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LA POLLUTION LUMINEUSE

samedi 9 décembre 2017, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 9 décembre 2017).

Comment la Suisse retient la nuit

https://www.letemps.ch/suisse/2017/12/07/suisse-retient-nuit

Catherine Frammery
Publié sur letemps.ch jeudi 7 décembre 2017 à 17:24
modifié vendredi 8 décembre 2017 à 12:41

Une étude vient d’établir combien le recours aux lampes LED a augmenté la luminosité sur la Terre. La lutte contre cette pollution lumineuse est difficile. Mais la Suisse s’y met

Les jurés suédois regretteront-ils un jour d’avoir décerné le Nobel de physique aux inventeurs de la LED bleue, en 2014 ? Les électriciens ne tarissent pas d’éloges sur les qualités révolutionnaires de la diode électroluminescente : un éclairage blanc qui consomme jusqu’à 20 fois moins d’énergie, une durée de vie jusqu’à 100 fois supérieure à celle des ampoules à incandescence. Sur le papier, un rêve d’écologiste.

Comme souvent, les jurés du Nobel récompensaient une découverte bien après la bataille. En 2014, cela faisait déjà plusieurs années que les villes d’Europe avaient commencé à utiliser ces ampoules plus propres. La bascule s’est faite cette année-là en Suisse. La part des systèmes LED vendus pour des éclairages extérieurs dans le domaine privé (lampadaires de jardin, éclairages d’allées…) a bondi de 23% en 2014 à presque 73% en 2016, selon l’Office fédéral de l’énergie.

En matière d’éclairage public, la domination est encore plus écrasante, la LED représentant 84% de parts de marché. Trente millions d’ampoules et 7,8 millions de luminaires ont été vendus en 2016. Les nouvelles installations sont quasiment toutes réalisées avec cette nouvelle technologie.

Or c’est justement le recours aux LED qui explique l’inquiétante étude publiée fin novembre dans la revue Science Advances. Des chercheurs y révèlent que l’éclairage planétaire s’est accru, tant en quantité qu’en intensité, d’environ 2% par an de 2012 à 2016, et que la tendance s’accélère. La hausse de la lumière artificielle concerne quasiment tout le globe (à l’exception notable des pays en guerre comme la Syrie et le Yémen, rares taches noires dans un lacis lumineux). Même des régions d’Afrique ou d’Asie jusqu’ici peu éclairées baignent désormais dans un halo luminescent. Vue du ciel, la terre bleue d’Eluard est devenue orange.

Que s’est-il passé ? Les LED coûtant moins cher, elles sont plus utilisées, un effet rebond bien connu des économistes. On éclaire plus fort et dans plus d’endroits. Le développement économique et l’exode urbain, en Asie et en Afrique notamment, ont fait le reste. Ce qui n’avait pas été prévu par les jurés du Nobel.

« Le plus noir des cieux suisses est encore 8% trop clair »

La Suisse n’échappe pas au phénomène, qui certes a débuté avant le développement fulgurant des LED. « Sur le plateau il n’y a plus 1 km2 dans l’obscurité totale depuis 1996 », regrette Danièle Hofmann, de l’Office fédéral de l’environnement.

Rien de surprenant pour une zone urbaine dense. Mais même les montagnes sont touchées. Le parc naturel du Gantrisch, entre Belp et la région du Lac Noir, aux portes de Berne, ambitionne bien de rejoindre les 55 « parcs aux étoiles » du monde entier recommandés par l’IDA, avec l’aide de la Confédération. Mais alors qu’un tiers des espaces naturels de Suisse étaient dans l’obscurité il y a vingt-cinq ans, une seule région est actuellement estampillée « zone de ciel noir » par l’International Dark-Sky Association (IDA), la principale association internationale de lutte contre la pollution lumineuse : un petit carré dans le canton d’Obwald, non loin de Sachseln.

Les sommets du parc naturel de Gantrisch, paradis des astronomes amateurs, avec au loin les lumières de Milan. Martin Muti (photo non retouchée)

« Le plus noir des cieux suisses est encore 8% trop clair », accuse Lukas Schuler, de Dark-Sky Switzerland. Qui se désole que « les politiques se soient concentrés sur les économies d’énergie », sans évaluer suffisamment les conséquences de la pollution lumineuse.

Or elles sont catastrophiques pour quantité d’espèces. « Les chauves-souris perdent leurs couloirs d’obscurité entre domicile et nourriture, certaines espèces d’oiseaux migrateurs désorientés se fatiguent voire meurent en volant au-dessus de villes trop éclairées » dénonce Lukas Schuler. Une étude de l’Université de Berne, publiée dans Nature cet été, a montré combien les pollinisateurs nocturnes (insectes et papillons), qui s’orientent avec la Lune, sont perturbés par la lumière artificielle et peu productifs : les prairies sont moins fleuries et les arbres donnent moins de fruits.

Enfin, l’être humain aussi fait partie des espèces touchées, ses rythmes circadiens étant modifiés par le trop-plein de lumière, qui favorise une société hyperactive 24h/24, avec son coût en manque de sommeil et en stress. Nous sommes exposés à trop peu de lumière la journée et à beaucoup trop la nuit.

