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Le harcèlement sexuel vu depuis la Suisse

samedi 9 décembre 2017, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 9 décembre 2017).

La chasse aux harceleurs me fait peur

https://www.letemps.ch/opinions/2017/12/05/chasse-aux-harceleurs-me-peur

Marie-Pierre Genecand
Publié mardi 5 décembre 2017 à 18:10
modifié mardi 5 décembre 2017 à 18:10

C’est magnifique que les femmes parlent enfin et dénoncent les mâles qui les ont blessées et humiliées. Mais ce changement sociétal risque de signer la fin de la drague spontanée, par souci de sécurité des deux côtés. Et ça, ça craint, dit notre chroniqueuse

Bien sûr, je suis heureuse et fière que la parole se libère. Je jubile à l’idée que des centaines de femmes trashées, humiliées, oppressées par des mâles aussi grossiers que décomplexés puissent enfin se lever et dire : ça, je ne veux plus ! Je ne veux plus être traitée comme un morceau de viande qu’on renifle, qu’on palpe ou qu’on enfile. Je veux pouvoir me balader presque à poil si ça me chante, sans être réduite à ce que je montre.

Mon corps m’appartient, il n’est la propriété de personne à part moi et aucun regard, aucune main, aucun commentaire ni aucun acte ne le salira plus jamais. Le changement sociétal qui a été entamé ces jours-ci est un soulagement, une libération que l’on doit à des années de combat féministe mené par des femmes et des hommes de bonne volonté. Chapeau bas.

Mais une part de moi a peur aussi. C’est sans doute une part crypto-réac qui a incorporé la domination masculine au point d’y être inconsciemment attachée. Ou une part sentimentale nourrie aux films mélos dans lesquels l’homme s’illustre en sauveur de la femme éplorée. Ou encore une part poétique dans laquelle je sens intimement que l’amour n’est pas fleuve tranquille, mais abandon, trouble, sensations contradictoires et confusion… Allez savoir.

Un quotidien gris souris

En tout cas, je crains une société où le contrôle sans faille de l’homme sur lui-même serait la loi. Un quotidien gris souris dont tout regard gourmand, toute embrassade appuyée, toute invitation coquine seraient bannis. J’aime sentir le frisson du désir. Et, comme je l’ai dit la semaine passée, j’aime que les gens s’aiment. Or, pour s’aimer, il faut pouvoir le déclarer, le montrer, sans craindre que le ciel nous tombe sur la tête en cas d’ardeur non partagée. Autrement dit, il faut pouvoir draguer sans redouter les foudres de l’être convoité.

Or, vu le climat général et vu que, selon l’article sur le harcèlement sexuel inscrit dans la loi fédérale sur l’égalité, « ce qui compte n’est pas l’intention de la personne qui importune, mais la manière dont la personne concernée perçoit et ressent son comportement », beaucoup d’hommes n’osent déjà plus se lancer en live. Ils se réservent pour la drague électronique qui permet à la femme de filtrer, de googler l’intéressé et de se sentir ainsi protégée. C’est triste ? Oui, c’est même fada, comme dirait Pagnol. Complètement flippant, ce monde aseptisé qui exclut la spontanéité ! C’est en cela, en vertu de ce type de dérives déjà largement à l’œuvre, que la chasse aux harceleurs et le climat qu’elle induit me font peur.


En chaque homme, cet obsédant besoin de domination sexuelle

https://www.letemps.ch/opinions/201…

Marie-Pierre Genecand
Publié mardi 17 octobre 2017 à 13:33
modifié mercredi 18 octobre 2017 à 12:36.

Comment expliquer la permanence de l’arrogance des mâles au pouvoir ? Notre chroniqueuse pense que l’aspect psychanalytique apporte un éclairage, certes délicat, mais indispensable au débat

« Le besoin de domination de l’homme sur la femme est le fruit de la revanche que l’homme doit prendre sur le premier amour trahi, celui qu’il a forcément porté à sa mère sans pouvoir le réaliser. » Ce constat de Freud, relayé dans nos pages par le psychanalyste Jacques André à la sortie de son ouvrage sur la sexualité masculine, a quelque chose d’exaspérant. Quoi, tant que le mâle sera issu d’une mère – ce qui n’est pas tout à fait près de changer – son comportement sera toujours dicté par l’antagonisme entre la maman et la putain ?

