Macabre partie de « cache-cache » à Nairobi
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kenya mardi 24 septembre 2013
Cordella Bonal Thomas Hofnung et Aude Markovitch Tel-Aviv
Des policiers à couvert alors que retentissent des coups de feu à proximité du centre commercial Westgate
Les forces de sécurité kényanes ont donné l’assaut pour libérer les derniers otages. Quatre questions autour des auteurs du commando : les Shebab somaliens.
Lundi soir, les autorités de Nairobi affirmaient être sur le point de mettre un terme définitif à la prise d’otages samedi par un commando islamiste dans un centre commercial de la capitale du Kenya.
Pourquoi une aussi longue prise d’otages ?
Les autorités de Nairobi avaient promis, dimanche, de régler rapidement la prise d’otages dans le centre commercial de Westgate, en plein cœur de la capitale. Mais malgré le déploiement d’importantes forces de sécurité, épaulées par des commandos israéliens (lire ci-dessous), le siège s’est poursuivi hier. Cité par l’AFP, un membre des forces spéciales locales évoquait une macabre partie de « cache-cache » dans le dédale du centre commercial. Les forces kényanes affirment avoir encerclé le commando. Bien armés et extrêmement déterminés, les terroristes seraient au nombre d’une quinzaine. Des informations non vérifiées font état de la présence dans leurs rangs de ressortissants étrangers. En fin de journée, le gouvernement kényan a annoncé la mort de trois terroristes et l’arrestation de dix suspects. Un dernier bilan faisait état de 62 morts. Hier soir, le commando shebab détenait toujours un nombre indéterminé d’otages.
Qui sont les Shebab ?
Né dans la première moitié des années 2000, ce mouvement résulte de la fusion de plusieurs groupes islamistes somaliens. Son nom signifie « jeunes » en arabe (Al-Shabaab, en référence à leur recrutement auprès de la jeunesse). Il est monté en puissance à partir de 2006, à la faveur de l’insurrection contre les troupes éthiopiennes qui avaient pénétré en Somalie, avec le soutien des États-Unis, pour renverser l’Union des tribunaux islamiques à Mogadiscio. Leurs motivations mêlent nationalisme somalien, volonté d’imposer un Etat islamique fondé sur la charia et djihad global.
Bien organisés, financés par les réseaux djihadistes de l’étranger mais aussi par les taxes qu’ils ont mises en place dans les zones qu’ils dominent, ils se sont ancrés dans la population somalienne en maniant à la fois intimidation et protection. Ils ont rapidement gagné du terrain jusqu’à contrôler une large partie de Mogadiscio, ainsi que du centre et du sud du pays. Les Shebab ont fait allégeance à Al-Qaida, tout en gardant leur autonomie.
Que veulent-ils ?
Depuis deux ans, les Shebab sont en nette perte de vitesse en Somalie. La force mandatée par l’Union africaine les a chassés de Mogadiscio, tandis que les troupes kényanes les ont délogés de l’un de leurs bastions stratégiques dans le sud du pays, le port de Kismayo, les privant ainsi d’une source de revenus cruciale.
En frappant au cœur de Nairobi, l’une des grandes capitales du continent africain, les Shebab veulent démontrer la persistance de leur pouvoir de nuisance. Mais aussi et surtout faire pression sur le nouveau pouvoir à Nairobi pour l’obliger à retirer ses troupes du sud de la Somalie. Dimanche, le président Uhuru Kenyatta a, au contraire, promis que son pays allait renforcer son engagement militaire.
Pourquoi les Israéliens interviennent-ils ?
Dès les premières heures de l’attaque du centre commercial, qui serait en partie la propriété d’hommes d’affaires israéliens, Israël a envoyé des membres de l’unité spéciale antiterroriste Yamam pour aider les forces kényanes, selon nos informations. Parmi les membres de l’unité se trouvent des négociateurs parlant arabe et des combattants. Créée en 1974, cette unité est active en Israël, dans les territoires palestiniens mais aussi à l’étranger. Dotée de moyens de haute technologie, Yamam intervient spécifiquement lors d’attaques terroristes et des prises d’otages. Elle n’hésite pas à recourir aux assassinats ciblés.
Le soutien apporté par Israël au Kenya face à cette attaque terroriste s’inscrit dans le cadre des longues et intenses relations existant entre les deux pays depuis plusieurs décennies, notamment sur le plan de la sécurité. Frontalier du Soudan et de la Somalie, situé face aux pays du Golfe, le Kenya occupe une position géographique stratégique aux yeux des Israéliens. Les deux pays partagent un but commun : juguler l’action des groupes djihadistes dans la région. En 2002, un missile avait été tiré par un groupe islamiste contre un avion de la compagnie israélienne Arkia, qui décollait de Mombassa, le ratant de peu. Les soldats kényans suivent régulièrement des entraînements en Israël, qui de son côté vend du matériel militaire à Nairobi. Le raid pour mettre fin à la prise d’otages des passagers d’un vol Air France en 1976, qui avait été forcé d’atterrir à Entebbe en Ouganda, avait été organisé depuis le Kenya.