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Marxisme-Léninisme, Marx, Lénine, ML, en deux mots, c’est quoi ? (Partie 1)

mercredi 22 mai 2019, par Luniterre (Date de rédaction antérieure : 22 mai 2019).

L’idée même du communisme n’a jamais été autant dépréciée qu’elle ne l’est à notre époque, et surtout en Occident.

Néanmoins, ce n’est pas le cas systématiquement dans bien d’autres régions du monde, à commencer par celles qui ont vu s’établir des régimes politiques s’en réclamant, et qui, dans une grande puissance comme la Chine, s’en réclament encore…

La plupart de ces pays, à commencer par l’URSS, se sont également réclamé du marxisme-léninisme, comme idéologie fondatrice du mouvement communiste moderne en général, et du parti communiste en particulier.

Pourtant, aujourd’hui, si très peu de partis communistes d’importance ont survécu, la plupart, en outre, ont renoncé, et le plus souvent, très officiellement, au marxisme-léninisme.

Ce n’est pas le cas du Parti Communiste Chinois, qui a même pendant un temps prétendu ajouter un prolongement « maoïste » au marxisme-léninisme.

Un parti qui joue non seulement le rôle dirigeant essentiel en Chine mais qui, de ce fait, influe sur les rapports de force entre puissances mondiales, et sur l’ensemble des forces politiques qui s’y expriment.

Il n’est donc pas sans importance de définir ce que nous entendons par Marxisme-Léninisme ! Il s’agit donc, entre autres conséquences, de définir la nature économique et sociale, la nature de classe, bourgeoise ou prolétarienne, de la deuxième puissance mondiale. Et donc de situer le rôle de son influence dans les luttes économiques, politiques, sociales et idéologiques, à l’heure actuelle !

Il est clair que les conceptions idéologiques développées par ce parti sont promues avec tous les moyens d’influence, de communication et de propagande de cette grande puissance. Non pas forcément dans un but de prosélytisme au premier degré, mais dans le but de faire rayonner son influence dans tous les cercles politiques, culturels, économiques des pays entretenant des relations avec la Chine.

Cette influence chinoise est l’un des vecteurs par lequel revient, sous diverses formes, l’idée que le marxisme-léninisme n’est pas réellement devenu une idéologie obsolète.

De plus, avec la crise de 2008 et aussi avec la problématique de la robotisation de l’industrie, est revenue sur le devant de l’actualité la perspicacité des analyses et des prospectives développée voici déjà un siècle et demi par Karl Marx.

Une partie importante de l’intelligentsia de la gauche occidentale s’est donc sentie à nouveau portée à se référer au marxisme, et avec le rayonnement « attractif » de la puissance économique chinoise, d’aucuns se sont référé à nouveau au léninisme pour, en quelque sorte, et à plus d’un titre, « bénéficier de ce rayonnement » !

Mais l’objet de cet article n’est pas non plus de faire un tri systématique de ces divers « rayonnements et influences », mais bien plutôt de revenir à ce que sont les fondamentaux du marxisme-léninisme et de laisser le lecteur juger lui-même de la réalité des choses.

Il ne s’agit pas non plus de partir d’un préjugé dogmatique selon lequel tous propos de Marx et de Lénine seraient des vérités éternelles et intangibles.

Comme on l’a vu, si ces propos reprennent de l’influence, c’est bien parce qu’ils s’avèrent être encore des outils opérationnels pour comprendre le monde d’aujourd’hui et les difficultés auxquelles il est confronté.

Toutefois, tracer la limite entre l’opérationnel et ce qui pourrait effectivement être obsolète, dans un ensemble d’œuvres aussi vaste, ce n’est pas chose aisée et ne peut se faire qu’à mesure de la confrontation entre l’outil et la matière économique, sociale et politique, à traiter.

Et il ne s’agit ici que de tenter une approche résumée. On s’en tiendra donc à ce que ces deux auteurs ont eux-même tenu pour fondamental et trans-historique, dans leurs œuvres. Évidemment, cette démarche nous semble validée par les différents travaux d’études, de recherches et d’analyse déjà effectués et qui ont prouvé, au fil des années, la validité de ces fondamentaux eux-mêmes.

Autrement dit, le constat de base est bien que rien n’oblige donc évidemment personne à se réclamer du marxisme-léninisme, mais que ceux qui le font ne peuvent s’exonérer d’une démarche de recherche de validation de leurs écrits, travaux et proclamations diverses, à l’aune de ces fondamentaux !

L’honnêteté exige que les mots aient un sens, et surtout, de préférence, en matière de communication politique !

