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à propos de l’étonnant appel de Le Pen aux insoumis

mercredi 3 mai 2017, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 2 mai 2017).

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Au sujet de l’appel de Le Pen aux insoumis

La première tentation pour des communistes ou des progressistes serait d’ironiser : «  même pas dans ses rêves les plus fous ». Les positions du FN et des insoumis sur les sans papiers, sur le racisme et sur bien d’autres sujets sont diamétralement opposées, sans parler des syndicalistes qui ont soutenu Mélenchon tandis que Le Pen rangeait la CGT dans l’oligarchie. Mais si des communistes et d’authentiques progressistes se sont engagés aux côtés de Mélenchon, ils ne sont pas les seuls et ce courant porte en lui des conceptions très éloignées du marxisme-léninisme et de l’idéologie prolétarienne. Le Pen ne s’adresse d’ailleurs pas directement à Mélenchon mais à ses insoumis.

Il va sans dire que les thèses éculées du genre « les extrêmes se rejoignent » n’ont rien à faire ici. L’objectif n’est pas de présenter Mélenchon comme un Le Pen de gauche, les choses sont plus complexes que cela. Il ne faut pas croire non plus à un simple calcul électoraliste tablant sur des « hésitations » de Mélenchon en difficulté. Je ne développe pas sur la démagogie du programme du FN. Certaines critiques concernant Macron sont justifiées d’où qu’elles viennent parce qu’il est effectivement le représentant des classes monopolistes de la bourgeoisie financière, mais aussi industrielle et commerciale. Nous avons établi que Le Pen défend globalement les mêmes intérêts sous des dehors opposés.

Xuan Les failles de Mélenchon que Le Pen cherche ici à exploiter méritent qu’on s’y penche, non seulement pour exercer notre critique, mais aussi pour nous interroger sur notre propre programme et élaborer une ligne communiste, révolutionnaire, indépendante.

Un projet qui ne sort pas du cadre de l’Etat bourgeois

« Je pense enfin à la question de la question de la démocratie, thème que Monsieur Mélenchon a longuement développé. Mon projet vise à la renforcer considérablement en améliorant la représentation du peuple dans les assemblées via la proportionnelle et en ayant recours au référendum. Je propose notamment le référendum d’initiative populaire qui permettra aux français de faire des propositions de loi ou de demander le retrait de lois qu’ils contestent. » dit Le Pen.

On devine bien entendu comment le FN voudrait établir sa propre loi à travers de tels « référendums ». La VIe république dans sa conception ne vise qu’à modifier le caractère présidentiel de la Ve république et la représentation parlementaire. Comme son intitulé le laisse deviner elle constitue un changement quantitatif et non qualitatif. Elle est étrangère à notre conception d’une démocratie populaire et au socialisme. La nature keynésienne de son projet économique va dans le même sens. Le récent "chantage" à Macron, envisageant une place de premier ministre de la super finance en échange de l’abolition de la loi travail, est d’un ridicule achevé, mais il laisse quand même à penser qu’un maroquin serait concevable avec un président détesté avant d’être élu. Si des camarades se font quelque illusion sur ce point, Le Pen, Philippot, Soral et Cie en sont parfaitement avertis. Ils ne rêvent pas et sont capables de distinguer dictature du prolétariat et illusions petite-bourgeoises sur d’hypothétiques représentations démocratiques sous la dictature de la bourgeoisie. Le Pen a aussi parfaitement compris les failles de Mélenchon sur la question nationale :

« J’ai été sensible, comme beaucoup d’entre vous, au fait que les drapeaux rouges aient été remplacés par des drapeaux bleu-blanc-rouge et que de belles marseillaises aient été entonnées par les partisans de La France insoumise ».

Interdire et remplacer les drapeaux rouges par des drapeaux tricolores, précisément le 18 mars, chanter la Marseillaise et censurer l’internationale, tout cela a un sens, il ne s’agit pas seulement d’élargir l’électorat.

« Il ne s’agissait plus de s’en prendre, comme à l’époque [comme en 2012], aux patriotes, mais au contraire de s’adresser à la nation et de viser son unité. … Beaucoup de jeunes, beaucoup de nos compatriotes confrontés au risque de division de la société ont été sensibles au discours sur la paix tenu pendant cette campagne. » poursuit-elle.

L’Unité Nationale vidée de sa signification de classe c’est, dans un pays capitaliste, l’Union Sacrée du capital et du travail derrière la bourgeoisie, c’est l’impérialisme. Naturellement c’est l’objectif de Macron. Mais c’est aussi le leitmotiv des rouge-bruns, des souverainistes, de toute une nébuleuse qui va bien au-delà du FN de Dupont-Aignan à certains réseaux anarchistes. Dès 2011, Marine Le Pen, estimait que le président d’honneur du Mouvement républicain et citoyen, Jean-Pierre Chevènement, a « une analyse assez similaire à celle du FN sur une certain nombre de points », faisant valoir qu’« aujourd’hui, la vraie division s’opère entre les mondialistes et les patriotes » et qu’elle ne « croit plus à la fracture gauche-droite" depuis "bien longtemps". Entendez dans sa bouche la division en classes et pas uniquement entre les partis institutionnels.

