Note de do :
Il faut bien savoir que depuis des années la CIA finance les églises évangéliques (ou évangélistes) partout dans toute l’Amérique Latine. C’est aussi à cause de ces églises ultra-réactionnaires que le premier référendum en Colombie au sujet des FARC avait échoué et qu’un second qui leur était beaucoup moins favorable avait dû être mis en place.
La popularité de Bolsonaro repose aussi sur la mise en scène d’un coup de couteau qu’il aurait reçu quelques mois avant les élections. En réalité, c’est une information tout à fait bidon, tout comme est bidon la soit-disante information comme quoi son adversaire aurait distribué des biberons érotiques aux bébés.
Derrière Bolsonaro, la main des évangéliques
https://www.letemps.ch/monde/derriere-bolsonaro-main-evangeliques
Chantal Rayes, São Paulo
Publié lundi 22 octobre 2018 à 18:46
Modifié lundi 22 octobre 2018 à 18:48
Les cultes évangéliques soutiennent le candidat d’extrême droite Jair Bolsonaro, ultra-favori du scrutin de dimanche. Ces Eglises sont à l’origine d’une vaste campagne de désinformation contre son adversaire du Parti des travailleurs, Fernando Haddad
« Si tu votes à gauche, tu fais le mal, tu commets un péché. Un évangélique ne vote pas pour la gauche. » L’injonction a atterri sur la messagerie WhatsApp de Rita, femme de couleur, petit salaire, le profil type de la croyante. Dans les lieux de culte et les médias évangéliques aussi, les pasteurs se déchaînent contre Fernando Haddad, le candidat du Parti des travailleurs (PT) à la présidentielle du 28 octobre au Brésil. Rita a beau être sympathisante du PT, on la sent troublée.
Cible des fake news, l’héritier de Lula est accusé, entre autres turpitudes, de vouloir éveiller précocement la sexualité des enfants, à cause du matériel pédagogique de lutte contre l’homophobie (un manuel, des vidéos et des affiches), péjorativement rebaptisé « kit gay », qu’il avait cherché, avec l’aval de l’Unesco, à distribuer dans les lycées en 2011, lorsqu’il était ministre de l’Education.
Un mouvement en plein essor
Les évangéliques roulent pour son adversaire d’extrême droite, Jair Bolsonaro, ultra-favori avec 59% des intentions de vote (contre 41% pour Haddad). En plein essor dans le plus grand pays catholique du monde, ce nouveau protestantisme ralliait 22,2% des Brésiliens en 2010, lors du dernier recensement, un taux qui avoisinerait aujourd’hui les 30%. Selon une enquête menée l’an dernier, 16% des évangéliques disent avoir déjà suivi la consigne de vote des pasteurs, et un bon quart serait susceptible de le faire. La campagne contre Haddad a porté. En milieu évangélique, il a… 35 points de moins que Bolsonaro, « le plus indiqué pour préserver la moralité », a déclaré le député et pasteur Hidekazu Takayama, président de la bancada evangélica, le lobby évangélique au parlement.
A l’approche du premier tour du 7 octobre, les principales Eglises s’étaient ralliées une à une à ce réactionnaire, nostalgique de la dictature militaire (1964-1985). La plus grande, l’Assemblée de Dieu, a projeté son image sur grand écran pendant un culte. La plus médiatique, l’Eglise universelle du royaume de Dieu (IURD), a mis à son service la puissance de feu de sa chaîne, TV Record, numéro trois de l’audimat. Minoritaires, les évangéliques de gauche ne font pas le poids. « Il y a dans ce soutien une question d’intérêts, et pas seulement de doctrine, nuance Maria das Dores Campos Machado, coordinatrice du centre d’études sur le thème Religion, action sociale, genre et politique de l’Université fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ). Les Eglises attendent de futurs avantages en échange. »
Lula le « communiste »
La méfiance des cultes évangéliques envers le PT n’est pas nouvelle. « Le parti a été créé par le courant de gauche de l’Eglise catholique », rappelle Ricardo Mariano, sociologue des religions et professeur à l’Université de São Paulo. En 1989, lors du premier scrutin au suffrage universel après le retour à la démocratie, ces cultes avaient fait barrage contre Lula, alors dépeint en « communiste » prêt à fermer les temples et à jeter les pasteurs en prison. Un spectre à nouveau agité aujourd’hui, après une trêve toute relative pendant les treize années de gouvernement du PT, interrompues par la destitution en 2016 de Dilma Rousseff, la successeure de Lula.