Comme on va le voir, ce n’est donc pas si compliqué, et les lignes de démarcation apparaîtront très vite au lecteur, et lui permettront, s’il sait comprendre les interactions entre les diverses aspects de la question, de se forger sa propre approche, sa propre évaluation.

Le nom de Marx et le concept de marxisme sont d’abord culturellement identifiés au concept de lutte sociale, de lutte de classe… Une des raisons provient évidemment du Manifeste du Parti Communiste, qui, dès 1847, ouvrait sur cette célèbre phrase :

« L’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire de la lutte des classes. »

Mais plus important que la lutte elle-­même est le but de la lutte, ce qu’il devait préciser quelques années plus tard :

« Maintenant, en ce qui me concerne, ce n’est pas à moi que revient le mérite d’avoir découvert l’existence des classes dans la société moderne, pas plus que la lutte qu’elles s’y livrent. Des historiens bourgeois avaient exposé bien avant moi l’évolution historique de cette lutte des classes et des économistes bourgeois en avaient décrit l’anatomie économique. Ce que j’ai apporté de nouveau, c’est :

de démontrer que l’existence des classes n’est liée qu’à des phases historiques déterminées du développement de la production ; que la lutte des classes mène nécessairement à la dictature du prolétariat ; que cette dictature elle-­même ne représente qu’une transition vers l’abolition de toutes les classes et vers une société sans classes. »

__K. Marx, Lettre à J. Weydemeyer, 5 mars 1852

Le concept de dictature du prolétariat, c’est évidemment le mot qui fâche, qui bloque et renvoie à l’image désastreuse que la bourgeoisie a réussi à forger du communisme en général et du marxisme-léninisme en particulier. Le fait est qu’aucun des pays s’y étant référé ou s’y référant encore n’a réellement franchi l’étape de transition menant à une société sans classe. Néanmoins, l’évidence et le bon sens indiquent qu’une transformation vers une société sans classes, ou même simplement avec un nivellement réel des différences de classe, ne peut se faire sans transition.

Le fait que la classe révolutionnaire prolétarienne doive s’organiser comme classe capable d’imposer une telle transformation à l’ancienne classe dominante et à ses zélateurs de tous ordres et fonctions, c’est aussi une évidence, et aussi de celles qui fâchent…

Pour l’instant historique que nous vivons encore, c’est donc le degré de transformation et la nature des changements opérés qui sont le critère d’évaluation, à défaut d’aboutissement du processus.

Un bilan comparatif des diverses tentatives n’est évidemment pas l’objet de cet article, mais bien plutôt de donner au lecteur les clefs, les outils essentiels qui lui permettront de faire lui-même sa propre évaluation.

Il importe donc particulièrement, et même, essentiellement, de comprendre ce que Marx et Lénine entendaient par « phase de transition », mais on ne peut pas faire l’impasse sur le concept de dictature du prolétariat :

« Entre la société capitaliste et la société communiste, se place la période de transformation révolutionnaire de celle-là en celle-ci. À quoi correspond une période de transition politique où l’État ne saurait être autre chose que la dictature révolutionnaire du prolétariat. »

___K. Marx, 1875, CRITIQUE DU PROGRAMME DE GOTHA.

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« L’essentiel, dans la doctrine de Marx, c’est la lutte des classes. C’est ce qu’on dit et c’est ce qu’on écrit très souvent. Mais c’est inexact. Et, de cette inexactitude, résultent couramment des déformations opportunistes du marxisme des falsifications tendant à le rendre acceptable pour la bourgeoisie. Car la doctrine de la lutte des classes a été créée non par Marx, mais par la bourgeoisie avant Marx ; et elle est, d’une façon générale, acceptable pour la bourgeoisie. Quiconque reconnaît uniquement la lutte des classes n’est pas pour autant un marxiste ; il peut se faire qu’il ne sorte pas encore du cadre de la pensée bourgeoise et de la politique bourgeoise. Limiter le marxisme à la doctrine de la lutte des classes, c’est le tronquer, le déformer, le réduire à ce qui est acceptable pour la bourgeoisie. Celui-là seul est un marxiste qui étend la reconnaissance de la lutte des classes jusqu’à la reconnaissance de la dictature du prolétariat. C’est ce qui distingue foncièrement le marxiste du vulgaire petit (et aussi du grand) bourgeois. C’est avec cette pierre de touche qu’il faut éprouver la compréhension et la reconnaissance effectives du marxisme. »

___Lénine, 1917, L’État et la Révolution, Chap II.

Le but de la transition, l’aboutissement à une société sans classes, cela ne peut se faire sans abolition du capitalisme et c’est bien là le but fondamental de la transition. Une société de transition ne commence clairement qu’avec une rupture d’avec le capitalisme. C’est un processus qui vise à réduire, et le plus rapidement et le plus complètement possible le capitalisme, c’est à dire l’emprise du capital et du capitaliste sur la société, jusqu’ à les faire disparaître, en tant que fonction économique et en tant que classe sociale.