Comme on lui demande avec qui elle serait prête à gouverner, elle répond : « quelqu’un comme Jean-Pierre Chevènement a une analyse assez similaire à la nôtre sur un certain nombre de points, alors que c’est un homme de gauche », ajoutant que c’est « tout comme l’historien et sociologue Emmanuel Todd ».

Il faut remonter sans doute à 2014 où dans une lettre ouverte à Mélenchon, Sapir l’invite à « assumer le caractère radical de la souveraineté » . Dans cet esprit la question nationale passe les contradictions de classe.

La France impérialiste et la défense de la patrie

Ces élections ont été marquées dès le premier tour par une débauche de nationalisme, exacerbée par l’attentat des Champs Elysées. Combien de candidats ne se sont pas drapés dans le drapeau tricolore ? Rebelote au second tour. Aujourd’hui Macron se produisait à Oradour / Glane. La signification de son déplacement n’était pas seulement un rappel sur le fascisme, mais aussi une image patriotique. Chacun fait dans la surenchère nationale, accusant l’autre d’être vendu à l’étranger.

Nous avons déjà fait plusieurs fois cette observation que la France de 2017 n’est pas la France de 1940, bien que les rapports entre les impérialismes français et US soient inégaux, et que les monopoles français plient souvent l’échine, et bien que l’économie allemande domine l’Europe. On lit régulièrement sur Marianne des diatribes contre Bruxelles. Mélenchon n’est pas en reste, feu Xavier Beulin en avait fait aussi son cheval de bataille. Mais ni les uns ni les autres ne font observer que les monopoles français et leurs lobbies sont eux-mêmes à l’origine des directives européennes, au service de leurs intérêts de classe et non des petits producteurs ou des salariés. Il s’agit de contradictions entre puissances impérialistes, comparables à celles qui ont conduit à la boucherie de 14. La défense de la patrie n’est pas à l’ordre du jour.

En ce qui concerne le terrorisme, qui menace désormais notre peuple, la nature impérialiste de notre pays doit être prise en compte. La France a elle-même engendré le terrorisme en détruisant la Libye, elle poursuit ses rêves de subversion et d’intervention armée en Syrie, sabotant le combat anti terroriste de cette nation et soutenant systématiquement de prétendus « rebelles », de sorte que sa participation au combat contre le terrorisme est biaisée. Là aussi la « défense de la patrie » est un mot creux.

Le patriotisme économique et la lutte des classes

Mais nous devrions mesurer toutes les conséquences d’un tel mot d’ordre dans notre situation, particulièrement sur le terrain économique. La France est un des deux piliers de l’Europe. Ses banques et ses assurances spolient les pays du sud, ses industries visent le prolétariat pauvre de l’Europe centrale, déjà exploité par l’Allemagne. Il est clair que leurs salaires entrent en concurrence avec ceux des salariés français, soit directement soit à distance. Il en est de même pour les producteurs agricoles, des professions libérales, artisans, etc. Derrière toute l’hypocrisie des discours électoraux, la bourgeoisie n’a rien à offrir au prolétariat sinon la délocalisation des entreprises, l’émigration ou l’immigration des salariés, ou la baisse directe des salaires. La fermeture des frontières est une pure illusion parce qu’aucun pays ne vit en autarcie. Le passage au franc accompagné d’une dévaluation, défendue par Sapir, Lordon («  vive la banqueroute ! ») et quelques autres, n’est qu’une autre forme de la baisse des salaires.

« Ce n’est pas la monnaie qui rend les marchandises commensurables : au contraire. C’est parce que les marchandises en tant que valeurs sont du travail matérialisé, et par suite commensurables entre elles, qu’elles peuvent mesurer toutes ensemble leurs valeurs dans une marchandise spéciale, et transformer cette dernière en monnaie, c’est à dire en faire leur mesure commune. Mais la mesure des valeurs par la monnaie est la forme que doit nécessairement revêtir leur mesure immanente, la durée de travail. » [Capital Livre1 – section1 chapitre 3]