En 2002, à une marche du palais du Planalto, le leader de gauche avait obtenu le soutien de l’IURD. Coïncidence ou non, son fondateur, l’évêque Edir Macedo, accusé de charlatanisme et de blanchiment d’argent de la dîme, ne sera plus inquiété par la justice… « Lula a fait beaucoup de concessions aux évangéliques, mais aussi aux féministes et aux minorités LGBT », reprend Maria das Dores Campos Machado. Une impossible conciliation. « Ces Eglises ont des thèses délirantes sur les féministes et les minorités, accusées de vouloir détruire la famille traditionnelle », renchérit Ricardo Mariano.
Sous l’actuel président conservateur Michel Temer, la bancada evangélica a réussi à supprimer des programmes scolaires toute mention à l’« identité de genre » et à l’« orientation sexuelle ». Elle rêve désormais, entre autres joyeusetés, de faire interdire l’avortement jusque dans les rares cas où il est autorisé, comme le viol. Une croisade à laquelle se rallient aussi les catholiques conservateurs.
Baptisé dans le Jourdain
C’est sur ce terreau que Jair Bolsonaro a tissé sa toile au parlement, où il est député depuis vingt-sept ans. « Les députés évangéliques se sont appuyés sur lui pour affronter le mouvement LGBT et la gauche au parlement, raconte Maria das Dores Campos Machado. Bolsonaro est extrêmement homophobe et agressif. »
Sur « les questions qui importent pour les chrétiens », il a tout bon, juge en revanche Mensageiro da Paz, le journal de l’Assemblée de Dieu.
Il est contre l’IVG, le mariage gay et la théorie du genre, contre l’Etat laïc et la dépénalisation des drogues, contre le désarmement de la population et pour la baisse de la majorité pénale, des méthodes de lutte contre la violence que ne renie pas la droite évangélique. Son épouse et deux de ses fils sont baptistes. Lui-même, s’il reste catholique, s’est fait baptiser par un pasteur évangélique dans les eaux du Jourdain, en 2016.
Au pouvoir, le PT n’a pas fait de révolution, laissant à la Cour suprême le soin d’approuver l’union stable entre personnes de même sexe. Pressée par les chrétiens conservateurs, Dilma Rousseff s’était engagée par écrit, en pleine campagne pour l’élection présidentielle de 2010, à ne pas dépénaliser l’avortement, mesure que Lula avait prévue dans son programme de promotion des droits de l’homme. Dans la foulée, sa dauphine avait promis également d’enterrer un projet de loi punissant de prison la discrimination de l’homosexualité, contre laquelle prêchent les pasteurs.
Pas de « kit gay »
En 2011, la présidente cédait à nouveau, cette fois sur le « kit gay », qui ne sera jamais distribué. Mais pour les chrétiens, le mal était fait. De tous les blocs parlementaires, les évangéliques sont ceux qui ont le plus massivement voté en faveur de la destitution de l’ex-présidente, observe Ricardo Mariano. Le chercheur ne croit pas à une poussée conservatrice dans le pays, démentie d’ailleurs par les enquêtes d’opinion. « Mais aujourd’hui, on ne se cache plus, observe-t-il.
Pendant longtemps, personne au Brésil, pas même les évangéliques, ne se disait de droite, une étiquette associée à la dictature. » La montée de ce qu’on appelle la « nouvelle droite » (nouvelle, car sortie du placard), dans la foulée de la campagne pour l’impeachment, est une réaction au PT, le parti qui a gouverné le plus longtemps depuis le retour de la démocratie.
Des alliés de poids
Des représentants de cette droite ultra-conservatrice ont été élus au parlement lors des législatives du 7 octobre. Pénalisés par leur soutien au très impopulaire Michel Temer, les évangéliques, eux, ont perdu la moitié de leurs 82 parlementaires. Mais ils peuvent compter sur leurs alliés de l’agronégoce et de l’armement, avec lesquels ils forment la bancada BBB (Bible, bœuf, balle), ainsi que sur les nombreux nouveaux élus militaires. « Toutes ces mouvances sont dans l’orbite de Bolsonaro et auront les coudées franches s’il l’emporte, craint Ricardo Mariano, très pessimiste. Le Brésil est au bord du gouffre. »
La peur et la corruption, piliers du succès de Bolsonaro
https://www.letemps.ch/monde/peur-corruption-piliers-succes-bolsonaro
Chantal Rayes, São Paulo Publié vendredi 26 octobre 2018 à 19:21
Modifié vendredi 26 octobre 2018 à 19:22
Le second tour de l’élection présidentielle brésilienne aura lieu dimanche. Retour sur le contexte et les événements qui ont permis au candidat de l’extrême droite d’accéder au rang de favori
Tout avait commencé par un coup de filet dans une banale station-service de Brasilia qui servait de paravent à un vaste système de blanchiment de fonds. Quatre ans plus tard, le séisme politique provoqué au Brésil par la désormais célèbre opération Lava Jato (« lavage express »), tentaculaire enquête sur la corruption, produit son ultime secousse. L’extrême droite est aux portes du pouvoir avec Jair Bolsonaro (Parti social libéral, PSL), nostalgique de la dictature militaire (1964-1985) et favori de la présidentielle de dimanche, avec 56% des intentions de vote contre 44% pour Fernando Haddad, du Parti des travailleurs (PT).
