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« Privilégier le panafricanisme au regard vers le Nord »

samedi 29 novembre 2014, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 29 novembre 2014).

Samia Zennadi, cofondatrice de la maison d’édition Apic, nous parle de sa vision globale du monde de l’édition en Algérie et ailleurs, des problématiques essentielles qu’elle considère comme prioritaires et de l’action qu’elle préconise au sein de la profession pour un meilleur épanouissement du livre.

http://www.lesdebats.com/editions/291114/Les%20debats.pdf

Les débats : Vous qui aviez fait le choix d’une formation en archéologie, pouvez-vous nous dire comment vous êtes venue à l’édition ?

Samia Zennadi : Au départ, c’est un vieux projet, dont la date me paraît aujourd’hui si lointaine qu’elle en devient floue. Ça vient de cette ambition première de contribuer à l’enrichissement et au partage culturel par les textes. Avec des amis, lorsqu’un livre nous marquait particulièrement, on s’amusait à l’acheter en plusieurs exemplaires ; et on se faisait découvrir de beaux textes les uns les autres en prévoyant ainsi un exemplaire supplémentaire qui sera offert. La démarche a commencé donc par un esprit de partage et de d’échanges d’idées entre amis. Même si avec Karim Chikh, l’idée de fonder une maison d’édition habitait déjà nos esprits, les fonds, eux, restaient absents et nous avions saisi la chance de 2003, « L’année de l’Algérie en France ». Le projet de promotion culturelle de la part du gouvernement garantissait l’acquisition de 1.000 exemplaires, ce qui nous a permit d’obtenir quelques fonds pour commencer. C’est ainsi qu’est né le premier titre des éditions Apic, un beau livre sur l’art du tissage en Algérie, Au fil des temps.

Les débats : Que pensez-vous de l’invité d’honneur du Salon du livre de cette année ?

Samia Zennadi : Il faut avouer que j’ai été quelque peu étonnée. Au vu de la célébration du soixantenaire du déclenchement de la lutte armée. J’ai pensé que l’Algérie révolutionnaire, combattante, allait consacrer la Palestine comme invité d’honneur d’autant plus que l’année 2014 a été élue au sein de l’ONU comme « Année internationale de la solidarité avec le peuple palestinien ». Au vue de ces éléments, la surprise était présente. Certaines justifications évoquent le soutien des USA à l’indépendance de l’Algérie, mais d’autres pays ont fait autant, sinon plus. Pourquoi pas la Chine qui fut le premier pays à reconnaitre le Gpra, pourquoi pas le Vietnam qui a donné le souffle de l’espoir à la volonté de se décoloniser ?

Cependant, une fois le choix établi, je me suis réjouie de pouvoir rencontrer des auteurs invités américains qui seraient des intellectuels, des analystes politiques, des romanciers, des éditeurs etc… Hors cela n’a pas été le cas, ce qui est tout de même étonnant pour un Salon du livre. Nous avons vu des classes de cours d’anglais, qui par ailleurs, ont eu un grand succès, mais pas de livres, à moins que j’aie raté ça.

Les débats : Comment s’articule l’action des éditeurs au sein du Salon du livre ? Y a-t-il des organisations qui permettent de leur donner une possibilité de participation à l’organisation du salon, d’être vraiment concertés ?

Samia Zennadi : L’éditeur, en tant que structure de production porteuse de projets, promoteur d’idées et générateur de débats n’est pas intégré et ce constat n’est pas seulement valable pour le Sila, mais aussi pour les festivals de littérature et de lecture. En instituant ces événements, le ministère de la Culture a nommé des commissaires qui, à mon avis, doivent être tenus par des obligations de résultats. Le premier résultat est celui de faire de ces événements des espaces de médiations et non pas des espaces d’exclusion, souvent de promotion d’auteurs qui ne sont même pas édités en Algérie.

Le Sila tel qu’il est aujourd’hui est un grand acquis malgré certaines insuffisances qui peuvent se justifier par le besoin de structuration du secteur du livre. Ce salon est actuellement un des plus grands à l’échelle continentale et aussi dans le Monde arabe et je pense que c’est dans notre intérêt à contribuer pour en faire un espace d’expression et non de frustration, un lieu de connexion de projets autour du livre qui résonne avec libre.

