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Dismaland, le paradis perdu de Banksy

samedi 1er avril 2017, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 1er avril 2017).

http://www.lemonde.fr/arts/article/…

LE MONDE | 24.08.2015 à 06h49 • Mis à jour le 25.08.2015 à 14h01

Par Emmanuelle Jardonnet (Weston-super-Mare (Royaume-Uni), envoyée spéciale)

"Dismaland Bemusement Park", l’exposition de Banksy à Weston-super-Mare en Angleterre. VIRGINIE NOEL POUR "LE MONDE"

Le street artist a créé, avec une cinquantaine d’artistes, un parc d’attractions éphémère à côté de Bristol, sa ville natale.

Weston-super-Mare, nombril du monde ? Avant d’avoir la moindre idée de l’événement qui se tramait dans le plus grand secret depuis des mois, les regards des curieux du monde entier étaient depuis quelques jours braqués sur cette petite cité balnéaire endormie du Somerset, au sud-ouest de l’Angleterre, à une trentaine de kilomètres de Bristol. Des indices laissaient penser que Banksy l’avait élue comme théâtre d’un nouveau projet. L’hypothèse a électrisé les réseaux sociaux.

Jeudi 20 août au matin, le voile était officiellement levé : le plus célèbre et mystérieux des artistes urbains annonçait sur Internet l’ouverture dès le lendemain de Dismaland (mélange de Disneyland et de lugubre), son « Bemusement Park » (jeu de mot entre parc d’attractions et perplexité). Et la modeste Weston-super-Mare devenait, à la grande surprise de ses habitants, the place to be. Une destination convoitée qui se présente pourtant comme « le nouveau parc d’attractions le plus décevant de Grande-Bretagne ! », et « un festival artistique, d’attractions foraines et d’anarchisme de bas niveau », comme le précise le plan des lieux avec cette tournure d’esprit savoureusement provocatrice devenue la marque de fabrique de l’artiste.

"Les agents de Dismaland, qui arborent des oreilles de Mickey, sont visiblement tous en dépression. Ici sur le stand de tir. VIRGINIE NOEL POUR "LE MONDE"

« Un souvenir d’enfance »

Le choix de cette ville pour imaginer son parc désenchanté n’était pas tout à fait un hasard. Sur ce même site, large promontoire en pierre sur la plage, existait une piscine, le Tropicana, fermée il y a une quinzaine d’années. Enfant, quand Weston-super-Mare était encore une destination populaire du week-end pour les habitants de Bristol, le jeune Banksy la fréquentait. « Il vient faire revivre un souvenir d’enfance, qu’il partage avec beaucoup de monde ici », explique son ami Inkie, figure du graffiti à Bristol.

Dans un entretien au magazine d’art urbain Juxtapoz, Banksy explique que ce public de locaux, qui ne fréquente pas les musées dans leur majorité, est aussi, pour lui, « le public parfait » pour découvrir les œuvres de la cinquantaine d’artistes qu’il a choisi de présenter. « Banksy n’a pas fait d’école d’art, c’est une personne du peuple, et il continue à s’adresser à tout un chacun dans ses œuvres. L’art est pour lui une plate-forme pour commenter notre société », souligne Rob Dean, qui dirige Where The Wall, une structure consacrée à la culture du street art à Bristol.

Des visiteuses près d’une sculpture signée Banksy. VIRGINIE NOEL POUR "LE MONDE"

L’inauguration, vendredi 21 août, illustrait parfaitement l’immense spectre de son public, avec la session de la journée réservée aux locaux et la session du soir réservée aux invités triés sur le volet, venus du monde entier, galeristes, artistes, collectionneurs. La première a attiré des gens de tous âges, dont certains ont campé sur place pour être sûrs d’avoir l’une des mille entrées en avant-première, comme Terry Hatt, sémillant octogénaire en costume à motifs Union Jack. « C’est fantastique pour nous d’avoir une exposition qui parle de la société contemporaine, plutôt que des peintures anciennes. Ça nous parle d’aujourd’hui, du monde globalisé », explique James, 31 ans, qui a affronté la nuit avec une chapka. « Ce qui me plaît, chez Banksy, c’est que cela incite toujours à réfléchir. Il montre la face sombre des choses, ce que l’on n’a pas envie de voir, c’est courageux », estime Shane, travailleur social de 40 ans.

Spectacle de désolation

A 11 heures, le public pénètre dans l’enceinte, découvrant un parc d’attractions en fin de course. Les haut-parleurs diffusent une musique hawaïenne fatiguée entrecoupée de fausses annonces, enregistrements vocaux de slogans politico-poétiques de l’artiste américaine Jenny Holzer. L’agence de « prêt d’argent de poche », qui propose des prêts aux enfants, risquant de les endetter à vie, elle, est bien pimpante.

Les agents du lieu, qui arborent des oreilles de Mickey, sont visiblement tous en dépression. « Ah, c’est tellement juste !, s’amuse Maya, 18 ans. Je me sentais exactement comme ça quand je travaillais dans un supermarché », explique-t-elle tout en jouant au minigolf dans un environnement pollué, sur les restes d’une station-service. Au centre de ce spectacle de désolation, une sculpture de la Petite Sirène – dont l’image est déformée comme si on en perdait le signal – trône dans les restes de l’ancienne piscine, transformée en douves-égouts d’un château de conte de fées en ruines. Le plan incite à le visiter « afin de voir ce que cela fait d’être une vraie princesse ». A l’intérieur, Cendrillon a le destin de Lady Di : son carrosse s’est renversé, et des paparazzis motards bombardent la scène de leurs flashs.

