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La Suisse moderne et sociale est née avec la Grève générale de 1918 !

lundi 5 novembre 2018, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 5 novembre 2018).

https://www.letemps.ch/opinions/sui…

Publié lundi 22 juin 2015 à 20:28

Jean-Claude Rennwald

Politologue, militant socialiste et syndical, ancien conseiller national (PS/JU)

Puisque les nationalistes ont choisi 1291 comme date de fondation de la Suisse, les libéraux 1848, la gauche a aussi son année de référence : 1918, c’est-à-dire l’année de la Grève générale menée par le comité d’Olten, dont les revendications restent d’une étonnante actualité. Par Jean-Claude Rennwald, politologue et militant socialiste

La Suisse moderne et sociale est née avec la grève de 1918

Dans un récent ouvrage collectif, La Gauche fait le poing (Editions Favre, 2015), j’ai souligné que d’importantes innovations sociales et politiques, comme l’AVS ou le droit de vote des femmes, n’auraient sans doute pas vu le jour sans la Grève générale de 1918 (250 000 ouvriers avaient alors cessé le travail), puisqu’elles faisaient partie des principales revendications du comité d’Olten. Quelques années auparavant, Paul Rechsteiner, président de l’Union syndicale suisse (USS), était même allé plus loin, en affirmant que « c’est la Grève générale de 1918 qui a écrit le programme social et politique du XXe siècle suisse ».

Si ce rappel s’impose aujourd’hui, c’est parce que depuis le début de cette année, journalistes, sociologues, poli­tologues et historiens s’entre-déchirent pour savoir à quel moment la Suisse est née, ou du moins quelles sont les dates les plus marquantes qui jalonnent notre passé. Certains optent pour le Pacte fédéral de 1291, d’autres pour la défaite des Suisses à la bataille de Marignan, en 1515, événement qui aurait marqué le début de la neutralité, d’autres encore pour la Constitution fédérale de 1848.

Ces divergences montrent que l’histoire n’est pas seulement une science humaine, mais aussi une arme que l’on manie à sa guise, que d’aucuns manipulent pour défendre une idéologie et pour cautionner telle ou telle prise de position. Christoph Blocher s’est fait le champion de cette stratégie. Ainsi, son affirmation selon laquelle le Pacte fédéral de 1291 a été scellé sur la prairie du Grütli est contestée par de nombreux historiens, en particulier par Thomas Maissen. Ceux-ci se demandent pourquoi les dirigeants de la Suisse primitive se seraient rendus sur une prairie isolée alors qu’ils pouvaient se rencontrer dans une localité sans aucun risque. Quant à la défaite de Marignan, elle a surtout ouvert la voie à une armée qui, depuis, n’a plus jamais été qu’une armée de répression intérieure et de guerres civiles.

Dans ces conditions, on ne voit pas pourquoi le mouvement ouvrier et ses organisations syndicales et politiques n’auraient pas leurs propres références. De ce point de vue, 1918, année de la Grève générale, est une date qui s’impose. D’abord parce que cet événement essentiel dans la pratique et la culture des travailleurs permet de briser le mythe d’une Suisse qui aurait été consensuelle depuis la nuit des temps. Ensuite parce que 1918 marque un tournant essentiel dans la construction d’une Suisse sociale et moderne et cela même si, dans un premier temps, la Grève générale s’était terminée par une défaite pour les travailleurs.

Parmi les neuf revendications du comité d’Olten, coordinateur de la Grève générale, une a été réalisée rapidement, alors que d’autres ne seront mises en œuvre que beaucoup plus tard :– Renouvellement immédiat du Conseil national selon le système de la représentation proportionnelle. Ce sera le cas dès les élections fédérales de 1919, le nouveau système permettant une avancée socialiste.– Droit de vote et d’éligibilité pour les femmes. Ici, il faudra attendre 1971. A ce moment-là, c’est-à-dire cinquante-trois ans après, un observateur averti de la politique fédérale avait d’ailleurs souligné que le programme de la Grève générale de 1918 était en voie de se réaliser !– Introduction du droit au travail pour tous. Cette revendication n’a jamais été concrétisée au sens strict du terme mais, depuis, la protection sociale s’est renforcée et l’assurance chômage est devenue obligatoire.– Introduction de la semaine de 48 heures. On a peu progressé depuis, puisque la durée maximale légale du travail est encore de 45 heures, mais la semaine de 40 heures est aujourd’hui la norme dans la majorité des secteurs économiques au bénéfice d’une convention collective de travail (CCT).– Assurance vieillesse et survivants. Principale œuvre sociale de notre pays, l’AVS sera acceptée en votation populaire en 1947 et deviendra réalité en 1948.

Les quatre autres revendications du comité d’Olten ne présentent pas autant d’intérêt d’un point de vue social.

Le temps qu’il a fallu pour réaliser certaines réformes a un aspect exaspérant. D’un autre côté, cette lenteur montre que les grévistes de 1918 étaient des visionnaires. A tel point qu’aujour­d’hui, certaines de leurs propositions sont remises en question par une partie de la droite et du patronat, comme le montrent les attaques contre l’AVS, la loi sur le travail ou les services publics. Dans ces conditions, il faut se demander si, dans un avenir plus ou moins proche, nous assisterons non pas à une répétition de l’histoire, mais à de nouvelles luttes sociales de grande ampleur. A ce stade, rien ne permet de l’affirmer, mais, de fait, nous sommes appelés à choisir entre, d’une part, la construction d’une société démocratique, plus solidaire, répartissant mieux les fruits de la croissance et investissant davantage dans la sauvegarde de l’environnement ; et, d’autre part, le développement des idéologies néolibérale et nationale-populiste, avec tout ce que cela représente en termes d’exclusion, d’inégalités toujours plus fortes, de chasse aux immigrés et aux demandeurs d’asile.