En l’absence de politique culturelle qui se projette à long terme et disons-le clairement, en l’absence de directives, celles qui font que le premier but à atteindre est celui du renforcement de la création et de la production nationale, le constat est là. On se contente souvent de reproduire et d’importer des concepts d’animations qui ont le goût et la couleur fades des copies auxquelles nous devons nous soumettre dans l’espoir « de mériter dans La Gazette impériale trois lignes, en petits caractères », pour paraphraser J.M Coetzee dans son roman, En attendant les barbares.

Les débats : Notre rédaction a rencontré d’autres éditeurs, dont par exemple la maison Kalima. Nous étions étonnés qu’ils ne fassent pas partie de l’initiative Esprit Panaf. Pouvez-vous nous dire s’ils ont été sollicités, sinon, pourquoi cette absence, et qu’en est-il des autres maisons d’éditions algériennes ?

Samia Zennadi : Il est certain que l’Esprit Panaf a de plus en plus de succès et il s’impose actuellement comme un pôle d’animation important au sein du Sila. Que ce soit par le nombre d’éditeurs participants ou par la qualité des thématiques abordées par des invités de marque, je trouve que cet espace a la vision d’ouvrir des perspectives de collaboration panafricaine avec le livre comme vecteur d’émancipation et de sortie de toute forme de domination culturelle.

Mais pour revenir à votre question, je peux peut-être parler de mon expérience en tant que chargée de cet espace en 2010. J’avais tenté de mobiliser les éditeurs algériens pour les inciter à contribuer au programme. Malheureusement, une seule réponse m’est parvenue, faute de temps, peut-être, mais l’esprit Panaf avait réalisé dans ce très peu de temps une belle revue.

A ma demande, des auteurs invités ont accepté de rédiger chacun un texte en hommage à un écrivain ayant pour lui l’image ou le statut d’un aîné. C’était une démarche qui nous permettait, à long terme, de donner à voir et à lire la trame qui s’est tissée dans le cours du XXe siècle entre les auteurs et les lecteurs, entre les fondateurs et ceux qui les ont lus et qui sont devenus eux-mêmes des écrivains reconnus.

L’Afrique parle livres n’a duré qu’un seul numéro.

Deux années plus tard (2013 et 2014), l’espace Panaf, par une approche constructive, celle qui donne la possibilité à des éditeurs du continent de participer avec leurs auteurs, prend, à mon avis, une dimension intéressante. Tout ce qu’on peut souhaiter c’est que ce lieu puisse permettre la naissance de projets de livres et d’événements culturels, de coopération entre éditeurs et de promotion pour les auteurs invités… Je ne crois pas que l’approche de Karim Chikh, le responsable chargé de cet espace, soit dans une logique de rupture par rapport à l’esprit panafricain, celui de tisser des liens et de les renforcer, et il est plus à même d’expliquer sa stratégie.

Les débats : D’où vient votre intérêt pour la littérature africaine ?

Samia Zennadi : L’intérêt des responsables d’Apic pour la littérature africaine n’est pas né en 2009 à l’occasion du Festival panafricain et il ne s’est pas arrêté avec la suspension de l’aide à la publication, débloquée par le ministère de la Culture à cette occasion. Il me semble que cette parenthèse est nécessaire.

Deux années avant la 2e édition du Festival panafricain, c’est-à-dire en 2007, nous avions lancé notre collection Résonances. En publiant, à l’occasion du Sila, trois titres du Togolais Sami Tchak et des deux Algériens, Hamid Skif et Anouar Benmalek, notre démarche était claire, celle de vouloir publier des textes d’auteurs africains édités en dehors du continent, d’une part, et d’autre part, briser les murs qui séparent la littérature algérienne et maghrébine (en général) du reste de l’Afrique.

C’est comme ça que Rabah Belamri, Habib Tengour (Algériens), Louis Philipe Dalembert (Haïtien), Tierno Monénmebo (Guinéen), Yambo Ouologuem (Malien), Tanella Boni (Ivoirienne), Patrice Nganang (Camerounais) et Jean-Luc Rharimanana (Malgache) se retrouvent dans une même collection. La présence d’écrivains algériens dans Résonances brise certains lapsus qui situent l’Algérie dans un contexte extra-africain.

