Les moments de crise ont tendance à faire tenir des propos extrêmes, et à mythifier les victimes. Ce qui m’a conduit à tenter de faire preuve de mesure. Si je suis extrêmement heureux que l’amalgame entre l’Islam et le terrorisme n’ait, à ma connaissance, fait par personne, quelque chose me chagrine.
Penser que la liberté d’expression permet de dire absolument tout, c’est renier un de nos principes de l’après-Seconde Guerre mondiale : les discours de haine sont interdits. Si effectivement, je suis un défenseur de la liberté d’expression, y compris par le rire, et que j’avoue avoir moi-même ri des caricatures de Charb, Cabu, Wolinski et Tignous, cet événement m’a incité à la méfiance.
Car si notre France a séparé les Églises et l’État en 1905, tous les pays ne sont pas aussi séculaires que nous, tout Français n’est pas athée, et tout homme tient à quelque chose plus que tout.
Où la liberté d’expression doit s’arrêter ? « La liberté des uns commencent là où finit celle des autres. », tout le monde s’entend pour louer John Stuart Mil.
Si nous tenons à faire rayonner notre modèle libertaire, est-ce bien avisé de se moquer de ceux qui n’en disposent pas encore ? Combien de révolutions, d’exactions, d’exécutions et autres horreurs ont été nécessaire pour que notre idéal égalitaire triomphe enfin ? Doit-on rappeler Robespierre multipliant les décapitations au nom des Lumières ? Et avons-nous été à l’abri du pire retour en arrière qui soit ? Et même maintenant, notre pays est-il si parfait que tout remise en cause de son système doit forcément être une remise en cause de la liberté d’expression ? Ce n’est pas elle qui a été tuée, c’est 12 hommes, c’est bien assez.
La liberté d’expression doit permettre à chacun d’exercer son esprit critique, elle n’est pas faite pour se moquer ouvertement de ceux qui ne la comprennent pas. N’est-il pas logique que ceux qui ne possèdent pas grand chose soient susceptibles de leur manque ? Vous moqueriez-vous des parents d’un orphelin ? Quand bien mêmes seraient-ils les pires ordures qui soient, vous ne le feriez pas. La liberté d’expression doit permettre de diffuser un modèle, pas un anti-modèle. C’est la même problématique qui vaut pour l’utilisation de la torture par les États-Unis, peut-on combattre un modèle jugé inférieur en utilisant les armes qui nous révoltent le plus ? La liberté d’expression me permettrait-elle de me moquer de Charlie Hebdo ?
Notre point de vue occidental, ethnocentriste et égoïste peine à comprendre ce que représentent pour certains ces "simples dessins", mais nous mêmes sommes indignés pour l’attaque d’un de nos symboles, qui n’est après tout qu’un "simple concept".
Je n’excuse pas les tueurs, loin de là, je ne blâme pas les dessinateurs de Charlie Hebdo, et je ne demande pas non plus que l’on ne soit plus critique, je ne réclame qu’un peu plus de subtilité.