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Thomas Porcher : « Il faut arrêter de diaboliser la dette publique »

jeudi 21 juin 2018, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 21 juin 2018).

https://www.letemps.ch/economie/tho…

Marie Maurisse
Publié mercredi 20 juin 2018 à 20:02
Modifié jeudi 21 juin 2018 à 08:10

L’Eurogroupe, qui se réunit aujourd’hui, exhorte encore la Grèce à réduire son déficit public. Ce discours agace Thomas Porcher, membre du collectif des « économistes atterrés », qui mène une lutte acharnée contre les politiques d’austérité

L’Eurogroupe, qui réunit les ministres des Finances des membres de l’Union européenne (UE), doit décider jeudi de la sortie de la Grèce de son troisième plan d’aide. Le commissaire européen Pierre Moscovici soutient cet agenda, tout en réclamant « des mesures d’allégement crédibles de la dette grecque qui soient suffisamment fortes ». Cela fait sauter au plafond l’économiste français Thomas Porcher, qui mène un combat acharné contre les politiques d’austérité et ce qu’il appelle la « pensée unique en économie ».

Sur Twitter, il lui arrive de traiter les blogueurs de « charlots » et de décerner aux journalistes la « palme d’or de la connerie ». Thomas Porcher n’a pas peur du conflit : comme il le dit lui-même, « l’économie est un sport de combat ». Ce professeur à la Paris School of Business et membre des « économistes atterrés », un collectif de penseurs et universitaires de gauche, est de plus en plus présent dans les médias pour porter une parole opposée aux mesures de rigueur prises en France et dans nombre de pays européens. Avec un certain succès : son ouvrage Traité d’économie hérétique en est déjà à sa troisième réédition.

Le Temps : La dette de la Grèce atteint 176% de son produit intérieur brut (PIB). N’est-il pas urgent de la réduire ?

Thomas Porcher : Ce niveau de la dette est dû en partie à la politique d’austérité appliquée dans ce pays. Entre 2009 et 2015, la réduction de 20% de la dépense publique a entraîné une chute de 25% du PIB et la dette est passée de 126 à 177%. Contrairement à l’idée reçue, l’austérité crée de la dette.

Pour vous, le sauvetage de la Grèce par Bruxelles est donc un échec ?

Le problème est plus général. En Europe, rien n’a été fait pour prendre la mesure de nos problèmes. La Grèce a été le premier avertissement : le gouvernement était prêt à négocier, mais il a été écrasé par Bruxelles. Puis il y a eu le Brexit et, récemment, les élections en Italie, où un ministre s’est montré ouvertement hostile à l’euro.

Ce n’est pas en renforçant le système bancaire qu’on va redresser l’Europe. Les vrais problèmes sont l’austérité, ainsi que la concurrence fiscale et sociale visant à prendre des parts à son voisin. La population n’y trouve pas son compte et, en réaction, place des populistes au pouvoir. Pour sauver l’Europe, il faut réorienter profondément les politiques européennes. Le mal est profond. Si rien n’est changé, cela sera très difficile dans les années à venir.

En France, la dette atteint presque 100% du PIB. Cela pèse sur les finances publiques…

Au sujet de la dette, il y a un double discours, n’avez-vous pas remarqué ? Quand il s’agit de baisser la fiscalité des plus riches, comme l’impôt sur la fortune, dont la suppression engendre en France une perte de 4 milliards de rentrées fiscales, alors elle n’est pas un problème. Par contre, quand il s’agit d’investir dans le secteur public et de recruter dans les hôpitaux, alors là on nous explique que l’Etat est endetté et que l’argent ne tombe pas du ciel.

Pourtant, dans l’histoire, nos pays ont usé et abusé de la dette ! Il faut arrêter de la diaboliser. Après la Deuxième Guerre mondiale, celle-ci représentait 200% du PIB et, pour la rembourser, Paris a notamment taxé les revenus les plus hauts. Avoir recours à l’inflation était aussi une option régulièrement appliquée. Des solutions taboues aujourd’hui, dans la mesure où personne n’a suffisamment de courage pour faire une autre politique. Et Emmanuel Macron est en train de brader les biens de l’Etat, alors que ceux-ci constituent un héritage pour les générations futures.

Grâce à son mécanisme de frein à l’endettement, la Suisse a l’un des taux d’endettement public les plus bas du monde, à 30%. Qu’en pensez-vous ?

Il faut bien différencier la dette publique et la privée. Souvent, lorsque la dette publique est faible, la dette privée est élevée. C’est le cas de la Suisse. L’endettement privé n’est pas anodin, car c’est lui qui a provoqué la crise des « subprime » en 2009. Enfin, l’important n’est pas le niveau de dette mais sa soutenabilité. Avec un patrimoine public conséquent, un pays arrive bien à soutenir le financement de sa dette.

Dans vos interventions publiques, vous êtes particulièrement virulent contre les paradis fiscaux, dont la Suisse a longtemps fait partie.

