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L’ordinateur quantique séduit les géants de la Silicon Valley

dimanche 11 février 2018, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 11 février 2018).

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Denis Delbecq
Publié vendredi 3 novembre 2017 à 18:54
modifié lundi 6 novembre 2017 à 09:29

Ce rêve de scientifique est devenu un moteur pour les géants de l’industrie. IBM, Microsoft, Intel et Google viennent de confirmer leur intérêt pour l’ordinateur quantique, une machine qui pourrait surpasser les supercalculateurs d’ici à une décennie

« Quel ordinateur utiliserons-nous pour faire des simulations de physique ? » s’était interrogé le Prix Nobel de physique Richard Feynman en 1981. Et le facétieux chercheur de lancer une idée folle : pourquoi ne pas créer un ordinateur dont le fonctionnement reposerait sur les propriétés qu’il est censé étudier ? Un ordinateur quantique, pardi ! Trente-six ans plus tard, le message a convaincu les géants de l’informatique.

Le 23 octobre, Google a annoncé la mise à disposition de logiciels dédiés à ces futures machines. Quelques jours plus tôt, Intel avait présenté un prototype de processeur quantique. Deux exemples d’incursions industrielles dans un univers qui nous dépasse, celui de l’infiniment petit.

Du bit au qbit

Les physiciens le savent, quand on étudie de près un électron, un atome ou une particule de lumière, leur nature échappe au sens commun. Ces objets peuvent se trouver à deux endroits à la fois ou dans plusieurs états en même temps. On peut aussi les intriquer — les lier — puis les éloigner de mille kilomètres sans défaire leur attache ou téléporter certaines de leurs propriétés. Un comportement propre à révolutionner le fonctionnement des ordinateurs, avait perçu Richard Feynman.

Dans une puce électronique, l’information élémentaire est portée par le bit, qui peut valoir 0 ou 1 suivant qu’un courant passe ou pas dans un circuit élémentaire, le transistor. Cette physique est celle de la certitude : soit le courant circule, soit il n’y en a pas. Une certitude qui a un prix : un bit, c’est un transistor et deux possibilités. Avec la physique quantique, les compteurs s’affolent : 100 qbits — l’équivalent quantique du bit — représentent autant de transistors classiques qu’il y a d’atomes dans l’univers !

Et les cerveaux s’affolent aussi, puisque le qbit peut valoir 0 et 1 en même temps, ou même une infinité de valeurs comprises entre 0 et 1. Sans oublier que la physique quantique est le royaume de l’incertitude et des probabilités. On ne dit pas « le résultat du calcul est 1 », mais « j’ai 60% de chances pour qu’il soit 1 ». Cela change tout dans notre manière de concevoir nos algorithmes et nos programmes, une vraie tempête cérébrale.

D’où l’arrivée sur le créneau de Google, dont on avait découvert l’appétit quantique quand le géant avait débauché, en 2014, l’universitaire américain John Martinis, l’un des meilleurs spécialistes des puces quantiques. Google vient de lancer un ensemble d’outils gratuits, destiné à programmer ces futurs ordinateurs. Chez Microsoft, on prépare, entre autres, un langage de programmation dédié. Quant à IBM, pépinière à Nobel et pionnier de la puce quantique, il a relié un prototype au cloud pour permettre aux scientifiques de se faire la main sans bourse délier.

Qbit logique

Pourtant, l’ordinateur quantique est encore dans les limbes. Il y a six ans, une puce capable de gérer 2 qbits pouvait faire des choses simples, retrouver un numéro dans un annuaire… de quatre personnes ! Aujourd’hui, le prototype d’Intel contient 17 qbits, ce qui correspond à 132 000 transistors classiques, l’équivalent d’une puce antédiluvienne pour PC, l’Intel 80286 sorti en 1982… Mais cette équivalence est toute théorique puisqu’on est loin de pouvoir résoudre de vrais problèmes tant les qbits sont capricieux et fragiles, si prompts à interagir avec leur environnement. Chaque qbit est donc entaché d’erreur. Si bien qu’il en faudra beaucoup pour corriger ces erreurs et représenter ce qu’on appelle un qbit logique, un qbit réellement utilisable.

« Avec les taux d’erreurs que l’on constate aujourd’hui, il faudra peut-être des milliers de qbits physiques pour représenter un seul qbit logique », souligne Damian Steiger, du groupe de physique du calcul de l’Ecole polytechnique fédérale de Zürich (EPFZ). La puce d’Intel sera donc vouée à la mise au point de techniques de correction d’erreur, dans le cadre d’un projet qui associe l’Université de technologie de Delft (QuTech) aux Pays-Bas, mais aussi le groupe d’Andreas Wallraf à l’EPFZ et la start-up suisse Zurich Instruments.

