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Aux racines de la crise : le statut des actions dans le « capital fictif ». . . (Suite) "Le signe de l’automne..." Crépuscule du capitalisme ?

dimanche 18 mars 2018, par Luniterre (Date de rédaction antérieure : 18 mars 2018).

Aux racines de la crise :

Le statut des actions dans le « capital fictif ». . .

(2e partie) "Le signe de l’automne". . . Crépuscule du capitalisme ?

« La financiarisation fut donc aussi le printemps du capitalisme industriel. Si elle est aujourd’hui le signe de l’automne, il faut expliquer pourquoi. »(Cédric Durand)

Dans notre première partie sur le sujet, nous tentions d’expliquer à notre camarade WH, du site « les prolétaires de fer » :

« l’« idéal » du capitaliste reste le plus court chemin, A-A’, pour l’accumulation du capital…

Tout capital a donc nécessairement un double caractère, et « productif » et « spéculatif ». Un aspect ou l’autre devient seulement prépondérant selon les situations. »

Le capital-actions est le cas typique de ce double caractère, et ça ne date pas d’hier…

La création d’une société industrielle par actions permet effectivement l’investissement immédiat d’un capital productif, mais qui ne tarde pas, précisément sous la forme des actions cotées en bourse, si l’entreprise prospère, à faire l’objet de spéculations multiples !

A l’occasion d’une recapitalisation, nécessaire, selon les cas, pour le développement ou le sauvetage de l’entreprise, on constate encore mieux le caractère double du capital-action, à la fois nécessaire, dans ce cas, à l’outil de production, en tant que capital social, et objet de spéculations financières multiples, à la hausse ou à la baisse, selon les circonstances…

Spéculation et « productivité » du capital sont en réalité, et dès l’origine de la révolution industrielle, absolument liés de façon indissoluble, mais avec le stade impérialiste du capitalisme et la domination du capital financier, l’aspect spéculatif est devenu largement dominant, non pas de façon conjoncturelle « provisoire », mais de façon systémique et comme principe même de fonctionnement et de développement du capitalisme.

La domination des monopoles, c’est non seulement d’abord la domination du capital financier, mais la domination du capital spéculatif, et notamment et principalement sous la forme du capital-actions.

La crise systémique actuelle n’est pas seulement une crise typique de la phase impérialiste du capitalisme, mais elle présente en outre un caractère particulier d’ « inflation » exponentielle du « capital fictif », à un niveau historiquement inédit, et selon un mode inédit, tel que nous l’avons donc abordé dans notre première approche du sujet,déjà en réponse au camarade WH.

https://tribunemlreypa.wordpress.com/2018/03/10/aux-racines-de-la-crise-le-statut-des-actions-dans-le-capital-fictif/

L’analyse et la compréhension de la situation actuelle nécessitent donc de ne pas se contenter de rabâcher les lieux communs d’un bréviaire pseudo-« marxiste » mais qui tiendrait plus, en fait, de brèves de comptoirs du « café du commerce » que de la réflexion sur une situation concrète qui est celle de notre époque.

Le caractère double du capital-action est précisément ce qui échappe à l’intuition de beaucoup d’observateurs, même dotés de quelques connaissances en économie, voire même, dotés d’une certaine culture marxiste, comme notre camarade WH :

« Pourquoi les actions seraient du capital fictif ? Une entreprise est bien réelle. Même le fait d’acheter des actions pour spéculer n’y change rien. Il y a bien de la spéculation sur la nourriture par exemple. » Nous écrit-il dans une de ses premières réponses.

« Les actions ne sont pas du capital fictif. C’est du papier qui circule, mais derrière il y a des entreprises avec une valeur bien réelle, même si leur prix ne la reflète pas forcément. » Tente-t-il de nous préciser par la suite…

« La base de l’analyse marxiste du capitalisme, c’est de partir de la propriété privée des moyens de productions. Les actions sont une forme de propriété privée des moyens de production, et les moyens de production ne sont pas une marchandise comme une autre, dans la mesure où l’état bourgeois garantit la propriété privée. En possédant une action, un capitaliste ne possède pas juste un bout de papier mais bien une partie d’une entreprise. »Affirme-t-il comme négation du caractère fictif du capital-action.