En France, on pense trop que la Suisse n’est qu’un paradis fiscal. Et pourtant elle a d’autres atouts, notamment sa politique industrielle très fort. Il faut rappeler que la production industrielle par habitant en Suisse est une des plus élevées au monde. Le vrai problème du chômage en France mais également de l’innovation, c’est que notre pays n’a plus de politique industrielle, remplacée par des réformes sur le marché du travail ou des baisses de fiscalité.

Emmanuel Macron a récemment déclaré que les aides sociales coûtaient « un pognon de dingue ». Qu’en pensez-vous ?

C’est tout simplement faux. En France, cela représente 70 milliards d’euros investis pour les personnes handicapées, les personnes âgées précaires et les allocations de logement. C’est 3% du PIB. Ces aides sont précieuses pour les 10% de la population les plus pauvres, pour qui elles représentent 70% des revenus. Et cet argent soutient les entreprises puisque les bénéficiaires sont des consommateurs, qui n’iront pas placer leurs revenus sur les marchés mais les dépenser. La vérité, c’est que je ne suis pas surpris par les propos du président français.

Pourquoi ?

Cela révèle ce qui se profile depuis les années 1980. Entre les années 1950 et 1970, nous avons vécu la mise en place d’un Etat social qui a promu le service public et investi dans les grandes entreprises. Puis, dans les années 1980, un tournant a eu lieu. La baisse de la croissance a favorisé l’émergence d’un nouveau paradigme qui a consisté à diminuer la part de l’Etat dans l’économie.

Emmanuel Macron est dans la ligne directe de cette tendance, déjà en place aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne. Je souligne que notre modèle social a permis à la France de limiter les dégâts de la crise. En quoi est-ce positif d’augmenter les inégalités ? D’autant plus que l’on sait pertinemment que ce sont elles qui poussent des gouvernements populistes au pouvoir et favorisent des replis tels que le Brexit.

Les économistes Philippe Aghion, Philippe Martin et Jean Pisani-Ferry, qui avaient soutenu Emmanuel Macron, viennent de le rappeler à l’ordre sur ce sujet. Qu’en pensez-vous ?

C’est une bonne initiative, mais je m’étonne quand même de leur naïveté. Car Emmanuel Macron n’a jamais caché la teneur fortement libérale de son programme. Par exemple, il a toujours parlé de flexi-sécurité, c’est-à-dire de flexibiliser le marché du travail, tout en assurant une certaine sécurité aux citoyens. Mais comment voulez-vous y parvenir tout en économisant 25 milliards sur la sphère sociale ? Au final, il reste la flexibilité, sans la sécurité. De toute façon, un homme qui parle de « chômeurs fainéants » ne peut pas être attaché à la question sociale. Dommage que ces brillants économistes soient tombés dans le panneau…

Certes, mais eux sont très écoutés par l’Elysée, ce qui n’est pas le cas des « économistes atterrés », dont vous faites partie…

Vous vous trompez ! Nous avons de très bons relais politiques. Ma consœur Anne Fretel, maître de conférences à l’Université de Lille, a notamment réussi à faire modifier la réforme de la formation proposée par la ministre du Travail. On fait bouger les choses dans le débat public. Mais nous avons conscience que, face aux forces en présence, il est difficile de se faire entendre. Depuis 2011, nous n’avons cessé de mettre en garde sur les risques liés à une politique d’austérité. En vain : aujourd’hui, la zone euro est à l’agonie.

Même Emmanuel Macron le dit : les politiques européennes n’ont pas été efficaces. Et pourtant, il propose de continuer dans le même sens en voulant réduire encore plus les déficits. En France, le Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) et le Pacte de compétitivité coûtent 40 milliards d’euros par an à l’Etat. Et ils ne créeront pas d’emplois.

Vous citez John Maynard Keynes dans votre ouvrage. Pourquoi ?

Je me situe dans sa lignée. Je milite pour une relance de l’économie par la demande, c’est-à-dire la consommation des ménages et l’investissement public, plutôt que par une politique de l’offre. Dans l’histoire, chaque crise économique a provoqué un changement de paradigme. Après la crise de 1929 s’est mis en place le New Deal. Après celle de 1970, le libéralisme s’est imposé. Mais après 2008, rien n’a changé et le système libéral s’est encore amplifié.

Et ceux qui ont gagné aujourd’hui s’en mettent plein les poches. L’OCDE ne dit rien d’autre : ces dernières années, les 10% les plus riches ont pris une part du gâteau beaucoup plus importante que les autres. Et le pire, c’est qu’ils ont réussi à nous faire croire que ce qu’ils faisaient était pour le bien commun. C’est inacceptable.

Vous êtes très virulent, y compris sur Twitter. Est-ce ainsi que l’on fait de l’économie au XXIe siècle ?

L’économie est un sport de combat. Il n’y a pas de vérité comme en physique ou en chimie : c’est une science humaine. Pour les uns, la loi travail créera des emplois en France. Pour les autres, c’est l’inverse. Aujourd’hui, des officines comme l’Institut Montaigne sont des machines à fabriquer des idées libérales. Il y a un combat à mener, et je le mène en partie sur les réseaux sociaux et les plateaux télé. Il faut montrer aux gens que d’autres avenirs existent que ceux auxquels on leur fait croire.

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