Spin et ions

Aujourd’hui, les concepteurs de qbits travaillent principalement dans trois directions. La plus en vogue est la Jonction Josephson, un composant refroidi près du zéro absolu (–273°C). « Leur fabrication s’appuie sur des techniques classiques de l’industrie électronique, justifie Frank Wilhelm-Mauch, de l’Université de la Sarre, qui prépare un rapport sur l’informatique quantique pour le gouvernement allemand. Et il est relativement facile de les interconnecter pour créer des composants complexes. On pourrait en associer des millions. »

La seconde direction, historiquement la première, est l’utilisation d’ions — des atomes débarrassés d’un ou de plusieurs électrons — piégés dans un encombrant fatras de lasers. « Leur avantage est un taux d’erreur plus bas que celui des supraconducteurs. » En revanche, chaque qbit ajouté est un casse-tête — notamment géométrique — et oblige à tout reconstruire. « Il existe aussi une troisième voie, qui s’appuie sur une propriété magnétique des particules, le spin, dans des structures nanométriques. Le démarrage a été laborieux, mais ce procédé a rattrapé une grande partie de son retard. Ses performances égalent celles des supraconducteurs il y a cinq ans. »

Plusieurs applications possibles

Quelles applications attendre de ces futures machines ? « On sait que l’ordinateur quantique sera très utile pour concevoir des matériaux, des molécules pharmaceutiques ou résoudre des problèmes d’optimisation, par exemple pour trouver le plus court chemin dans un réseau », indique Andreas Wallraff. De même, il devrait doper l’apprentissage par les machines et l’intelligence artificielle. Et bien sûr prolonger l’idée de Richard Feynman, puisque les ordinateurs classiques ne peuvent simuler le comportement de systèmes comportant plus d’une quarantaine de qbits.

« Une fois franchi le seuil de 49 qbits, l’ordinateur quantique aura prouvé qu’il est plus performant que les supercalculateurs pour ce type de simulation. » On chercherait donc à construire des ordinateurs quantiques pour… étudier les ordinateurs quantiques ? Bien sûr, c’est même le plus sûr moyen de les améliorer ! N’oublions pas que si les puces classiques ont connu une évolution si spectaculaire depuis les années 1970, c’est bien grâce à la capacité de simulation des machines qu’elles permettent de construire.


Course internationale autour de la physique quantique

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Denis Delbecq
Publié jeudi 8 février 2018 à 18:43

La Chine multiplie les initiatives et les projets spectaculaires en matière de communications quantiques, un domaine dont elle était totalement absente il y a moins de vingt ans. Après avoir formé les experts chinois, l’Europe et les Etats-Unis peuvent perdre leur leadership

21 août dernier. Des physiciens chinois décrivent dans Optics Express des expériences de physique quantique dans des tubes remplis d’eau de mer. Une drôle d’idée ? Pas si sûr : dès le 30 août, le chef d’orchestre du programme chinois de recherche en physique quantique, Jianwei Pan, et le patron du chantier naval CSIC – qui construit les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins du pays – ont annoncé la création d’un laboratoire commun sur « les communications quantiques, la navigation quantique et les radars quantiques », selon CSIC. Une illustration des ambitions affichées par la Chine dans des domaines jusque-là dominés par les Etats-Unis et l’Europe.

Cryptographie quantique

Imaginée au tout début du XXe siècle pour décrire le comportement intime de la matière et de la lumière, la physique quantique est sortie du domaine fondamental dans les années 1980, avec la mise au point de méthodes inédites pour transmettre les clés qui permettent de chiffrer – et de déchiffrer – les messages secrets. Cette cryptographie profite notamment d’une étonnante propriété, l’intrication quantique, qui lie les propriétés de particules telles que des photons de lumière quelle que soit la distance qui les sépare. L’intrication permet même de téléporter des informations, comme l’a montré, expérimentalement en 1997, le groupe d’Anton Zeilinger à l’Université de Vienne, auquel appartenait un certain… Jianwei Pan, venu se former en Europe.

La cryptographie quantique est en théorie inviolable : sa sécurité est garantie par l’impossibilité de cloner – ou de couper en deux – un photon. « Elle reste sûre même quand les sources de photons intriqués sont fournies par votre ennemi ! » confiait récemment Jianwei Pan. Et c’est une excellente nouvelle, car nos sociétés hyper-connectées vivent désormais avec une épée de Damoclès : la cryptographie classique, mathématique, qui sécurise notamment nos achats en ligne, ne résistera pas longtemps aux performances stupéfiantes qu’augurent les futurs ordinateurs quantiques.