D’un côté, la femme qu’il aime et respecte, mais qu’il touche à peine. De l’autre, la créature qu’il méprise et condamne, mais qu’il désire comme un possédé ? Oui, répond placidement le spécialiste, car « l’inconscient est politiquement incorrect et l’homme peut être un fervent féministe tout en ne parvenant à éjaculer que si sa partenaire est en levrette ». Ou, pour être encore plus clair et citant Sade : « Il n’y a point d’homme qui ne veuille être un despote quand il bande. »

Pourquoi les femmes, dont l’Œdipe avec le père peut être aussi puissant, n’infligent-elles pas le même comportement discriminant à leurs partenaires ? Parce que, observe Jacques André, « le lien fille-père est beaucoup moins fort physiquement que le lien garçon-mère. Il est établi que certaines mères connaissent des orgasmes en allaitant leur enfant. Un petit garçon qui traverse cet épisode est forcément marqué, sinon traumatisé par cette vague de désir qu’il provoque malgré lui. Il faut savoir que la sexualité prégénitale ne s’efface pas avec la sexualité génitale ».

Toujours, le droit de cuissage…

On peut refuser cette lecture freudienne qui dépolitise la question et pourrait, dans l’absolu, déculpabiliser les Weinstein du monde entier. Une lecture qui est d’ailleurs elle-même déjà dictée par une vision culturellement marquée de la société. Que l’on soit clair, je méprise sans détour les porcs décomplexés qui confondent pouvoir professionnel et jouissance sexuelle. Une pulsion n’est pas encore une action et les (petits) chefs qui choisissent d’abolir la frontière entre les deux sont les ennemis du genre humain. Mais, vu l’ampleur des cas dénoncés ces jours sur les réseaux sociaux, on réalise aussi que l’émancipation féminine des cinquante dernières années a à peine égratigné ce droit de cuissage que l’on pensait d’un autre âge. En cela, face à cette obsession de la possession, l’aspect psychanalytique ne peut pas être exclu du débat.


« Toute sexualité est harcelante. Celle des hommes comme celle des femmes »

https://www.letemps.ch/societe/2017…

Marie-Pierre Genecand
Publié jeudi 7 décembre 2017 à 18:02
modifié vendredi 8 décembre 2017 à 10:24

Spécialiste de l’intimité masculine, le psychanalyste Jacques André explique pourquoi pouvoir rime souvent avec harcèlement. Il dit aussi comment l’inconscient, politiquement incorrect, reste imperméable au raisonnement

Harvey Weinstein, Tariq Ramadan et, ces jours, près de chez nous, le conseiller national démocrate-chrétien Yannick Buttet. Trois hommes de pouvoir à qui la carrière sourit, ou plutôt souriait, avant que leur profil de prédateurs sexuels ne soit dévoilé.

Mais comment, se demande-t-on, comment des êtres programmés pour le succès et qui ont tant travaillé pour atteindre le sommet peuvent-ils prendre le risque de tout perdre en se rendant coupables de harcèlement ? Est-ce que la réussite joue un rôle dans cet appétit de domination ? Et, si tout se passe au-delà de la raison, quelle pourrait être la solution pour diminuer le nombre de ces mufles qui confondent pouvoir et droit de cuissage ?

Le psychanalyste Jacques André (photo J. F. robe), auteur de La Sexualité masculine, répond, mais n’est pas très optimiste. Car, dit-il, « l’inconscient est politiquement incorrect et la sexualité fondamentalement harcelante ». Entretien.

Le Temps : Jacques André, comment expliquer que réussite professionnelle rime souvent prédation sexuelle ?