Donner de la visibilité à des textes forts pour permettre aux lecteurs algériens de les retrouver dans une édition algérienne ne règle pas les problèmes de l’édition africaine. En effet, beaucoup d’auteurs du continent sont obligés de publier en dehors du continent pour les raisons que l’on peut identifier facilement (le manque de structures, d’imprimeries, de maisons d’édition, le manque de librairies, la censure …).

Aussi, depuis quelques années déjà, les éditions Apic réalisent des livres pour un éditeur malien et donc nous exportons des livres au Mali. Il faut dire que nous avons la vision du travail Sud-Sud et nous avons besoin en quelque sorte d’irriguer nos racines les plus lointaines.

Aussi, nous essayons de participer aux événements livresques qui se déroulent sur le continent (Mali, Burkina Faso, Sénégal, Cameroun). Depuis 2008, notre maison d’édition est présente à la rentrée littéraire du Mali et nous avons reçu en 2010 pour La Maison du Néguev de Suzanne El Kenz et en 2012 pour Madame l’Afrique d’Eugène Ebodé, le Prix continental Yamno Ouologuem.

Malgré le fait que ce « créneau » ne soit pas rentable ni soutenu, puisque l’aide à la publication destinée aux éditeurs qui mettent en circulation des textes d’auteurs africains s’est arrêtée à l’année du Panaf ; et malgré le fait que la collection Résonnances a très peu de visibilité sur les pages culturelles de la presse écrite, nous continuons de faire vivre ce projet avec la conviction que c’est important de le faire, car les textes doivent circuler et que « certains livres sont à retardement ».

Comme disait Frantz Fanon, « chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, l’accomplir ou la trahir. ». La nôtre n’est pas d’énumérer tous ce qui ne va pas sur notre continent, mais de contribuer à renforcer notre ancrage africain.

Les débats : Avec tous ces constats, quelles propositions faites-vous pour une amélioration de la situation du livre en Algérie. Que voudriez-vous adresser comme demande au ministère, ou à défaut, pensez-vous que l’action devrait venir directement des éditeurs eux-mêmes ?

Samia Zennadi : Pour commencer, il y a un constat terrible à faire qui est celui de l’absence de syndicat d’éditeurs. La seule structure qui prétend représenter les éditeurs algériens se débat dans une interminable lutte de laedership avec des perspectives et une vision très réduite de la profession. Le manque de cohésion de réflexion et de visibilité de projets à long terme ont fait éclater le syndicat, et en l’absence d’une telle structure, vous ne pouvez pas prétendre participer à l’organisation du Salon du livre ni à aucune autre action.

Il est clair que l’action doit revenir principalement aux acteurs concernés, c’est donc aux éditeurs de prendre des initiatives de se concerter etc. Pour ça, il faut une structure qui constitue une force de proposition et d’action. Tout le monde connaît les problèmes qui se posent, et qui persistent. Malheureusement, à chaque réunion des professionnels, chacun en profite pour se lamenter sur son sort alors que nous devons nous concentrer sur les solutions qui existent ou qui pourraient être imaginées. Il me semble que nous ne posons pas les bonnes questions et que nous sommes incapables de proposer des mécanismes qui nous permettent de sortir de ces grandes démonstrations sur les problématiques de la circulation du livre en Algérie et sur le manque flagrant de librairies qui, en réalité, nous installent dans des discussions de salon et qui nous éloignent de la possibilité d’être acteurs du changement.

Tout le monde sait que le marché du livre dans notre pays est un marché immense, mais est-ce qu’il profite réellement à l’édition nationale ? C’est à cette question qu’il faut répondre et c’est pour cette raison que la loi sur le livre peut ouvrir la perspective d’un début d’organisation du secteur. Le tout est de s’assurer de ne pas alimenter les mêmes sources qui font partie du problème.

On attend aussi que le CNL prenne des initiatives sérieuses. J’espère que l’on commencera par des études statistiques qui nous permettraient d’entreprendre des actions concrètes qui vont dans le sens du développement du secteur du livre. Il suffit que X ou Y écrive quelque chose pour que tout le monde reprenne cet élément qui même s’il n’est pas fondé, se verra accorder presque le statut de thèse académique.