L’identité entre dévaluation et baisse des salaires est parfaitement rendue dans l’expression « dévaluation interne et dévaluation externe » la première n’étant rien d’autre que la baisse directe des salaires, tandis que la seconde consiste à les baisser à travers la dévaluation. Nous avions signalé en 2013 le débat sur la sortie de l’Euro entre Sapir et Mélenchon à arrêt sur image le 4 juillet 2013. Sapir se place d’emblée dans la perspective de dévaluer le Franc dès la sortie de l’Euro. On observera que Mélenchon n’est pas choqué par les conséquences de cette dévaluation sur le pouvoir d’achat des masses. « vive l’inflation ! » dit-il, en ajoutant que ceux qui perdent sont les rentiers et qu’en gros on s’en fout. Mais lorsque Sapir envisage froidement une dévaluation de 25 %, on imagine aisément quelle serait la hausse des prix pour tous les produits d’importation. Là encore cela n’émeut pas Mélenchon qui propose d’y ajouter l’augmentation des droits de douane, qu’il appelle un "protectionnisme solidaire".

Bref la réalité de la « défense de la nation » pour la France impérialiste n’est autre que l’exploitation des peuples européens et la paupérisation de notre peuple. Il va sans dire qu’un programme socialiste pour notre pays ne pourra pas éluder cette question. Dans tous les cas elle n’a pas d’issue en dehors de la lutte commune des peuples d’Europe contre la domination franco-allemande. Il ne s’agit pas de rêver dans l’immédiat à une Europe socialiste, mais de mener un combat internationaliste prolétarien avec les peuples d’Europe, aux antipodes du nationalisme bourgeois ou du « patriotisme économique » défendu y compris par la gauche de la gauche.

La lutte contre l’hégémonisme US et ses chemins de traverse

Nous avons les uns et les autres remarqué encore que le combat anti-impérialiste contre la superpuissance US était dévoyé par des souverainistes gaullistes, ou liés de près ou de loin à la mouvance rouge-brun et au FN. Ce dernier a établi des liens avec d’autres milieux nationalistes bourgeois en Russie, en Libye, en Syrie, etc. On remarquera au passage que Le Pen dans son appel à Mélenchon souhaite des relations pacifiées avec la Russie « partenaire indispensable à la stabilité du monde », mais qu’elle ne cite nulle part la Chine. Ces liens se sont développés d’abord après la fin de l’URSS et la domination hégémonique US. Des gaullistes progressistes comme Thierry Meyssan ont viré leur cuti et rallié le souverainisme bourgeois.

Un véritable courant anti-impérialiste n’a pas tué dans l’œuf cette dérive réactionnaire, et cela pour deux raisons. D’une part la social-démocratie a détourné de nombreux progressistes du combat anti-impérialiste au nom de la défense de la « démocratie » occidentale contre les « dictatures ». Elle a justifié la subversion d’Etats souverains et le droit d’ « ingérence humanitaire », soutenu à ce titre des groupes armés à l’étranger, baptisés « rebelles » ou « révolutionnaires » des bandes de néo-fascistes, de terroristes, d’égorgeurs et de bandits et salué leurs « exploits », maquillé des génocides, légitimé le bombardement de populations civiles et les interventions militaires pour imposer des changements de gouvernement, etc. D’autre part des thèses trotskistes comme celles du NPA, ou bien néo-trotskistes issues de la ligne gauchiste albanaise, ont présenté les pays émergents comme des pays « impérialistes » ou compradores, qu’il ne convenait pas de soutenir, et prétendu que le seul combat légitime dans le monde était celui de la classe ouvrière contre la bourgeoisie. Ces positions ont renforcé de fait la propagande impérialiste de la bourgeoisie.

Sauf à de rares exceptions, le combat anti-impérialiste s’est donc la plupart du temps cantonné à la défense de la paix, sans se placer ouvertement aux côtés des nations agressées, soit pour ne pas se compromettre avec des dictateurs, soit pour ne pas s’afficher aux côtés des rouge-bruns et des souverainistes.

Nous avons souvent du mal à admettre que le combat anti-impérialiste n’est pas identique à ce que nous avons connu dans les années soixante. Il ne se situe plus sur terrain de la guérilla révolutionnaire, mais il oppose des pays souverains à la superpuissance US ou à d’autres impérialismes comme le notre, donc sur le terrain économique, technologique, financier, scientifique. D’autre part l’émergence est souvent conduite par la bourgeoisie nationale et non par des partis communistes, de sorte que le peuple peut être réprimé avec violence, ou bien ces classes bourgeoises cèdent face à l’impérialisme. Mais l’aspect dominant est la lutte contre l’impérialisme car ces bourgeoisies ne peuvent pas se développer sous sa botte.

La paix et l’impérialisme français

Sur ce point le programme de Mélenchon peut sembler un programme pacifiste dans la mesure où il ne prolonge pas les alliances avec les USA. On pourrait en dire de même avec le FN ou des groupes gaullistes. En fait les choses ne sont pas si simples. L’indépendance envers l’impérialisme US n’est pas la fin de l’impérialisme français, ni la fin de ses ambitions.

