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Turquie - Erdogan pourrait perdre les élections du 24 juin 2018

jeudi 21 juin 2018, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 21 juin 2018).

Les fidèles du président Erdogan gagnés par le doute

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Anne Andlauer, Istanbul
Publié mercredi 20 juin 2018 à 20:06
Modifié mercredi 20 juin 2018 à 20:06

A l’approche des élections législatives et présidentielle anticipées du 24 juin 2018, Recep Tayyip Erdogan est soucieux. Le président turc risque de perdre le soutien d’une partie de ses électeurs, inquiets de sa dérive autoritaire. L’opposition espère en tirer parti

Rencontré pendant le ramadan dans le café de la rive asiatique d’Istanbul, où il ne commande rien à cause du jeûne, Tolga se livre discrètement mais d’une voix résolue. Cet ingénieur de 38 ans, qui préfère taire son nom de famille, est le genre d’électeur qui donne des sueurs froides à Recep Tayyip Erdogan. Le chef de l’Etat turc affrontera le 24 juin un double scrutin anticipé, législatif et présidentiel, dont l’issue s’annonce serrée.

De 2002 à 2015, chaque fois qu’il est allé voter, Tolga a fait confiance à l’actuel président et à sa formation, le Parti de la justice et du développement (AKP). Il l’a soutenu avec conviction, longtemps, puis avec embarras ces dernières années. En avril 2017, lors du référendum sur le régime présidentiel, Tolga a voté non. Il a étudié le texte – dont l’entrée en vigueur est prévue au lendemain du prochain scrutin – et la gêne qu’il ressentait s’est muée en désillusion.

« Je connaissais Recep Tayyip Erdogan comme un homme de projets, il est devenu un homme de pouvoir », soupire-t-il. Le jeune homme ponctue toutes ses phrases de « avant » et « maintenant ». « Avant, il agissait en tenant compte des opinions divergentes. Maintenant, il ne s’intéresse plus qu’à ceux qui votent pour lui. Il a cette attitude du « moi, je sais mieux que tout le monde » qui le pousse à dénigrer toutes formes de critiques. Il m’a beaucoup déçu. »

Déception des électeurs

Même s’il hésite à en parler autour de lui, Tolga n’en doute pas : de plus en plus d’électeurs ressentent la même déception. Des Turcs qui, comme lui, voyaient en Recep Tayyip Erdogan un démocrate convaincu et suivent dorénavant avec inquiétude sa dérive autoritaire. Des électeurs de centre droit qui votaient AKP sans lui être forcément fidèle et que l’état de l’économie – la principale inquiétude des électeurs selon tous les sondages – achève d’éloigner du parti d’Erdogan. Des Kurdes qui comptaient sur lui pour leur amener la paix et la prospérité et attendent toujours l’une et l’autre.

Kemal Can, un journaliste expérimenté qui couvre la droite turque depuis trois décennies, constate que l’AKP « a perdu sa capacité à créer une histoire qui mobilise les électeurs ». Il situe cette cassure à l’été 2013, au moment des protestations autour du parc Gezi d’Istanbul. « Depuis, c’est très net : Erdogan est sur la défensive. Il consacre toutes ses capacités politiques à perpétuer son pouvoir, estime Kemal Can. C’est d’autant plus grave pour lui que sa popularité se dégrade dans les centres et chez les populations les plus dynamiques du pays : les grandes villes et les jeunes éduqués. »

« 70% des électeurs qui voteront pour la première fois ne soutiendront pas Erdogan et son parti », confirme Murat Gezici, directeur d’un institut de sondages réputé. Le référendum de l’an dernier, qui instaure un régime où le chef de l’Etat concentre presque tous les pouvoirs, a donné le signal d’alarme. Recep Tayyip Erdogan ne l’a emporté que d’une courte tête au niveau national (51,4%) et a subi une lourde défaite à Istanbul et à Ankara, les deux plus grandes villes turques, qui lui étaient acquises depuis près de vingt-cinq ans.

L’opposition unie pour la première fois

« Ces derniers mois, toutes les tactiques tentées par Erdogan pour inverser la tendance se sont soldées par un échec », avance le journaliste Kemal Can. L’alliance de l’AKP avec le Parti d’action nationaliste (MHP), les opérations militaires en Syrie, l’exacerbation calculée des tensions avec l’Occident… « Tout cela ne s’est pas traduit en voix supplémentaires alors que, dans le même temps, l’opposition a réussi pour la première fois à s’unir », ajoute-t-il.

Les sociaux-démocrates du Parti républicain du peuple (CHP), les islamistes du Parti de la félicité, les ultranationalistes du Bon Parti et les conservateurs du Parti démocrate feront en effet front commun aux législatives du 24 juin, au sein d’une « Alliance de la nation » aussi inédite qu’hétéroclite. Les pro-kurdes du Parti démocratique des peuples (HDP) ont certes été exclus de l’accord, mais s’ils dépassent le seuil électoral de 10% et si l’Alliance de la nation séduit un nombre suffisant de déçus du chef de l’Etat, ce dernier pourrait perdre sa majorité absolue au parlement.

« Pour Erdogan, l’enjeu principal est de viser le parti kurde pour qu’il ne franchisse pas le seuil électoral, souligne le politologue Ahmet Insel. Avec le risque, s’il joue trop du clivage Turcs-Kurdes, de s’aliéner davantage son propre électorat kurde conservateur, qu’il a beaucoup déçu également et qui pourrait se reporter sur le parti islamiste au sein de l’alliance d’opposition. »

Vêtue de noir des pieds au foulard, Ayse Karabulut acquiesce. « C’est la première fois que je vois autant de citoyens dire qu’ils vont voter pour nous alors qu’ils ne l’ont jamais fait, raconte ce membre dirigeant de la section féminine du Parti de la félicité. Souvent, ce sont d’anciens électeurs de l’AKP qui s’inquiètent de la direction que prend le pays et veulent lui envoyer un message aux législatives. »

Victoire probable mais pas assurée

Quant au scrutin présidentiel, si Recep Tayyip Erdogan devance ses adversaires dans tous les sondages, la quasi-totalité d’entre eux lui prédisent le second tour tant redouté. Sa victoire est probable, mais pas assurée. « Il peut y avoir une surprise, car les électeurs voteront au second tour en fonction des résultats des législatives », explique le journaliste Kemal Can. « Erdogan regrette sans doute beaucoup d’avoir organisé, pour la première fois, un scrutin présidentiel et législatif le même jour, tout en limitant les législatives à un tour », abonde Ahmet Insel.

A quoi le « reis » peut-il s’attendre en cas de scénario « catastrophe » le 24 juin, s’il perd sa majorité absolue au parlement et doit affronter un second tour à la présidentielle ? « Il peut y avoir deux scénarios totalement opposés, poursuit Ahmet Insel. Soit les électeurs déçus par Erdogan, mais effrayés par un trop grand changement, se mobiliseront au second tour pour sauver sa présidence. Soit ils constateront qu’il a perdu son pouvoir et lui retireront leur soutien. Pour l’heure, c’est l’indétermination totale. »

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