Ce que ce camarade ne comprend pas c’est précisément que l’action-capital n’est en rien, par elle-même, un titre de propriété sur l’entreprise, mais seulement, et encore, de façon indirecte et incomplète, sur une part de son capital social, et un droit éventuel à une part des dividendes sur les bénéfices. En fait elle n’est donc, tout au plus, qu’un droit de propriété …sur les droits afférents à cette part, et non sur le capital lui-même. Elle est par contre un moyen commode, pour les tenants du capital financier, de contrôler la majorité des capitaux en circulation, y compris ceux des épargnants et petits actionnaires. Ce qui est possible simplement en disposant d’une forte minorité de blocage dans chaque Conseil d’Administration, avec les voix afférentes à leurs paquets d’actions.

Comme nous avons essayé de lui expliquer de manière simplifiée :

« Si tu achètes une action 100 euros à l’entreprise T, elle augmente d’autant son capital. Tu as ainsi un droit sur ses bénéfices à venir. Peu après, tu décides de la revendre à X, le même prix, 100 euros. X récupère pour ce prix les droits sur les bénéfices à venir. Pour autant, les 100 euros que tu as versé au capital de l’entreprise T y sont toujours… !!! Que représentent les 100 euros que tu récupère, sinon simplement la "valeur" d’un droit sur des bénéfices hypothétiques… !! C’est à dire rien du tout, en fait. Une pure spéculation… Du vent, du capital "fictif", en réalité.

Le fait qu’un certain nombre d’actions permette de contrôler une boîte est un autre aspect du problème, mais qui ne change rien à la nature fictive de ce capital, même si les choix de gestion, ensuite, peuvent effectivement le rendre plus ou moins "productif", dans tous les sens du terme… C’est le capital réel de la boîte, C+V, (en simplifié :Machines + Masse salariale) qui est seul productif, au sens littéral et marxiste du terme, en fin de compte. »

A bien noter, ici, que la « valeur » de revente de l’action n’est généralement pas équivalente à la part du capital social qui lui a donné naissance, et dont elle se trouve être, ici, un dédoublement 100 € pour 100€, mais qui peut être aussi bien 50 pour cent ou 150 pour cent, au gré de l’acheteur, ou toute autre valeur arbitraire, d’abord essentiellement en fonction du marché financier, et seulement secondairement, en fin de compte, de la valeur réelle de l’entreprise.

Mais s’accrochant à son idée reçue, le camarade réaffirme encore :

« Si tu achètes une action, tu achètes une part d’une entreprise. Cette part a donc une valeur et un prix. »

Et il nous cite à l’appui de cette réaffirmation une courte définition en lien, sans prendre vraiment conscience qu’elle précise exactement ce que nous tentons de lui expliquer, y compris sur le caractère incomplet de ce mythique « titre de propriété »….

« Le capital social est le patrimoine formant une partie des capitaux propres de la société et qui est apporté par les actionnaires. Cette contribution est apportée lors de la création de la société, ou lors d’une augmentation de capital. Elle ne sera restituée aux actionnaires qu’au moment de la dissolution de la société. Le capital social peut être apporté en numéraire, mais aussi en nature (brevet, fonds de commerce…). Le capital social est l’un des modes de financement de la société, au même titre qu’un emprunt ou une dette. Une société dont le capital social est possédé à plus de 50 % par une autre est considérée comme la filiale de cette dernière. »

http://droit-finances.commentcamarche.com/faq/23619-capital-social-definition

Et donc dans cette logique « emprunt ou dette », on se retrouve bel et bien dans le domaine du capital fictif !