Simplement parce que tout pouvoir est affaire d’érection. Regardez le poing levé des anarchistes ou le salut des fascistes. Chaque fois, l’expression d’une puissance collective prend les traits phalliques d’un pénis au garde-à-vous. Il y a une complicité profonde, une continuité entre sexe et pouvoir. Et cette complicité s’exerce aussi lorsque l’ascension est individuelle. Un homme qui gagne, ce n’est pas un homme qui sacrifie sa libido pour obtenir ce qu’il convoite. C’est un homme dont la libido est stimulée par sa réussite.

D’accord pour les pulsions, mais la raison ne devrait-elle pas dicter à ces « winners » souvent brillants un comportement qui les protège de la disgrâce collective ?

Bien sûr, sauf que la raison est congédiée dans ce genre d’exercice ! L’inconscient ne connaît pas de limite et ignore totalement les précautions. On se souvient de DSK et de son avenir tout tracé pour devenir président de la République française. Au moment où ce politicien de talent trousse les femmes de chambre dans les grands hôtels, il n’est pas l’homme public, mais un pervers soumis à la réalisation de son fantasme. A ses propres yeux, dans ces instants-là, il est tout-puissant, au-dessus de la loi, inaccessible.

On parle aussi d’autodestruction inconsciente pour ces géants qui dressent eux-mêmes le piège se refermant sur eux. Quel est votre point de vue ?

Il y a bien sans doute une pulsion destructrice dans leurs actes. De toute manière, toute sexualité est harcelante. Dans tout acte sexuel cohabitent la jouissance et la violence. Ce sont les deux faces de la même pièce. Et c’est vrai pour les hommes comme pour les femmes. Depuis trente ans que je fais ce métier de psychanalyste, j’ai connu des femmes qui, publiquement, se battaient pour la parité et le respect entre les sexes et qui, dans le secret de l’alcôve, avaient besoin d’être humiliées pour avoir du plaisir.

Comme un hiatus entre leurs convictions et leurs fantasmes ?

Exactement. Je me souviens par exemple d’une militante féministe convaincue qui racontait ne jouir vraiment que lorsqu’elle couchait dans des hôtels glauques, assouvissant ainsi un fantasme de prostitution. Dans cette période de redressement de torts, on oublie souvent que la sexualité des femmes n’est pas plus politiquement correcte que celle des hommes. Si les cas de harcèlement sexuel sont majoritairement masculins, c’est simplement parce que lorsqu’un homme abuse d’une femme, il est en train de vérifier la puissance de sa sexualité. A ce titre, on pourrait dire que la fragilité de l’érection est le problème de l’humanité depuis la nuit des temps. Les inquiétudes sur la virilité ont l’âge de la virilité.

Sauf que tous les mâles ne sont pas des agresseurs, et de loin ! Beaucoup d’entre eux disent que tout homme peut se retenir et que, partant, l’abus est un choix…

Je trouve cette déclaration d’une naïveté touchante. Si les êtres humains étaient égaux face aux pulsions, ça se saurait ! Certains individus ont un ego bien construit, qui fait parfaitement la différence entre le dedans et le dehors, le permis et l’interdit, et qui a intégré ce principe selon lequel la liberté de l’un s’arrête là où débute celle des autres. Ce n’est pas la volonté des êtres tempérés qui leur permet de résister, mais la qualité de leur personnalité psychique et la réussite du refoulement. Les harceleurs sont des hommes chez qui l’ego mal fini provoque un manque chronique de sécurité. Ils ont beau multiplier les signes extérieurs de succès, leur intérieur reste tragiquement inquiet et soumis à la vie pulsionnelle.

Dans le cas qui occupe la Suisse romande, ces jours, le politicien incriminé est originaire du Valais, canton catholique et conservateur. Un élément déterminant ?

Et comment ! Le catholicisme est la religion qui a le plus sexualisé le péché. Avec l’idée de la faute originelle, ce sont 2000 ans de relations extrêmes à la sexualité qui ont été dictées. Un mélange de haine totale et de sidération totale. Avec, évidemment, comme conséquence, un refoulement violent pour les pratiquants les plus clivés. Dois-je vous parler de la pédophilie en milieu clérical pour vous convaincre ?

Et l’alcool ? Peut-il être la cause de débordements sexuels ?

