dessine des étoiles pour les amis.

J’ai perdu mon vrai nom en 1977, quand j’avais 19 ans et je l’ai récupéré lorsque la PAF m’a arrêté à Pannecau, en 1985. Depuis lors, j’ai recommencé à m’appeler comme mes parents l’avaient souhaité. Mon nom est donc Alfonso Etxegarai Atxirika. Je suis né à Plentzia, village côtier de la province de Bizkaia. J’ai connu la fin du régime de Franco et lors de sa transition à la monarchie, je me suis fait gudari [combattant, ndlr] d’ETA.

Depuis quand vivez-vous hors du Pays Basque ? Pourquoi êtes-vous parti ?

Je ne comprends pas bien la question. Si tu te réfères au moment de me réfugier à Baiona, cela a eu lieu en janvier 1978, quand j’ai eu 20 ans. Je vivais donc toujours en Euskal Herria, ce “pays qui n’existe pas”, mais dont le peuple a des ailes. Qu’on demande sinon à Chaho, si c’est possible, si Altzürükü n’est pas Euskal Herria !

Si tu te réfères au moment où on m’a arrêté et où a démarré le cheminement de ma déportation, je peux vous dire que ce fut au moment des fêtes de la San Fermin de 1985. Dans ce cas non plus je ne suis pas parti, la réalité est que des policiers français m’ont amené de force à Quito. Depuis lors, j’habite hors d’Euskal Herria, c’est vrai, mais tous les jours j’ai rendez-vous sur le port de Donibane avec Luxiano, un réfugié pêcheur avec lequel je vais à la pêche.

Ta question me renvoie à un autre problème : tu veux savoir pourquoi je suis venu à Baiona ou pourquoi je suis parti… À cela je peux te répondre. Je me suis fait gudari et, à la suite d’une action armée contre la centrale nucléaire de Lemoiz au cours de laquelle mon camarade David fut mortellement blessé, j’ai décidé de continuer la lutte et de devenir clandestin. C’est ainsi que je me suis trouvé en face de la cathédrale de Baiona, pour la première fois, recevant la visite de membres de ma famille et d’amis, ou bien traversant le pont Pannecau avec d’autres amis, des jours d’hiver froids et pluvieux. Je vivais à la rue…

Vous vivez actuellement au Cap-Vert, comment êtes-vous arrivé là-bas ?

Non, actuellement je ne vis pas au Cap-Vert. Je ne suis pas déporté au Cap-Vert. En Europe, on pense que São Tomé fait partie de l’archipel cap-verdien, mais ce n’est pas exact. C’est vrai que les deux pays partagent des épisodes de leur histoire, et même Cesaria Evora le chante dans Saudade, mais ils sont séparés par des milliers de milles marins de vagues avec des courants différents Moi, je suis déporté à São Tomé e Príncipe, un pays composé de deux îles principales et situé dans le golfe de Guinée, en face du Gabon.

Je suis arrivé là après avoir passé un an déporté à Quito, en Équateur. Les policiers équatoriens qui me conduisaient pensaient eux aussi qu’ils allaient au Cap-Vert. C’est curieux parce que même la police française qui me déporta à Quito pensait que ma destination était le Cap-Vert. Imaginez la confusion et les trafics que cela suppose. Et ils me conduisirent dans les Andes, pour y être séquestré et torturé à la gégène par des policiers espagnols et équatoriens.

Ma déportation se déroule donc en deux étapes, pour le moment. Dans les deux j’ai été amené prisonnier, comme un otage, par des policiers, sans papiers d’identité, et sans qu’on me demande si j’acceptais le voyage ou la destination. J’ai voyagé gratuitement, sans passeport ni visa, et dans cette opération ont participé la République française, le Royaume d’Espagne, la République d’Équateur et la République de São Tomé e Príncipe, ainsi que les polices de Porto Rico, d’Allemagne de l’Ouest, du Portugal et de Guinée-Bissau par où j’ai transité.

Quelle est votre situation juridique et administrative aujourd’hui ? Avez-vous des papiers d’identité ? Si oui, de quelle nationalité ?

Mon identité dans le pays est comme une salade russe. Je me trouve dans un pays africain où les Blancs sont des étrangers, munis de solides papiers d’identité ; ils rentrent une fois par an au minimum dans leurs pays respectifs. Ils ont tous une nationalité, parfois plusieurs. En apparence, je suis comme eux. Mais les Santoméens disent que je ne suis pas blanc, malgré la couleur de ma peau, et ils l’expliquent en affirmant que je suis santoméen. Ce qu’ils veulent dire en réalité, c’est que je ne suis pas étranger, que je suis vraiment de ce pays. Mais ce n’est pas exact, non plus.

Pour l’État santoméen, c’est différent. Je suis toujours “un cas spécial”. Je ne sais pas si le droit de me considérer comme une marchandise pour faire du commerce est compris dans l’expression.

Lorsque je suis arrivé là, pendant les premières années, j’étais un “révolutionnaire” et j’étais invité aux cérémonies d’État, avec les ambassadeurs, les consuls et tout genre d’autorités. Je n’avais aucun papier d’identité, mais il est bien connu qu’un révolutionnaire les porte dans son cœur et sa conscience. Puis le régime du pays a changé et je suis devenu quelque chose qu’il vaut mieux ne pas nommer, quelque chose qu’il fallait oublier. De mon propre chef, je me suis converti en émigrant et je me suis mis à gagner mon pain et mon tabac à la sueur de mon front, allant même jusqu’à économiser, une fois, pour faire sourire ma compagne, de quoi lui offrir un billet d’avion pour la déportation.

Lorsque je pensais que je la méritais, en ce qui concerne les lois et tous ces trucs, j’ai demandé la nationalité santoméenne et alors, ils m’ont encore rappelé que j’étais un type spécial et que, comme ça dépendait du Royaume d’Espagne, ma demande restait en suspens, éternellement gelée.

Maintenant, je me sens, au niveau administratif et juridique, comme un type enfoncé dans la glace, congelé. La déportation, Joseba Sarrionandia nous l’a laissé entendre, est comme un lieu où on nous congèle éternellement. Tout cela parce que nous appartenons à un pays qui n’existe pas comme tel.

Comme souvenir, je garde dans mon portefeuille usé un vieux papier de demandeur d’asile et un permis de conduire français. Depuis un certain temps, j’y ai ajouté un certificat de résident étranger délivré par le service d’émigration santoméen. Ce qui m’angoisse le plus est qu’on ne me reconnaisse pas ma condition de militant basque déporté, que ce soit une question dont on ne veuille pas parler et que, comme disent les autorités locales, ce soit une question “melindrosa”, délicate. Ce qui m’inquiète le plus est ce double isolement où on m’a placé et éternellement congelé.

Comment est votre situation au quotidien ?

Mon quotidien peut se résumer en se débrouiller pour survivre. Au fond, l’espace où je me trouve est globalement réduit à cela et c’est aussi l’une des fonctions de l’exil. Si je revenais en Euskal Herria demain – c’est mon rêve –, j’amènerais ce pays avec moi, dans mon cœur, ainsi que Quito où j’ai connu des gens magnifiques.

Comment vit-on le processus en cours quand on est loin du Pays Basque ?

Pour ce qui est du moment politique actuel en Euskal Herria, je vois que le combat continue, qu’actuellement il y a une opportunité pour faire l’histoire en prenant le chemin des moyens pacifiques et démocratiques. D’ici, étant à 7 000 kilomètres de distance et vu ma situation de “congelé”, sans autre possibilité de participer, je tiens à manifester ma solidarité et mon appui.

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LES BASQUES SONT BASQUES !

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