Et également dans l’approche classique marxiste de cette notion , telle que résumée par Trenkle, cité dans notre précédent article sur le sujet :

« Comme nous l’avons dit, le capital fictif consiste en une anticipation de valeur future. Mais que faut-il entendre par là exactement ? Et quelles en sont les conséquences pour l’accumulation du capital au plan global ? Commençons par la première question.

De manière générale, du capital fictif est créé chaque fois que quelqu’un cède son argent à quelqu’un d’autre en échange d’un titre de propriété (obligation, action etc.) représentant la créance que détient le donateur sur cette somme d’argent et sur son accroissement (sous la forme d’intérêts ou de dividendes, par exemple). Ce processus dédouble la somme initiale. Elle existe maintenant deux fois et peut être utilisée par les deux parties. Le bénéficiaire peut dépenser l’argent en achetant des biens de consommation, en investissant dans l’économie réelle ou encore en acquérant des actifs financiers, et pour le donateur cet argent est devenu du capital-argent qui lui procure un profit régulier.

Ce capital-argent, toutefois, ne consiste en rien de plus qu’un titre écrit représentant l’anticipation d’une valeur future. »

Et donc également avec la distinction essentielle à faire entre capital fictif et capital réel, C+V !!!

« Ce qui est fictif dans le capitalisme, » Selon le camarade WH, « c’est la valeur de l’argent papier, qui peut être créé par les banques lorsqu’elles prêtent de l’argent, ce qui n’est pas la même chose qu’une obligation (où l’argent est réellement prêté et non pas créé comme dans le cas des crédits bancaires). »

S’il arrive à comprendre le côté fictif de l’argent créé par le crédit, notre camarade refuse donc obstinément de l’associer aux actions et obligations, alors que les tenants du système n’hésitent pas, quant à eux, à les classer ensemble d’abord dans les titres financiers, comme valeurs mobilières, et non pas, réellement, dans les titres de propriété…

« Valeur mobilière

Une valeur mobilière est un titre financier négociable, interchangeable et fongible qui peut être coté en bourse. Les principales valeurs mobilières sont les actions, les obligations, les titres de créances négociables, les parts d’OPCVM (Sicav et FCP), les bons de souscription, les certificats d’investissement, les warrants, les options et les stocks options. »

https://www.lesechos.fr/finance-marches/vernimmen/definition_valeur-mobiliere.html

Comprendre la nature réelle du capital-action, ce n’est nullement un exercice de scolastique, mais bien un élément essentiel de l’analyse que l’on peut faire, aussi bien de notre situation actuelle que de toute l’histoire économique et sociale dont elle découle et qu’il nous faut saisir dans son toute évolution dialectique si nous voulons pouvoir espérer intervenir politiquement en tant que communistes.

Comme on l’a vu, cela a une grande implication sur le lien entre les rapports de force entre puissances impérialistes et luttes de résistance, dans le passé, et les conséquences directes que cela a sur la nature des forces en présence, aujourd’hui, et les objectifs politiques immédiats qui s’imposent aux marxistes-léninistes.

https://tribunemlreypa.wordpress.com/2018/02/20/limperialisme-nest-pas-un-complot-cest-un-systeme-economique-a-la-base-du-capitalisme-mondialise/

Les prémisses de cette situation étaient donc déjà perceptibles à l’époque de Marx, notamment concernant le rôle du capital fictif, et il est particulièrement intéressant d’en revoir les premiers symptômes tels qu’observés par lui, et de les mettre en parallèle avec l’article de Cédric Durand auquel nous avons emprunté la première formule de notre sous-titre et la citation en exergue.