Quel est le processus de rupture anticapitaliste entrepris et quel est le niveau de son développement, voilà ce qui permet de distinguer ce qui ressort du socialisme ou non, comme phase de transition et première phase du communisme, et donc ce qui doit donc être le contenu caractéristique de la dictature du prolétariat.

Bien évidemment, le degré de transformation d’une société ne peut s’apprécier qu’à partir de l’évaluation d’une situation au départ de la transformation révolutionnaire. De plus, et tout aussi évidemment, ce n’est qu’à partir d’une compréhension approfondie de cette situation que l’on peut envisager les transformations adéquates. C’est pourquoi l’œuvre de Marx repose essentiellement sur une telle compréhension. C’est pourquoi, aujourd’hui encore, Le Capital est considéré comme l’œuvre majeure de Marx, ce qui correspond effectivement au but principal qu’il avait fixé à son travail, dans la perspective d’une transformation révolutionnaire.

Mais c’est clairement aussi là ce qui distingue le marxiste-léniniste de l’économiste bourgeois. Tout en poursuivant cette œuvre majeure de décryptage du système économique capitaliste, Marx restait à l’affût des moindres prises possibles par lesquelles le prolétariat pouvait commencer d’entreprendre une transformation révolutionnaire et abolir ce système.

Il n’en va évidemment pas de même de l’économiste bourgeois lorsqu’il tente d’utiliser la somme impressionnante de connaissance économique contenue dans cette œuvre pour ses propres fins de capitaliste. La propension de certains dans cette utilisation les pousse encore assez souvent à se déclarer « marxistes », pour se donner une contenance communicative « progressiste », ou parfois « marxiens », pour éviter d’indisposer leur pairs libéraux en duplicité…

Avec l’évolution actuelle du capitalisme, et non seulement à cause de son développement sur les ruines des anciens pays socialistes, mais aussi par la survivance de leur influence idéologique dans certains pays, c’est l’idéologie marxiste-léniniste elle-­même qui est très souvent victime du même processus de référence abusive, à des fins tout à fait contraires à ses buts initiaux et réels.

Les deux démarches idéologiques, qu’elles soient pseudo « marxiste » / « marxienne » ou pseudo « marxiste-léniniste » sont cependant profondément de même nature de classe, bourgeoise et réactionnaire, et, par rapport aux fondamentaux, de l’ordre du révisionnisme.

Néanmoins il reste important et même fondamental, pour le marxiste-léniniste contemporain, de comprendre les processus par lesquels s’accumule le capital et pourquoi, en dépit de la tournure exponentielle qu’à pris cette accumulation, depuis quelques décennies déjà, non seulement aucun des problèmes économiques, sociaux et écologiques auxquels le monde actuel se trouve confronté ne sont en voie de résolution, mais de fait aussi pourquoi la « solution », provisoire, précaire et plus apparente que réelle, d’une phase de crise aiguë, n’est que le prélude à une autre phase de crise aiguë, et très probablement encore pire, de l’avis des « experts » bourgeois eux-mêmes !

Ces processus d’accumulation exponentielle, quasiment généralisés à travers la planète et encore accentués avec les processus de la mondialisation, n’en sont pas moins très inégaux entre eux, entre les nations et les régions du globe. Ils donnent lieu à des luttes féroces et même systématiquement impitoyables entre nations, groupes de nations et pôles d’intérêts financiers. Cela peut paraître un truisme et une évidence à priori peu utile à rappeler, sauf si l’on considère précisément l’origine de la richesse des nations émergentes, des puissances qui montent par rapport à celles qui déclinent : c’est leur développement économique qui en est la source, et il repose essentiellement sur le développement de leur industrie et donc sur le travail du prolétariat industriel.

Aujourd’hui comme hier, et même en tenant compte de tous les progrès de la technique et de la robotisation, c’est le travail humain, et singulièrement, celui du prolétaire industriel, qui reste la source essentielle de la richesse et de la puissance des nations. Et donc, en réalité, dans le système actuel, de l’accumulation du capital !