Arsenal de cybersécurité menacé

Une course contre la montre s’est même engagée entre industriels, à l’image d’IBM et Google : des clés qui réclament des centaines d’années pour être « cassées » avec les ordinateurs actuels pourraient être dévoilées en quelques secondes par un ordinateur utilisant la physique quantique ! Les progrès sont si rapides qu’il est envisageable que, dès cette année, un ordinateur quantique parvienne à résoudre un calcul hors de portée des supercalculateurs classiques. Une fois ces ordinateurs commercialisés, notre arsenal de cybersécurité serait alors menacé, accélérant le recours aux communications quantiques. « Il est indiscutable que la Chine a acquis le leadership des démonstrations technologiques dans ce domaine, regrette Anton Zeilinger. Elle est en train de se forger un avantage en termes militaires et, plus grave sans doute, en matière d’intelligence économique. »

Pourtant, en 1996, Jianwei Pan avait dû se résoudre à rejoindre l’Autriche, la Chine étant totalement absente du domaine. Comme lui, de nombreux scientifiques chinois se sont formés dans les meilleurs laboratoires européens et américains, avant de repartir dans un pays converti entre-temps aux enjeux quantiques. « Nous importions les outils cryptographiques des Etats-Unis, justifie Jianwei Pan. Nous savions que nos communications étaient écoutées, à commencer par le téléphone portable du premier ministre. La Chine se devait donc de développer son propre savoir-faire. »

Satellite expérimental

C’est ce qu’elle a fait : le pays dispose d’un embryon d’internet quantique unique au monde – 2000 kilomètres entre Shanghai et Pékin – utilisé par le gouvernement, les universités et des industriels. Parallèlement, le pays a lancé, en 2016, un satellite expérimental de communications quantiques qui multiplie les prouesses. En septembre dernier, il a sécurisé une vidéoconférence entre Pékin et Vienne, une première.

Un tel satellite aurait dû, selon toute logique, porter une bannière européenne, puisque Anton Zeilinger a tenté dès 2005, en vain, de convaincre des institutions du Vieux Continent avant de se résoudre à aider son ancien étudiant. « Il existe en Chine une vraie volonté d’avancer, qui tranche avec le train-train d’une Europe obsédée par les économies budgétaires », s’insurge Nicolas Gisin, de l’Université de Genève, l’un des pionniers des communications quantiques. Il a notamment cofondé, en 2001, ID Quantique, le leader mondial du domaine. Une entreprise dont plus de la moitié des ventes, l’an dernier, ont eu lieu en Chine. « Cela prouve bien que la Chine n’a pas encore de leadership sur les communications quantiques par fibre optique, même si sa communication est très habile. »

Un avis partagé, à Bruxelles, par Khalil Rouhana, le directeur général adjoint de la direction des réseaux de communication, contenu et technologies de la Commission européenne. « La Chine a certes rattrapé son retard dans les communications quantiques, mais l’Europe est particulièrement bien positionnée. » L’UE vient de lancer une « initiative sur les technologies quantiques » dotée de 1 milliard d’euros, dans laquelle la Suisse est très active, notamment au travers d’ID Quantique, d’IBM Zurich et de l’Etat. Elle cible, entre autres, les communications quantiques, l’ordinateur quantique et la détection quantique de signaux, un domaine balbutiant aux retombées multiples (positionnement par satellite, imagerie médicale, radars et sonars civils et militaires, etc.).

Gros investissements chinois

Cela suffira-t-il face aux 10 milliards investis par la Chine en cryptographie quantique, qui vient d’en annoncer 10 autres pour l’ordinateur quantique ? « Il faut se méfier des chiffres, avertit Khalil Rouhana. Le milliard d’euros de l’UE aura un effet d’entraînement. Il devrait générer au moins 5 à 6 milliards de financements publics et probablement autant du secteur privé. De plus, cette initiative ne se dissocie pas d’autres programmes de l’UE sur le calcul à haute performance ou les nanotechnologies. L’effort européen est au moins aussi important que celui de la Chine. »

Difficile, en revanche, de chiffrer l’ampleur des investissements aux Etats-Unis. « Beaucoup de recherches sur les technologies quantiques se font ici dans un cadre secret, dans l’industrie ou la défense, analyse Christopher Monroe de l’Université du Maryland, l’un des meilleurs spécialistes de l’ordinateur quantique. Mais l’argent et la technologie ne résolvent pas tout. En matière de cybersécurité, ce sont les humains qui constituent le maillon faible ! L’informatique et la détection quantiques auront beaucoup plus d’impact sur l’avenir, et là la Chine est très en retard. »

Mais sa montée en puissance pourrait avoir un effet délétère et imprévu. « Jusqu’à présent, nous avons accueilli d’excellents étudiants chinois, dont beaucoup restent. Mais s’ils commencent à rentrer en Chine, ce qui est encore minoritaire, ce serait une grosse perte pour la recherche quantique en Europe et aux Etats-Unis. »

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