« La financiarisation fut donc aussi le printemps du capitalisme industriel. Si elle est aujourd’hui le signe de l’automne, il faut expliquer pourquoi. »(Cédric Durand)

Et en conclusion, signe d’une époque de résistance anti-impérialiste acharnée, celle de l’URSS, un chapitre spécialement consacré à ce sujet dans le Manuel d’économie politique de l’Académie des sciences de l’URSS !!!(édition 1954-55)

Luniterre

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Article source sur TML :

https://tribunemlreypa.wordpress.com/2018/03/15/aux-racines-de-la-crise-le-statut-des-actions-dans-le-capital-fictif-suite/

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Marx et le jeu des 1000 Livres…

Capital – Livre III - Chapître XXV :

Le crédit et le capital fictif

The Currency Question Reviewed :

« Il est incontestable que les 1000 £ que je dépose aujourd’hui chez A seront mises en circulation demain et constitueront un dépôt chez B. Après-demain elles passeront à C,et ainsi de suite d’une manière indéfinie. Ces 1000 £ de monnaie peuvent donc, grâce à ces transferts successifs, représenter une somme indéterminable de dépôts, et c’est ainsi qu’il est possible que les neuf dixièmes des dépôts n’existent en Angleterre que dans les livres des banquiers, responsables chacun pour leur part… Il en est de même en Écosse où la monnaie en circulation(presque exclusivement en papier !) ne dépasse jamais 3 millions de £ alors que les dépôts s’élèvent à 27 millions. Aussi longtemps qu’il ne se produit pas une demande de restitution brusque et en masse des dépôts (a run on the banks), ces mêmes 1000 £ revenant sur leurs pas pourront avec la même facilité solder un nombre indéterminable de comptes. Je les donnerai aujourd’hui à un commerçant à qui je les dois ; celui-ci les emploiera demain pour payer la dette qu’il a à l’égard d’un troisième ; ce dernier en fera usage après-demain pour se mettre en règle avec sa banque, et ainsi, passant de main en main et de banque en banque, ces 1000 £ solderont toute somme imaginable. » (NDLR : article cité par Marx)

Nous avons vu que déjà en 1831, Gilbart savait que « tout ce qui facilite les affaires facilite la spéculation, les deux étant souvent si intimement liées qu’il est difficile de décider où finissent les affaires et où commence la spéculation. » Plus il est facile d’obtenir des avances d’argent sur des marchandises non vendues, plus de pareilles avances sont demandées, plus on est tenté, dans le seul but d’en obtenir, de fabriquer des marchandises ou d’en inonder des marchés éloignés. L’histoire du commerce anglais nous présente pendant la période allant de 1815 à 1817, un exemple frappant de la manière dont le monde des affaires d’un pays peut tout entier être pris d’un pareil vertige et de la fin qui attend des opérations de ce genre ; elle nous montre en même temps ce dont le crédit est capable. »