D’abord centrée sur le PT, qui a gouverné pendant treize ans (avec Lula, puis Dilma Rousseff, destituée en 2016), Lava Jato a mis à nu un mécanisme de financement illégal arrosant quatorze partis, via des commissions sur des marchés publics surfacturés par les groupes du BTP. Les révélations ont conduit à la destitution controversée de l’ex-présidente Rousseff, écartée du pouvoir sur des accusations sans lien avec le scandale. Puis à la condamnation de son prédécesseur, Lula – qui purge depuis le 7 avril une peine de 12 ans de prison –, ainsi que de dignitaires d’autres formations.
Une grosse affaire de corruption
Un ancien chef d’Etat au prestige planétaire, un ex-chef du perchoir, un ex-gouverneur ainsi que des grands patrons sont sous les verrous : « L’opération Lava Jato a frappé l’imaginaire social, produisant des effets nouveaux, analyse le sociologue et politologue Paulo Baia, professeur à l’Université fédérale de Rio de Janeiro. La corruption n’avait jamais été aussi visible. Elle gangrène et discrédite le système. Bolsonaro, lui, est un outsider, même s’il siège au parlement depuis vingt-sept ans. Il a toujours été un député folklorique, à qui personne n’accordait d’importance. » Et c’est devenu un atout. « Si j’avais occupé de hauts postes, j’aurais certainement été moi-même impliqué dans Lava Jato », admet-il.
Juin 2013 : des millions de Brésiliens prennent les rues. Les manifestants s’élèvent, entre autres, contre la corruption, un thème vite récupéré par la droite, note Pablo Ortellado, professeur à l’Université de São Paulo. « Mobilisé depuis 2014, le mouvement anti-corruption est tout entier derrière Bolsonaro », poursuit le chercheur qui a observé son « effrayante radicalisation » : « Des gens qui, pas plus tard que l’an dernier, disaient ne se reconnaître dans aucun parti s’identifient désormais au PSL. » D’où le fulgurant essor de ce parti insignifiant où le nouvel homme fort du pays n’est entré qu’en mars. Aux législatives du 7 octobre, le PSL a élu 52 députés, contre… un seul en 2014. Une trentaine d’entre eux se présentaient pour la première fois. Le dégagisme a sévèrement sanctionné en revanche les formations traditionnelles.
Seul le PT sort à peu près indemne du « tsunami bolsonariste ». Avec 56 élus (six de moins qu’actuellement), le parti de Lula reste la première formation du parlement, parvenant à se hisser jusqu’au second tour de la présidentielle. « Même au creux de la vague, le PT conserve une assise sociale, explique la sociologue Esther Solano, professeure à l’Université fédérale de l’Etat de São Paulo. Mais le rejet que le parti inspire reste très fort, gagnant même des gens qui ont bénéficié de ses politiques sociales. En sortant de la pauvreté, ils ont adopté les valeurs de la classe moyenne, sensible à la corruption. » Que d’autres partis soient impliqués n’y change rien. Le PT est né pour être différent.
L’insécurité inquiète
L’autre carburant de Bolsonaro : la peur. L’insécurité (63 880 homicides en 2017, soit 175 par jour, un record) n’a jamais autant inquiété les Brésiliens. Cet ancien militaire en a fait un pilier de son discours. Au nom de la « légitime défense », il veut libéraliser l’accès aux armes à feu, pourtant responsables de 70% des assassinats. Mais aussi réduire la majorité pénale à 16 ans et donner à la police carte blanche pour tuer du bandido. « Si le policier en tue dix, quinze ou vingt, avec dix ou trente tirs chacun, il doit être décoré et non poursuivi », a-t-il osé dire. A l’entendre, les Brésiliens vivaient en toute sécurité sous la dictature (ce que des spécialistes contestent), quand la police n’avait pas à s’embarrasser des droits de l’homme.
Or, malgré le retour de la démocratie, celle-ci est restée l’une des plus meurtrières du monde, sans freiner pour autant la criminalité. Même dans les Etats où les assassinats sont en baisse, d’autres formes de délinquance progressent, alimentant un sentiment d’insécurité, disent les spécialistes. Pour Renato Sergio de Lima, du Forum brésilien de la sécurité publique, « violence et corruption ont créé la tempête parfaite pour que les gens cèdent à la tentation autoritaire ».