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Loi renseignement : pourquoi il faut (re)voir Citizenfour (Les Inrocks)

lundi 27 avril 2015, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 27 avril 2015).

Note de do : Une chose remarquable est ce renversement de situation, où, après avoir vu hier des Soviétiques se réfugier en Amérique, l’on voit aujourd’hui des Américains obligés de se réfugier en Russie pour échapper à un assassinat "ciblé" de la CIA !


Loi renseignement : pourquoi il faut (re)voir Citizenfour

http://www.lesinrocks.com/2015/04/2…

Par Matthieu Foucher le 26 avril 2015 à 13h31

Alors que le projet de loi renseignement est examiné en procédure accélérée au Parlement, il est urgent de voir “Citizenfour”. Ce documentaire sur les révélations de Snowden permet de cerner l’étendue des dispositifs mis en place par les gouvernements pour capturer, scruter, analyser voire prédire les faits et gestes de leurs citoyens.

Sorti en France le 4 mars, le film sur les révélations de Snowden a été acclamé par la critique pour ses qualités artistiques, d’aucun questionnant sa place dans l’histoire du cinéma, d’autres louant la fidélité de la réalisatrice et journaliste Laura Poitras aux “principes du cinéma vérité”. Pourtant, si Citizenfour est certes une prouesse de narration, cette “troisième partie d’une trilogie sur l’Amérique après le 11 septembre” (comme l’annonce le documentaire) est avant tout un documentaire politique qu’il est nécessaire de (re)voir.

Snowden au cœur de la tempête

“L’histoire ici, ça n’est pas moi“, prévient d’emblée le CitizenFour, soucieux de ne pas éclipser les vrais enjeux. Difficile néanmoins de ne pas être fasciné par le Snowden de 2013, quelques jours avant la tempête.

“Pour moi, tout se résume au pouvoir d’Etat, et à la capacité du peuple à s’opposer concrètement à ce pouvoir. Je suis là, assis à concevoir des méthodes pour amplifier ce pouvoir d’Etat, et réalise que si la politique change, si les seules choses qui limitent ces Etats devaient changer, alors on ne pourrait plus réellement s’opposer à eux”, dit le lanceur d’alerte américain.

Loin d’être fou ou paranoïaque, ce déçu de l’administration Obama se souvient d’Internet à ses origines — un lieu d’échange, de partage des connaissances et d’égalité — et regrette l’autocensure causée par la surveillance : “Je préfère risquer d’être emprisonné que risquer la restriction de ma liberté intellectuelle et celle de ceux qui m’entourent“.

Donner corps à la surveillance

Au delà du lanceur d’alerte, le film donne brillamment corps à un phénomène qui reste trop souvent abstrait. En montrant les différents sites construits par la NSA, Laura Poitras expose la matérialité d’une technologie qui dépasse l’entendement.

Les explications de Snowden sont remarquablement claires, et permettent de cerner l’étendue des dispositifs mis en place par les gouvernements pour capturer, scruter, analyser voire prédire les faits et gestes de leurs citoyens. “En 2011, [la NSA] pouvait contrôler un milliard de téléphones et de sessions internet simultanément, sur chacun de ces outils“, explique-t-il, ajoutant qu’il y avait vingt sites de la NSA à l’époque, et bien plus encore aujourd’hui.

L’angoisse, qui prend petit à petit protagonistes comme spectateurs, enfonce le clou de la démonstration. Le film révèle les menaces qui pèsent sur les lanceurs d’alerte dans une troublante mise en abyme… car les techniques que Snowden dénonce sont précisément celles auxquelles il doit échapper.

Derrière la sécurité nationale, des intérêts politiques

Second héro du film, le journaliste Glenn Greenwald interroge les intérêts politiques qui motivent ces dispositifs :

“Depuis le 11 septembre, les Américains justifient tout par le terrorisme. Tout est fait au nom de la sécurité nationale, pour protéger notre population. En vérité, c’est le contraire : nombre de documents saisis n’ont rien à voir avec le terrorisme ou la sécurité nationale, mais avec la compétition entre pays, des intérêts industriels, financiers et économiques”.

Dans un discours au sénat brésilien, il rappelle :

“La défense du gouvernement américain était qu’ils ne s’intéressaient pas au contenu des conversations mais juste aux métadonnées : le nom des gens qui parlent, qui appelle qui, pour quelle durée. Mais si je sais avec qui vous communiquez et avec qui ces gens communiquent, la durée des conversations et leur localisation, alors je peux apprendre beaucoup sur votre personnalité, votre activité et votre vie”.

Dans le contexte français actuel, et alors que le projet de loi renseignement élargit les motifs justifiant la capture des données, ces remarques de Greenwald ne peuvent que nous interpeller.

“Savoir-pouvoir ” et gouvernementalité algorithmique

A travers ses personnages secondaires, Citizenfour soulève des questions cruciales quant à l’impact de cette surveillance panoptique sur nos démocraties : peut-on vraiment être libre lorsqu’on se sait écouté ? L’hacktiviste Jacob Appelbaum insiste dans le documentaire :

“En perdant la confidentialité, on perd l’agentivité [notre capacité d’action, nldr], on perd la liberté elle-même car on ne se sent plus libre d’exprimer ce qu’on pense. Il y a ce mythe d’une machine de surveillance qui serait passive, mais qu’est ce que la surveillance sinon le contrôle ?”

La notion foucaldienne de savoir-pouvoir est au cœur de cette intrigue, comme note à l’écran William Binney, crypto-mathématicien et ancien de la NSA :

“Tous ces programmes exposés par Snowden sont des moyens d’obtenir l’information. Toute dictature à travers l’histoire a toujours fait ça : la première chose dont elles ont besoin est d’acquérir des connaissances sur leur population. C’est exactement ce que font ces programmes. Je vois cela comme la plus grande menace envers nos démocraties à travers le monde”.

Ainsi, ce documentaire apparaît comme un brillant exposé sur les nouvelles technologies du pouvoir, ce que la chercheuse Antoinette Rouvroy nomme sur Médiapart la “gouvernementalité algorithmique“.

Une leçon de désobéissance civile

Enfin, Citizenfour est surtout le récit du séisme médiatique provoqué par Snowden et savamment orchestré par Greenwald et Poitras. Il illustre l’acte de résistance de trois individus face à l’omnipotence d’un Etat prêt à tout pour faire taire ceux qui ébruitent ses secrets. Il traite de la désobéissance civile à l’heure où cette simple éventualité semble de plus en plus compromise.

Bien que le gouvernement assure que la loi sur le renseignement “n’a rien à voir avec les pratiques dévoilées par Edward Snowden”, Citizenfour doit urgemment être vu, entendu et débattu.

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