Marx et la ruée sur les actions…

« Dans les derniers mois de 1842 la crise, qui depuis 1837 n’avait cessé de peser sur l’industrie anglaise, commença à prendre fin. Pendant les deux années suivantes la demande de produits anglais par l’étranger alla en croissant et la prospérité atteignit son point culminant en 1845/46. En 1813 la guerre de l’opium était venue ouvrir la Chine au commerce anglais et ce nouveau débouché avait encouragé l’expansion déjà si vivace de l’industrie et surtout de l’industrie du coton. « Comment pourrions-nous jamais trop produire ? Nous avons 300 millions d’hommes à habiller », me disait alors un fabricant de Manchester. Toutes les fabriques qu’on bâtissait, toutes les machines à vapeur et tous les métiers à filer et à tisser qu’on installait étaient insuffisants pour absorber le torrent de plus-value qui affluait du Lancashire. On s’était jeté sur la construction des chemins de fer avec la même passion qu’on développait l’industrie, et c’est sur ce terrain que les fabricants et les commerçants commencèrent, déjà dès l’été de 1844, à donner libre carrière à leur passion de la spéculation. On souscrivait des actions tant et plus, pourvu qu’on eût l’argent pour les premiers versements ; l’avenir se chargerait du reste ! D’après la question 1059, C. D. 1849/57, on engagea pendant les années 1846-47 un capital de 75 millions dans les chemins de fer ; aussi quand vint le moment de parfaire les versements, fallut-il recourir au crédit et saigner dans la plupart des cas le capital engagé directement dans les affaires. Or dans beaucoup d’entreprises ce capital était lui-même obéré ; la perspective des profits élevés avait entraîné à des opérations beaucoup plus importantes que ne le permettait l’avoir liquide dont on disposait. Le crédit était cependant abondant et à bon marché. Le taux de l’escompte avait varié de 4 ¾ à 2 ¼ % en 1844, pour s’élever à 3 % en octobre 1845 et 5 %, en février 1846, et retomber ensuite à 3 ¼ % en décembre 1846. Les banques avaient une encaisse en or inconnue jusque-là et la Bourse cotait plus haut que jamais toutes les valeurs du pays. C’eut été de la naïveté de perdre une si belle occasion et de ne pas entrer carrément dans la danse. Pourquoi ne pas fabriquer tant qu’on pouvait et inonder de marchandises les marchés étrangers qui soupiraient après les produits anglais ? Pourquoi ne pas profiter de l’occasion qui s’offrait de faire un double bénéfice en vendant en Extrême-Orient les fils et les tissus et en écoulant en Angleterre les marchandises importées en échange ? Ainsi se développèrent les consignations en masse sur l’Inde et la Chine, qui ne tardèrent pas à devenir un sys­tème ayant pour but exclusif, ainsi que l’établiront les notes suivantes, l’obtention d’avances d’argent et qui devaient nécessairement aboutir à l’encombrement des marchés et au krach. Celui-ci éclata après les mauvaises récoltes de 1846. »

https://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-III/kmcap3_24.htm

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Le signe de l’automne

Par Cédric Durand

« La financiarisation fut donc aussi le printemps du capitalisme industriel. Si elle est aujourd’hui le signe de l’automne, il faut expliquer pourquoi. »

Le développement accéléré des opérations financières est une des évolutions les plus remarquables au sein des pays riches depuis les années 1970. La crise de 2007-2008 et la longue récession dans laquelle l’économie mondiale est engluée depuis ont brutalement exposé le coût économique et social exorbitant de cette financiarisation. Pourtant, rien n’indique que nos sociétés soient en train de se défaire de son emprise. Les velléités d’encadrer plus étroitement le secteur de la finance ne remettent pas en cause la nature des rapports qu’il a noués avec les autres sphères économiques au cours des dernières décennies. La financiarisation n’est pas un épiphénomène. Elle touche au cœur de l’organisation du capitalisme contemporain, car le capital fictif a pris une place centrale dans le procès général d’accumulation du capital. Ce capital fictif, qui s’incarne sous forme de créances, d’actions et de produits financiers divers dont le poids dans nos économies s’est considérablement accru, représente des prétentions sur les richesses à produire. Son développement implique une préemption croissante de la production future. La montée en puissance du capital fictif est le résultat de transformations substantielles de la sphère financière elle-même et de changements intervenus dans ses rapports avec le reste du monde social : la production de biens et services, la nature, le salariat et les États. Si la finance se développe selon une dynamique qui lui est propre, l’hypothèse qui sous-tend cet ouvrage est que l’essor du capital fictif est aussi le produit de contradictions sociales et économiques irrésolues. Comme l’écrit joliment Fernand Braudel, la financiarisation, « c’est le signe de l’automne » (Braudel, 1993, p. 290). À Florence, au xive siècle, le développement de la haute finance répond à la fois aux nouvelles opportunités de profit dans le financement des dettes publiques et à l’érosion des gains dans le commerce et la production de produits textiles.