La bourgeoisie française, y compris dans sa version gaulliste, n’a jamais considéré que l’indépendance nationale dût aussi s’appliquer à ses propres colonies. Rappelons que le 9 juillet 1941, la nomination par De Gaulle de l’amiral d’Argenlieu comme haut-commissaire pour le Pacifique, (puis le 28 novembre commissaire national délégué pour le Pacifique avec la responsabilité de diriger la politique des comités de la France libre en Extrême Orient), ne visait pas seulement à écarter les fantoches pétainistes d’Indochine, mais à assurer la perpétuation de l’Empire après la guerre dans le cadre de l’Union Française.

Le 1er janvier 1942 De Gaulle n’eut aucun scrupule à signer la Charte de l’Atlantique de Roosvelt et Churchill : ’ ils respectent le droit qu’ont tous les peuples de choisir la forme de Gouvernement sous laquelle ils entendent vivre ; et ils désirent voir restituer, à ceux qui en ont été privés par la force, leurs droits souverains’….

Bien entendu les promesses faites aux peuples colonisés, assurant toutes sortes de libertés après leur libération ne furent jamais tenues. Le 8 mai 1945 à Sétif et Guelma le massacre est organisé par De Gaulle lui-même, qui charge Duval de rétablir l’ordre avec l’aide de l’aviation, des blindés et de la marine (le croiseur Dugay-Trouin), auxquels s’ajoutent les milices des colons. Au Vietnam, tandis que Bao Dai proclamait l’indépendance le 11 mars 1945, et Ho Chi Minh le 2 septembre, d’Argenlieu écrivait le 6 jours après « Nous avons (…) à discuter loyalement avec les représentants qualifiés des populations indochinoises pourvu que ce soit dans le calme (…) c’est dans cet esprit que nous avons à entrer en contact avec le parti Viet-Minh, puis avec les autres partis, mais il s’agit de s’informer réciproquement, non de négocier (…), nous ne pouvons pas davantage parler d’indépendance. Nous n’y sommes d’ailleurs pas autorisés par le gouvernement (…), nous devons pratiquer une politique d’émancipation administrative et politique. ». Le 12 la « France libre » intervenait au Vietnam. Le général Leclerc : « Saisissez toutes les occasions pour casser l’organisation Viêt Minh. Rassurez les paysans. Qu’ils reprennent le chemin du marché de Saigon. Contraignez les rebelles à disparaître (…) et n’oubliez jamais : les villages où vous pénétrez sont des villages français ». Le 1er juin 1946 d’Argenlieu proclama une « république autonome de Cochinchine ». Le masque tomba enfin lors du bombardement de Haïphong le 23 novembre, au moment même où Maurice Thorez espérait encore être élu président du Conseil.

Un an après sous la présidence du socialiste Ramadier fut commis l’odieux Oradour malgache

Cette ligne ne s’est jamais démentie après l’indépendance des colonies, elle s’est perpétuée à travers les réseaux de la Françafrique de Foccart, ainsi que sous Mitterrand. Sous cet angle il n’y a aucune différence entre gaullisme et atlantisme social-démocrate.

De son côté le FN prend ses racines dans la guerre coloniale contre le peuple algérien, où son fondateur pratiqua la torture, tandis qu’un ministre de la justice faisait guillotiner le communiste Yveton pour sa participation à la guerre de libération nationale algérienne. Ce Garde des Sceaux sous Guy Mollet, ex cagoulard militant à l’Action Française, fut aussi un ami de Tixier Vignancourt. Il devint président "de gauche" de la Ve République et imposa la présence de JM Le Pen sur les chaines publiques.

La politique étrangère prévue par Mélenchon, tout pacifiste qu’il se présente, n’envisage nulle part de briser l’impérialisme français.

Sur son blog, Mélenchon titre dès le 5 novembre 2014, un article révélateur de cette vision : « La France, puissance maritime qui s’ignore » avec une carte qui fait ressortir tous les territoires dominées par l’état français à travers le monde et son espace maritime, autour de ses colonies d’outre-mer, de la métropole et des TAAFs. Et avec cet espace, Mélenchon l’affirme « la France dispose d’un trésor ». Pour faire du profit à priori. Car comme il l’explique, « elle est le premier réservoir des ressources rares, la mer aiguise de féroces appétits ».[Futur Rouge]

Dans ces conditions le pacifisme ne va pas au-delà des intérêts impérialistes, quelles que soient les volontés réelles ou affichées. Là aussi Le Pen sait à qui elle a affaire et ne dit pas n’importe quoi.

Ceci, sans prétendre faire le tour du sujet, devrait nous aider à approfondir notre propre projet de société.

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