Dans un avenir plus ou moins proche, nous assisterons à de nouvelles luttes sociales de grande ampleur


De la grève générale au consensus

https://www.letemps.ch/opinions/greve-generale-consensus

Olivier Meuwly
Publié mardi 22 mai 2018 à 15:40
modifié mardi 22 mai 2018 à 15:40

Il y a presque un siècle, en novembre 1918, une grève générale fit planer quelques jours durant le spectre révolutionnaire sur la neutre Helvétie. Comment cela fut-il possible et quelles en furent les conséquences ? Un rappel de l’historien Olivier Meuwly

L’automne prochain, les gazettes de notre pays ne parleront que d’elle… En novembre 1918, alors que l’armistice est sur le point de faire taire les canons qui ensanglantaient l’Europe, une grève générale fit planer quelques jours durant le spectre révolutionnaire sur la neutre Helvétie. Comment cela fut-il possible et quelles en furent les conséquences ?

Les mutations économiques et sociales qui accompagnent le passage du XIXe au XXe siècle ne se produisent pas dans une bienveillante harmonie. Le capitalisme, adossé à une économie déjà mondialisée et stimulé par d’importantes innovations technologiques comme l’électricité, s’emballe ; la question sociale s’invite parmi les priorités politiques. Ces bouleversements n’épargnent pas la Suisse. De 1860 à 1914, on dénombre environ 2000 conflits sociaux, qui suscitent parfois l’intervention, controversée, de l’armée ; le parti socialiste est fondé en 1988. More Information

Le mythe de la grève générale ne séduit toutefois qu’une partie de la gauche. Les plus anciens sont plutôt réticents mais sa simple évocation hypnotise les classes bourgeoises : la grève générale qui surgit à Zurich en 1912 provoque un traumatisme profond et l’aile gauche du parti gagne du terrain, sous la conduite du Zurichois Robert Grimm ou de l’Allemand Willi Münzenberg.

Le Comité d’Olten

En 1914 néanmoins, les socialistes adhèrent à l’union sacrée et votent les crédits militaires. Les tensions en leur sein se multiplient cependant. Leur aile gauche se fait plus vindicative et prend langue avec ses homologues européens, adeptes d’une paix comme marchepied vers la révolution, qu’elle reçoit dans l’Oberland bernois en 1915 et en 1916. Elle profite de la misère qui étend ses ravages en Suisse à partir de 1917 et, surtout, d’un événement majeur, survenu la même année et qui a transformé en réalité le rêve révolutionnaire : l’arrivée au pouvoir des bolcheviks.

En 1918, l’Allemagne est au bord de l’effondrement. Les grèves se succèdent depuis plusieurs mois, une partie de la gauche socialiste s’est autonomisée derrière Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg et refuse les crédits militaires. La Suisse se met au diapason : un comité se fonde à Olten et prend la direction de la contestation.

En octobre les employés de banque se mettent en grève à Zurich. La mobilisation de la troupe, le 7 novembre, provoque un choc dans l’opinion. Face à un parti socialiste divisé, le comité d’Olten décrète la grève générale pour le 9 en même temps qu’il affiche ses revendications. Le mouvement prend de l’ampleur. Des émeutes éclatent, surtout en Suisse alémanique, et on dénombre trois morts à Granges. Tandis que le désordre menace, la droite s’organise : des gardes bourgeoises sont fondées, destinées à appuyer les forces de police en cas de besoin. La crainte, en réalité sans fondement, d’un mouvement téléguidé depuis Moscou est prégnante…

Le Conseil fédéral pose un ultimatum, auquel le comité d’Olten se soumet le 14 novembre, et lâche du lest. Il promet la création d’une AVS, discutée depuis longtemps, et d’avancer les élections fédérales à 1919, désormais au suffrage proportionnel, dont le principe a été adopté en votation en octobre. La même année a lieu le procès des leaders de la grève.

L’illusion révolutionnaire s’est dissipée

En réalité ces élections fédérales anticipées constituent un tournant pour l’histoire du mouvement ouvrier en Suisse. Certes, si les catholiques conservateurs se maintiennent, les radicaux subissent une défaite retentissante. Les socialistes sont les grands vainqueurs, avec les agrariens, apparus sur la droite des radicaux. Mais leur victoire est insuffisante pour leur faire croire à l’imminence d’une révolution sur le territoire helvétique. De plus, ils ne peuvent garder leur aile gauche, qui fondera le Parti communiste en 1921.

Et, surtout, dans la période troublée de l’après-guerre, la démocratie directe déploie ses effets apaisants. Si la Suisse connaît, comme ses voisins, des mouvements tendant vers les extrêmes, les projets marqués trop à droite ou trop à gauche sont régulièrement sanctionnés par le peuple qui, par son verdict, oblige les partis à s’asseoir autour de la même table. L’idée d’augmenter le nombre d’heures de travail hebdomadaire est rejetée, comme deux projets de loi jugés hostiles aux étrangers. De même, une initiative dite de crise, lancée par les syndicats mais jugée attentatoire à l’activité économique, sera à son tour écartée.

Pour les syndicats, le message est clair : l’illusion révolutionnaire s’est dissipée, le réformisme doit primer. Leurs démarches sont d’abord accueillies fraîchement par le patronat, mais sous, la pression du Conseil fédéral, l’industrie des machines et de l’horlogerie accepte la main tendue. Il en sortira la Paix du travail, signée en 1937. De son côté, le PS fait sien le principe de la défense nationale. Et en décembre 1943 sera élu le premier conseiller fédéral socialiste en la personne d’Ernst Nobs, un ancien chef de la grève générale de 1918.

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