À mesure que disparaissent les activités commerciales et productives qui avaient permis l’essor d’une classe moyenne, les inégalités sociales s’accroissent, car les profits financiers se concentrent dans les mains d’une petite élite financière (Arrighi, 2010, pp. 102-104). À Venise, à Gênes, puis à Amsterdam au xviie siècle, « L’oligarchie sociale se ferme sur elle-même », elle se retire « du négoce actif et tend à se transformer en une société de prêteurs rentiers à la recherche de tout ce qui peut garantir des privilèges tranquilles » (Braudel, 1993, p. 315). Financiarisation, désindustrialisation et polarisation sociale marchent de concert et signalent un déclin. Bien des éléments donnent à penser que la financiarisation contemporaine marque un nouvel automne. On observe d’abord une montée générale et continue de l’endettement dans les principales économies riches depuis le début des années 1980. Même s’il existe de fortes hétérogénéités entre les pays en ce qui concerne le niveau et la composition de cette dette, la tendance est nette et générale. Second phénomène marquant, l’accroissement de la part du secteur financier dans l’économie se traduit par une hausse de la part des profits financiers dans les profits globaux. L’accroissement des inégalités est un troisième phénomène désormais bien documenté. Particulièrement marquée dans les pays anglo-saxons, cette hausse se retrouve dans l’ensemble des pays développés et concerne les revenus comme le patrimoine (Piketty, 2013). La financiarisation est ici directement en cause, de deux façons : d’une part, parce qu’elle permet une hausse des revenus associés à la propriété du capital (intérêts, dividendes et plus-values boursières, revenus immobiliers) ; d’autre part, parce qu’elle entraîne une hausse des rémunérations salariales dans le secteur financier et dans les activités financières au sein du secteur non financier (Godechot, 2013). Le dernier grand constat est celui d’une tendance marquée au ralentissement de la croissance pour l’ensemble des pays à hauts revenus (figure 1). Ce recul coïncide avec une diminution du poids des activités industrielles dans les pays les plus riches et une réduction de la part de ces pays dans l’économie mondiale : les pays de l’OCDE à revenus élevés produisaient 80 % du PIB mondial en 1990 contre 61 % en 2012 (WDI-Banque mondiale).

Au vu de ces quelques données, on comprend l’importance de saisir la financiarisation comme un phénomène systémique. Mais qu’entend-on au juste par « financiarisation » ? Il y a là une difficulté, liée aux usages pluriels du concept et aux différentes facettes du phénomène : la libéralisation financière, l’internationalisation et la sophistication des marchés financiers, l’accroissement de l’endettement des firmes, des ménages et des États, la privatisation tendancielle des systèmes de protection sociale et de la nature1, la désarticulation du mouvement ouvrier, la multiplication des crises financières… Au-delà de cette pluralité, existe-t-il une structure sous-jacente de la financiarisation qui expliquerait les tendances nourrissant des événements et des processus qui semblent a priori disparates2 ? L’hypothèse examinée dans cet ouvrage est qu’il existe bel et bien, sinon une structure unitaire, du moins un faisceau de processus interdépendants constitutifs de la financiarisation en tant qu’incarnation historique et spatiale du mode de production capitaliste. La montée en puissance du capital fictif est le point nodal de ce mouvement. Si la financiarisation ne peut être pensée en dehors des deux autres grands marqueurs du capitalisme contemporain que sont la mondialisation et les politiques néolibérales, elle se singularise avant tout par l’accumulation de droits de tirage sur de la valeur qui reste à produire. L’hypothèse d’un déclin associée à la financiarisation ne va pas de soi. Braudel lui-même évoque le succès du capitalisme financier en Europe de 1830 à 1860, « quand la banque saisira tout, l’industrie plus la marchandise, et que l’économie en général aura acquis assez de vigueur pour soutenir définitivement cette construction » (Braudel, 2002, pp. 65-66). Selon Rudolf Hilferding, le capital financier est au cœur de l’essor fulgurant du capitalisme industriel germanique au tournant du xxe siècle. Le grand théoricien du rattrapage, Alexander Gerschenkron, explique pour sa part que la finance fait partie de l’arsenal des ruses institutionnelles qui permettent d’engager une industrialisation accélérée, directement à grande échelle. La financiarisation fut donc aussi le printemps du capitalisme industriel. Si elle est aujourd’hui le signe de l’automne, il faut expliquer pourquoi. Quelles sont les racines de la financiarisation contemporaine ? Et quelles sont en retour les tensions qu’elle génère ? Dans une perspective régulationniste, un régime tiré par la finance a pu être décrit comme un ensemble de dispositifs capables de contenir temporairement les discordances de l’accumulation. Les approches postkeynésiennes et hayekiennes pointent – de manières très différentes voire radicalement opposées – une dynamique capitaliste brimée et déstabilisée par des politiques réglementaires, budgétaires et monétaires inappropriées. Le point de vue marxiste privilégie quant à lui les contradictions et les conflits qui minent – et animent en même temps – le mode de production dans ses développements historiques. L’éruption financière ne serait alors que la manifestation d’un essoufflement dont témoignerait la succession de crises financières d’une violence croissante depuis le début des années 1980. Ces différents points de vue vont informer un propos pessimiste. L’accumulation contemporaine du capital fictif est déjà lourde des frimas de l’hiver. La sophistication financière a permis un temps de masquer la déconnexion croissante entre, d’un côté, l’épuisement de la dynamique productive et, de l’autre, les exigences du capital et les aspirations des populations. La crise de 2007-2008 a fait tomber le voile : les politiques de rigueur, les réformes structurelles et la priorité donnée à la stabilité financière visent à faire prévaloir les attentes du premier sur celles des secondes. Tel est le ressort de la grande régression sociale contemporaine.