Plus de lumière n’égale pas plus de sécurité

La prise de conscience a pourtant commencé (voir encadré). Genève fait partie des villes et cantons qui ont mis en place des plans lumière, de fines pesées d’intérêts entre le désir des habitants, les finances et l’environnement. « On a toujours été attentif à ne pas mettre trop de lumière, explique Florence Colace, l’architecte éclairagiste de la Ville. Il est faux de dire que plus de lumière apporte plus de sécurité, d’abord cela concerne le sentiment d’insécurité, ensuite une zone très éclairée rendra par contraste très sombre la zone qui est à côté, c’est un mauvais calcul. »

A côté des LED, Genève a utilisé d’autres solutions économes comme l’iodure métallique, pour éviter d’être prisonnière d’un système propriétaire, les solutions LED proposées en 2008 par les entreprises de l’énergie étant moins ouvertes qu’aujourd’hui. « Nous avons baissé la facture énergétique de l’électricité publique de 40% en dix ans. »

La commune d’Yverdon a été pionnière en matière d’éclairage urbain. Le résultat est bluffant, avec, dans des quartiers entiers, des lampadaires qui s’illuminent à votre passage, avec un peu d’avance – vous n’êtes jamais dans le noir – et qui s’éteignent derrière vous, grâce à des détecteurs infrarouges. Mille quatre cents lampadaires standards utilisent ce dispositif d’éclairage LED dynamique. Objectif : remplacer ou modifier la totalité des 3200 lampadaires de la ville d’ici à 2025.

Yverdon la nuit

Cliquer sur l’image pour voir la vidéo.

Des LED dynamiques, graduelles, dynamiques

Car les LED offrent aussi une souplesse inédite, pour peu qu’on y mette le prix. Les LED dynamiques, plus chères à l’installation, peuvent ainsi être pilotées à distance, s’adapter à la luminosité ambiante. Un facteur à prendre en compte, d’autant que l’œil humain ne perçoit pas forcément les baisses d’intensité – à Genève, l’éclairage des LED baisse de 40% entre minuit et 5 heures, sans que cela soit perceptible.

Dark-Sky Switzerland recommande aussi d’installer des LED dites chaudes, à la lumière plus jaune (voir encadré), qui ont moins d’impact sur l’environnement. Son dernier combat ? Améliorer l’éclairage des gares, « souvent les endroits les plus fortement et les plus mal éclairés. La nature ne peut pas fermer de volets ! »

Interrogés, les CFF, qui utilisent quelque 236 000 lampes dans leurs presque 800 gares, assurent « miser sur les LED quand il faut remplacer des ampoules, et les équiper là où c’est possible d’un système de gestion numérique qui permet de régler l’éclairage ».

Depuis 2009, les éclairages ornementaux doivent être éteints dès 22 heures. Pistes de ski illuminées la nuit, marchés de Noël survitaminés, mapping vidéo sur les monuments historiques : les émissions de lumière en hausse de 70% en Suisse depuis les années 1990 vont doubler si rien n’est fait. Un signe d’espoir : après le passage à la lumière chaude, on recommence à revoir des chauves-souris dans certaines zones du lac de Zurich, ville la plus polluée par la lumière artificielle de Suisse.

Le ciel au-dessus du parc naturel de Gantrisch. Martin Mutti (photo non retouchée)

« Il va falloir se mettre tous ensemble pour retrouver des nuits noires »

L’Office fédéral de l’environnement planche depuis une dizaine d’années sur les meilleurs moyens de lutter contre la pollution lumineuse et publiera en 2018 ses nouvelles recommandations en matière d’émissions lumineuses, une version actualisée d’un premier document sorti en 2005.

Entretien avec Danielle Hofmann, collaboratrice scientifique de la division Espèces et milieux naturels

Quelles sont vos principales inquiétudes ?

Les sources de lumière intense proches de milieux naturels ou en bordure de ville sont compliquées à gérer. Il peut s’agir d’installations sportives, d’aéroports, de routes éclairés comme en plein jour. C’est très préoccupant, la lumière artificielle nocturne a une énorme influence sur certaines espèces et notamment sur les insectes. La biomasse a très fortement diminué ces dernières décennies. Il faut trouver une solution pour continuer d’assurer la sécurité de ces lieux tout en protégeant leurs alentours. Il faut aussi diminuer l’intensité lumineuse des villes, éviter toute lumière dirigée vers le haut qui perturbe les migrations d’oiseaux notamment. La hausse des émissions lumineuses a aussi des conséquences pour les hommes ; il y a de plus en plus de plaintes pour dérangement liées à des éclairages publics et même privés.

Les Suisses ont-ils suffisamment conscience du problème de la pollution lumineuse ?

L’OFEV s’est emparé du sujet en 2002 quand les CFF ont proposé de développer un nouveau concept de gare. Nous avons abouti aux recommandations de 2005, avec des conseils pour l’emplacement des sources de lumière, les éclairages dirigés vers le bas, une baisse d’intensité voire une extinction des lumières la nuit… Parallèlement, plusieurs cantons ont développé leurs propres recommandations, des cantons plutôt germanophones, Zurich, Saint-Gall, Bâle-Ville, le Tessin aussi. Plusieurs villes ont établi des « plans lumière » – Genève, Lausanne, Yverdon, Lucerne. Il y a une vraie prise de conscience.

Que contiendront les futures nouvelles recommandations ?

Elles seront plus précises et seront une aide plus pratique pour les cantons. Nous les avons consultés ainsi que les communes et les autres acteurs concernés par la problématique, comme les entreprises du secteur de l’énergie. Ce nouveau luminaire est-il utile ? Il faut à chaque fois se poser la question. Il va falloir se mettre tous ensemble pour retrouver des nuits noires.


Il y a LED et LED : quelques éclaircissements

Toutes les LED ne sont pas égales. Les LED blanches, ou neutres, sont mesurées à une température de couleur de 4000 kelvins et produisent à la source une lumière dite bleue, qui se disperse dans l’atmosphère à une intensité élevée. C’est la lumière la plus violente, proche de la lumière zénithale. Une couleur lumineuse plus chaude (nuance jaune) se situe au-dessous de 3000 kelvins et se diffuse moins. Dans la nature, elle dérange seulement le plancton, les amphibiens, les reptiles, tandis que toutes les espèces sont perturbées par les LED blanches.

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