C’est ainsi qu’une évidence triviale, assez médiatiquement répandue par l’économiste et l’idéologue bourgeois et petit-bourgeois permet en fait d’en dissimuler une autre, beaucoup plus fondamentale, en réalité.

Le processus d’accumulation du capital par le travail, c’est donc, en fait et ni plus ni moins, le processus d’accaparement de la plus-value crée par le travail du prolétaire.

Cette plus-value est elle-­même une partie de la valeur globalement créée par le travail, au delà du travail déjà accumulé dans les moyens de production et de la partie du travail rémunérée sous forme de salaire et équivalente à ce qui est nécessaire à la reproduction de la force de travail du prolétaire.

Ce salaire est donc la valeur d’échange par laquelle le capitaliste s’approprie la force de travail du prolétaire, tandis que la plus-value résulte de la différence avec le produit global de cette force de travail, qui est sa valeur d’usage, intégralement acquise au capitaliste par le contrat de travail, qu’il soit écrit ou de fait, par simple engagement oral.

Cette différence est donc un effet concret des lois économiques du capitalisme telles qu’observées, analysées et décryptées par Marx.

Et principalement, de la loi de la valeur. La loi de la valeur est la loi économique principale à la base de l’étude des processus économiques par Marx. C’est celle qu’il a mis lui-même à la base de son œuvre majeure, Le Capital, et cela dès le Chapitre 1 du Livre I.

Il est donc impossible, en réalité de se dire marxiste, ou même de se référer au marxisme, sans une connaissance suffisante de cette loi, sans une étude sérieuse des premiers chapitres du Capital. De même, en lien avec cette loi, le concept de plus-value ne peut se comprendre sans une étude suffisante des passages de l’œuvre de Marx le développant.

Avec les moyens modernes, l’œuvre de Marx est désormais en accès gratuit et une lecture thématique est particulièrement simplifiée par ces moyens. Il n’est donc pas question d’en faire ici un résumé, au demeurant tout à fait inutile, mais simplement de pointer les principaux thèmes de lecture qui peuvent guider la recherche du novice.

Ce qui était possible à des militants ouvriers autodidactes, il y a déjà plus d’un siècle, l’est encore bien davantage, aujourd’hui.

Comme on le voit ici, dès les premières pages de ce modeste article de présentation, plusieurs lignes de démarcations sont déjà apparentes entre ce qui permet de se considérer marxiste ou non, entre pseudos- « marxistes », opportunistes et révisionnistes, en réalité, et marxistes-léninistes réellement révolutionnaires.

Mais ce n’est pas encore là l’essentiel, qui est évidemment le contenu révolutionnaire lui-même que l’on veut donner à la phase de transition, à la dictature du prolétariat.

Marx, nécessairement, s’est peu étendu sur les principes économiques de la phase de transition. En effet, s’il avait huit siècles de développement de la société bourgeoise à étudier, depuis son émergence sous la féodalité, il n’avait pas même un siècle d’émergence et de développement du mouvement ouvrier à étudier et tout au plus quelques semaines, avec la Commune de Paris, d’une ébauche d’alternative au capitalisme.

Pour autant, on ne peut pas dire qu’il ait éludé le sujet, chaque fois qu’il s’y est trouvé confronté, et son œuvre la plus caractéristique, sur ce thème, est certainement la Critique du Programme de Gotha, où il expose ses idées à ce sujet, en contre-proposition par rapport au projet de programme du parti social-démocrate allemand.

Il y expose des principes économiques qui sont dans le prolongement direct de ceux exposés à propos de la loi de la valeur telle qu’à la base de son œuvre majeure, dès le Chapitre 1 du Livre I du Capital. On ne saurait donc lui reprocher un manque de cohérence sur ce sujet essentiel, malgré le petit nombre d’occurrences, effectivement, dans l’ensemble de son œuvre.

Mais de plus, et indépendamment de l’espacement dans le temps de ces diverses occurrences, ou même, plutôt, à cause même de cet espacement, ce qui est également frappant, c’est la très grande cohérence entre ces occurrences elle-­même.