Non. L’alcool est un symptôme, jamais une cause. Il désinhibe le consommateur, mais ne transforme pas le « moi ». Il peut faciliter le passage à l’acte, mais pas l’expliquer.

Quelle solution collective peut-on apporter à ce syndrome du harcèlement ?

Il y a déjà l’action judiciaire et répressive. Ce n’est pas une solution en profondeur puisqu’elle vient de l’extérieur, mais elle a l’avantage de marquer une limite. Tel sénateur était bien connu pour pincer allègrement les fesses des dames dans les couloirs du Sénat sans avoir jamais été inquiété, quelques gifles mises à part. La différence, aujourd’hui, c’est que « qui pince paie » ou est susceptible de payer.

Et, plus en profondeur, comment agir sur ce fameux inconscient politiquement si incorrect ?

Sur le plan collectif, on peut contrer cet inconscient dominant à travers la démocratisation des pratiques, ce qui est déjà en cours. Avec l’avènement des nouvelles manières d’être en couple et d’être parents, la société élargit ses possibles et agit sans nul doute sur les sources collectives de l’inconscient, ce qui modifie la place de l’homme alpha. Il est possible que petit à petit, l’inconscient individuel se transforme au gré de ces changements collectifs, mais ça reste un changement très relatif. Il n’y a pas de traitement social de la part la plus sauvage de la vie sexuelle.

Comment expliquer cette chasse aux harceleurs qui saisit le monde occidental ?

Elle est liée à la libération d’une parole publique des femmes et c’est une bonne chose. Mais c’est aussi une immense hypocrisie. Car si l’on voulait vraiment respecter la gent féminine, on cesserait séance tenante le commerce des films pornographiques qui, à 90%, montrent des femmes en situation de soumission. La masturbation de l’homme seul devant son écran lui permet de maintenir une domination que la réalité sociale lui refuse. C’est sans risque pour lui. Avec cette vague de dénonciations et ce climat de méfiance, la vapeur ne va pas s’inverser. On peut dire adieu à la drague spontanée, ce qui est bien dommage. Elle va être très certainement remplacée par la rencontre en ligne qui permet à chacun de se protéger.

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« La Sexualité masculine », Que Sais-je ?, PUF, Paris, 2013

A paraître : « L’inconscient est politiquement incorrect », Stock, Paris, avril 2018

1 Message

  • Le harcèlement sexuel vu depuis la Suisse 15 décembre 2017 18:45, par Dominique

    J’aime bien la deuxième partie, celle du psy. Il a l’air d’être compétent et de bien maîtriser son sujet.

    Par contre la première partie est du grand n’importe quoi. "Or, vu le climat général et vu que, selon l’article sur le harcèlement sexuel inscrit dans la loi fédérale sur l’égalité, « ce qui compte n’est pas l’intention de la personne qui importune, mais la manière dont la personne concernée perçoit et ressent son comportement », beaucoup d’hommes n’osent déjà plus se lancer en live." Visiblement, nous ne fréquentons pas les mêmes milieux. Arrivés à cette phrase, j’ai ouvert la brochure et, en page 8 nous pouvons lire (loi européenne) :

    " « Le harcèlement fait référence à un comportement abusif, répété, dirigé
    à l’encontre d’un salarié ou d’un groupe de salariés et consistant
    à traiter injustement, à humilier, à fragiliser ou à menacer la personne
    harcelée. …"

    D’abord cette brochure parle du harcèlement sur les lieux de travail et pas que du harcèlement subi par les femmes. Ensuite elle définit le contexte : "un comportement abusif, répété".

    De plus en page 10 qui parle de la loi citée, toutes les causes pouvant constituer harcèlement sont mises au pluriel, ce qui implique que cette loi suisse est conforme à la loi européenne et que le harcèlement, en Suisse aussi, consiste en une pratique répétée.

    Donc il n’est pas interdit de draguer en Suisse, mais quand une femme ou n’importe qui d’autre te dit non, ça veut dire non. Les milieux que je fréquente (qui comptent de nombreuses féministes) sont très clair là-dessus.

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