Source :

http://www.lesprairiesordinaires.com/uploads/2/1/0/6/21065838/durand.pdf

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Manuel d’économie politique

de l’Académie des sciences de l’URSS

dominique[chez]d-meeus[point]be

Dans les pays capitalistes modernes, l’immense majorité des grandes entreprises se présente sous la forme de sociétés par actions. Celles-ci sont nées au début du 17e siècle, mais elles n’ont pris de l’extension que depuis la seconde moitié du 19e siècle.

La société par actions est une forme d’entreprise dont le capital est constitué par les versements effectués par ses participants, qui possèdent un certain nombre d’actions, proportionnel au montant des sommes investies par chacun d’eux. L’action est un titre qui donne le droit de toucher une partie du revenu de l’entreprise, proportionnellement à la somme qu’elle représente.

Le revenu que le possesseur d’actions en retire s’appelle dividende. Les actions se vendent et s’achètent à un prix déterminé qui en est le cours. Le capitaliste, qui achète des actions, pourrait placer son capital à la banque et toucher, par exemple, un intérêt de 5 %. Mais ce revenu ne le satisfait point et il préfère acheter des actions. Il est vrai que la chose comporte un risque, mais en revanche elle lui fait entrevoir un revenu plus élevé. Supposons qu’un capital social de dix millions de dollars soit partagé en 20 000 actions de 500 dollars chacune, et que l’entreprise ait rapporté un million de dollars de bénéfices. La société par actions décide de prélever sur cette somme 250 000 dollars de capital de réserve et de répartir les 750 000 dollars restants à titre de dividende entre les actionnaires. Chaque action rapportera alors à son possesseur un revenu, sous forme de dividende, de 37,5 dollars (750 000 dollars divisés par 20 000 actions), soit 7,5 % d’intérêt.

Les actionnaires s’efforcent de vendre les actions pour une somme qui, déposée en banque, leur rapporterait à titre d’intérêt le même revenu qu’ils reçoivent sous forme de dividende. Si une action de 500 dollars a rapporté 37,5 dollars de dividende, les actionnaires s’efforceront de la vendre 750 dollars, car en déposant cette somme dans une banque, qui paie 5 % d’intérêt pour les dépôts, on peut retirer les mêmes 37,5 dollars sous forme d’intérêt. Mais les acheteurs d’actions, en raison des risques qu’ils courent en investissant un capital dans la société par actions, cherchent à acquérir les actions pour une somme inférieure. Le cours des actions dépend du taux du dividende et du niveau de l’intérêt du capital de prêt. Le cours des actions s’élève lorsque s’élève le dividende ou que le taux d’intérêt tombe ; inversement, il décroît avec la diminution du dividende ou avec l’augmentation du taux d’intérêt.