Une employée du parc devant la fontaine de Banksy, la grande roue et le cheval géant de Ben Long. VIRGINIE NOEL POUR "LE MONDE"

Ce parc, Banksy l’a voulu à l’image de la société : « C’est décousu, incohérent et narcissique, donc peut-être qu’on y est presque. » Mais derrière le chaos apparent, l’exposition est extrêmement bien pensée et organisée. Les œuvres en plein air, les plus interactives, sont parmi les plus potaches. La grande roue tourne à l’envers ; dans le carrousel, un ouvrier transforme des petits chevaux de bois en lasagnes, la pêche aux canards se pratique dans une marée noire… Un soldat de La Guerre des étoiles s’est visiblement trompé de parc d’attractions, et sanglote. C’est pour cet espace ludique et cruel que Banksy a imaginé l’une des œuvres les plus frappantes : un bassin de petits bateaux télécommandés surchargés de migrants, entourés de noyés.

Fidèle à l’esprit du street art

Tout autour, des tentes ou des bus donnent lieu à de petites expositions. Comme celle, très politique et documentée, vouée au design et à la logistique de la surveillance. Ou une yourte transformée en galerie de la poésie de la contestation. Le cinéma en plein air propose une sélection de courts-métrages d’animation poétiques, dont un irrésistible cours de relaxation politiquement incorrect. Molly, septuagénaire, s’attarde dans la tente « Le Sommeil de la raison », cabinet de curiosités aussi oniriques que monstrueuses, où domine la fameuse licorne de Damien Hirst, dans son aquarium de formol. « Je ne suis pas très fan de street art à la base, mais tout cela est très intelligent, cela permet de regarder les choses autrement, et il y a tellement d’artistes différents ! », confie-t-elle.

Au "Dismaland Bemusement Park", une pêche aux canards couverts de pétrole. VIRGINIE NOEL POUR "LE MONDE"

D’ailleurs, est-ce encore du street art ? Non, déclare Banksy à Juxtapoz. Pour son ami Inkie, le concept de l’exposition reste fidèle à l’esprit du street art : « C’est un élargissement du propos : ouvrir l’esprit des gens. Pour moi, c’est encore du street art dans le sens où le concept est anarchiste, punk, anti-establishment. Tout cela est né dans la rue, mais c’est le niveau supérieur. » L’intérieur du bâtiment qui longe tout l’espace se présente comme une suite de galeries, avec de bonnes conditions pour découvrir les œuvres, installations, et peintures, de grande taille. On recroise James, qu’on a failli ne pas reconnaître sans sa chapka. « C’est encore mieux que ce que j’espérais », confie-t-il songeur et concentré.

« Have a dismal day… », souhaite avec une voix lasse l’hôtesse aux visiteurs se dirigeant vers la sortie. S’il est lugubre et déprimant, à l’image de notre monde chaotique, le paradis perdu de Banksy n’en est pas moins galvanisant. Le sourire est sur tous les visages.

Le château, la Petite Sirène de Banksy et la grande roue se trouvent au centre du parc. VIRGINIE NOEL POUR "LE MONDE"

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Une célébrité à l’identité secrète

Grands coups et coûts font la réputation du mystérieux graffeur britannique. Les derniers tours de force de Banksy ont été une intervention nocturne dans la ville de Gaza en début d’année pour réaliser plusieurs peintures sur des ruines, notamment un grand chaton blanc. Façon aussi ironique qu’efficace pour attirer l’attention mondiale sur la situation humanitaire dans le territoire. Fin 2013, il avait fait irruption dans les rues de New York pour une résidence sauvage d’un mois, où il imaginait chaque jour une œuvre en dialogue avec la ville. Célèbre pour ses pochoirs en noir et blanc, il crée aussi des installations et des sculptures, et les ventes de ses œuvres atteignent des records dans le street art. Il est également l’auteur du génial mockumentaire (faux documentaire) Faites le mur ! Si son identité est toujours restée secrète, on sait qu’il a grandi à Bristol, qu’il a une quarantaine d’années et qu’il affectionne les déguisements pour ne pas être reconnu.

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« Dismaland », Marine Parade, à Weston-super-Mare (Somerset). Jusqu’au 27 septembre, de 11 heures à 23 heures. 3 livres sterling (4,15 euros) : http://dismaland.co.uk/


L’installation de Bill Barminski, "Security Screening Room", à l’entrée de l’exposition.


Des visiteuses près d’une sculpture signée Banksy.


"Cendrillon accidentée" connaît le destin de Lady Di : son carrosse s’est renversé, et des paparazzis motards bombardent la scène de leurs flashs.


Des visiteurs se font prendre en photo devant le château.


Le Carousel et le "Big Rig Jig" de Mike Ross.


Une employée du parc estropiée avec une sculpture de Banksy.


Pêche aux canards couverts de pétrole.


Vue du "Géodome" de Banksy.

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