La portée très réduite des événements culturels a donné naissance à des éditeurs occasionnels et le plus grave à des auteurs rentiers qui vous contactent pour vous annoncer que leurs livres ont été retenus au ministère de la Culture et ils vous proposent un marché !

Nous avons besoin plus que jamais d’une volonté politique associée à un travail sur le terrain qui considère la culture en général, et le livre en particulier, comme un secteur stratégique de production de richesses intellectuelles et économiques. A partir de là, beaucoup de choses peuvent changer.

Les débats : Pouvez-vous nous dire si vous avez des nouveautés qui s’inscrivent dans le cadre du soixantième anniversaire du déclenchement de la Révolution algérienne ?

Samia Zennadi : Oui, nous avons plusieurs projets de livres. Il y a ceux qui sont déjà disponibles, comme celui de Kamel Kateb, Le système éducatif dans l’Algérie coloniale, (1833- 1962) et ceux qui sont en cours de réalisation dont celui de Taleb Abderahim Bendiab sur l’écriture de l’histoire. Mais Apic a aussi un projet de prolonger le soixantième anniversaire jusqu’en 2015. Après avoir organisé, en septembre 2013, avec le Forum Mondial des Alternatives et le Forum du Tiers-Monde une grande rencontre sur Le Sud, quelles alternatives ?, nous avons l’ambition de concrétiser le projet de réunir à Alger des intellectuels pour les « 60 ans de la conférence de Bandung » avec la publication de deux livres collectif, Esprit Frantz Fanon et Le Sud, quelles alternatives ? Je peux vous annoncer aussi la sortie d’une collection de livres sur la démocratie Democacy and social progress, cette collection sera en anglais, car nous avons besoin d’élargir nos horizons.

Les débats : Selon vous, que pourrait faire l’Algérie pour pouvoir récupérer les droits d’édition de Kateb Yacine auprès du Seuil qui ne réédite même plus certaines de ses œuvres comme la Boucherie de l’espérance ou encore relancer l’édition d’un auteur peu connu comme Ahmed Azzougar ? En tant qu’éditrice, auriez-vous un appel à faire auprès des institutions, car c’est tout même une perte du patrimoine littéraire universel et pas seulement algérien !

Samia Zennadi : Personnellement je ne considère pas qu’il faille faire appel à l’Etat pour ça.

Chaque année, j’envoie des mails à des éditeurs français pour demander les droits d’édition de Kateb Yacine et d’autres auteurs que nous souhaitons intégrer dans notre catalogue. Nous recevons en général une réponse courtoise qui signifie le refus. Je ne crois pas que nous soyons les seules à essayer d’acquérir les droits de publication de Kateb Yacine. Le domaine de l’édition a sa logique de fonctionnement et ses méthodes et souvent l’accord de la cession des droits est accordé par les éditeurs qu’après consultation du service export de la maison d’éditions. Il est normal que si l’exportation réalise des chiffres d’affaires importants, pourquoi la concurrencer avec un éditeur étranger. C’est le mode de fonctionnement du monde de l’édition dicté par la vision capitaliste.

Mais en attendant que les choses changent et que les livres et les idées trouvent des moyens alternatifs de circulation, je pense que s’il y a intervention de l’Etat à demander, c’est sur un autre volet, celui de nous permette de réaliser avec les structures qui sont déjà mises en place, et d’autres que nous espérons réaliser, des objectifs à long terme. Enseigner dans les écoles les œuvres de Sidi Lakhdar Benkhlouf, de Si Mohand U M’hand, de Mohamed Benguitoun, de Kateb Yacine, de Mohamed Dib, de Mouloud Mammeri, et la liste est encore longue, pour que les jeunes aient un socle commun, une base d’une culture qui renforce notre conscience nationale qui est différente du nationalisme et comme l’a très bien expliqué Frantz Fanon, c’est en son sein que s’élève et se vivifie la conscience de nos impératives solidarités internationales Sud. Et cette double émergence n’est, en définitive, que le foyer de toute culture.

Propos recueillis par Nedjma Baya Merabet

http://www.lesdebats.com/editions/291114/Les%20debats.pdf

Sauvegarde :

http://mai68.org/spip/IMG/pdf/Les-debats_14-11-29.pdf

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