La différence entre la somme des prix des actions émises à la fondation de l’entreprise par actions, et la grandeur du capital réellement investi dans cette entreprise, forme le profit de constitution, une des sources importantes de l’enrichissement des gros capitalistes.

Si le capital investi antérieurement dans l’entreprise est de 10 millions de dollars, et si la somme des prix des actions émises était de 15 millions de dollars, le profit de constitution se montera alors à 5 millions de dollars.

À la suite de la transformation de l’entreprise individuelle en société par actions, le capital acquiert pour ainsi dire une existence double.

Le capital effectif de 10 millions de dollars, investi dans l’entreprise, existe sous la forme de bâtiments d’usine, de machines, de matières premières, d’entrepôts, de produits finis, sous la forme, enfin, de certaines sommes d’argent dans la caisse de l’entreprise ou à un compte courant dans une banque. Mais à côté de ce capital réel, lors de l’organisation de la société par actions, apparaissent des titres, des actions d’un montant de 15 millions de dollars. L’action n’est que le reflet du capital réellement existant de l’entreprise. Mais, les actions ont désormais une existence indépendante de l’entreprise ; on les achète et on les vend ; les banques accordent des prêts sur les actions, etc.

Théoriquement, l’organisme suprême de la société par actions est l’assemblée générale des actionnaires, qui élit un conseil d’administration, nomme les directeurs, entend et approuve le compte rendu d’activité de l’entreprise, règle les questions essentielles du fonctionnement de la société. Cependant le nombre des voix à l’assemblée générale est fonction du nombre des actions représentées par leurs propriétaires. Aussi la société se trouve-t-elle en fait entièrement entre les mains d’une poignée de grands actionnaires. Comme un certain nombre d’actions se trouve réparti entre de petits et moyens possesseurs, qui n’ont pas la possibilité d’exercer une influence sur la marche des affaires, les plus gros capitalistes n’ont pratiquement même pas besoin de détenir la moitié des actions pour être les maîtres de la société. La quantité d’actions qui donne la possibilité de dominer complètement la société par actions porte le nom de participation de contrôle.

Ainsi, la société par actions est une des formes sous lesquelles le grand capital met la main sur les ressources des petits et moyens capitalistes et les utilise dans son intérêt. L’expansion des sociétés par actions contribue puissamment à centraliser le capital et à concentrer la production.

Le capital sous forme de titres rapportant un revenu à leurs possesseurs est appelé capital fictif ; il consiste en actions et obligations.

L ’obligation est une créance délivrée par les entreprises ou l’État et qui rapporte à son détenteur un intérêt annuel fixe.

Les titres (actions, obligations, etc.) s’achètent et se vendent dans les Bourses de valeurs. Ce sont des marchés de titres. La Bourse enregistre le cours auquel les titres se vendent et s’achètent ; d’après ce cours s’effectuent aussi les transactions sur les titres en dehors de la Bourse (par exemple, dans les banques). Le cours des titres dépend du taux de l’intérêt et du plafond du revenu qu’on en escompte. C’est à la Bourse qu’a lieu la spéculation sur les titres, Comme tous les avantages, en matière de spéculation, sont du côté des gros et très gros capitalistes, la spéculation en Bourse contribue à la centralisation des capitaux, à l’enrichissement des gros capitalistes et à la ruine des moyens et des petits possédants.

Le développement du crédit, et surtout des sociétés par actions, transforme de plus en plus le capitaliste en un percepteur d’intérêts et de dividendes, tandis que la production est dirigée par des personnes salariées : administrateurs, directeurs. Ainsi s’accentue de plus en plus le caractère parasite de la propriété capitaliste.

http://www.d-meeus.be/marxisme/manuel/chap13sect04.html

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