Et cela dès l’origine de la conception même de son œuvre majeure, dont une partie des bases est généralement considérée comme étant le texte dit des Grundrisse, en 1857-58. Dans le célèbre « Fragment sur les machines », Marx y aborde la question du rapport entre capital, travail et temps libre, encore un sujet étonnamment, mais au fond, assez logiquement, terriblement d’actu…

« Le capital ajoute ceci, qu’il augmente le temps de surtravail de la masse par tous les moyens de l’art et de la science, parce que sa richesse consiste directement en l’appropriation de temps de surtravail ; étant donné que son but est directement la valeur, non la valeur d’usage. Il contribue ainsi, malgré lui, activement à la création des moyens du temps social disponible, tendant à réduire le temps de travail pour la société tout entière à un minimum décroissant et à libérer ainsi le temps de tous aux fins de leur propre développement. Mais sa tendance est toujours de créer d’un côté du temps disponible, et, d’un autre côté, de le convertir en surtravail. S’il réussit trop bien dans la première entreprise, il souffre alors de surproduction et le travail nécessaire se trouve interrompu faute de ce que du surtravail puisse être valorisé par le capital. Plus cette contradiction se développe, plus il s’avère que la croissance des forces productives ne peut plus être enchaînée à l’appropriation de surtravail d’autrui, mais qu’il faut que ce soit la masse ouvrière elle-même qui s’approprie son surtravail. Lorsqu’elle a fait cela – et que, par là, le temps disponible cesse d’avoir une existence contradictoire –, alors, d’un côté, le temps de travail nécessaire aura sa mesure dans les besoins de l’individu social, d’un autre côté, le développement de la force productive sociale croîtra si rapidement que, bien que la production soit désormais calculée pour la richesse de tous, le temps disponible de tous s’accroîtra. Car la richesse réelle est la force productive développée de tous les individus. Ce n’est plus alors aucunement le temps de travail, mais le temps disponible qui est la mesure de la richesse. »

En quelques lignes il nous brosse ainsi les grandes lignes de ce que devient l’évolution de la loi de la valeur à travers les grandes phases historiques modernes, du capitalisme finissant à la naissance du communisme dans sa phase supérieure, et donc en résumant de manière on ne peut plus précise et appropriée ce qui est le principe même d’une économie de transition, et en précisant même ses deux aspects majeurs : la réappropriation collective de la plus-value (surtravail), et l’équilibre des échanges entre temps de travail et besoins sociaux.

Ce sont ces deux idées, liées indissolublement l’une à l’autre, qui définissent ce qu’est une économie de transition, quelle qu’en soit la forme concrète, et qu’il reprendra et développera, dix huit ans plus tard, dans la Critique du Programme de Gotha. Dans ce développement, la forme concrète est évidemment beaucoup plus détaillée, en fonction du contexte de l’époque, et certains aspects, comme la forme « bons de travail », peuvent paraître obsolètes, mais ce qui est important est le principe de fond, identique à celui ébauché dès les Grundrisse, alliant fond commun de collectivisation du surtravail (plus-value) et répartition individuelle selon les quantums de travail (valeur-travail), directement basée sur une réutilisation socialisée de la loi de la valeur, telle que définie à la base du Capital.

« Si nous prenons d’abord le mot « produit du travail » (Arbeitsertrag) dans le sens d’objet créé par le travail (Produkt der Arbeit), alors le produit du travail de la communauté, c’est « la totalité du produit social » (das gesellschaftliche Gesamtprodukt).

Là-dessus, il faut défalquer : Premièrement : un fonds destiné au remplacement des moyens de production usagés ; Deuxièmement : une fraction supplémentaire pour accroître la production ; Troisièmement : un fond de réserve ou d’assurance contre les accidents, les perturbations dues à des phénomènes naturels, etc.

Ces défalcations sur le « produit intégral du travail » sont une nécessité économique, dont l’importance sera déterminée en partie, compte tenu de l’état des moyens et des forces en jeu, à l’aide du calcul des probabilités ; en tout cas, elles ne peuvent être calculées en aucune manière sur la base de l’équité.

Reste l’autre partie du produit total, destinée à la consommation.

Mais avant de procéder à la répartition individuelle, il faut encore retrancher :

Premièrement les frais généraux d’administration qui sont indépendants de la production. Comparativement à ce qui se passe dans la société actuelle, cette fraction se trouve d’emblée réduite au maximum et elle décroît à mesure que se développe la société nouvelle.

Deuxièmement : ce qui est destiné à satisfaire les besoins de la communauté : écoles, installations sanitaires, etc. Cette fraction gagne d’emblée en importance, comparativement à ce qui se passe dans la société actuelle, et cette importance s’accroît à mesure que se développe la société nouvelle.

Troisièmement : le fonds nécessaire à l’entretien de ceux qui sont incapables de travailler, etc., bref ce qui relève de ce qu’ on nomme aujourd’hui l’assistance publique officielle.

C’est alors seulement que nous arrivons au seul « partage » que, sous l’influence de Lassalle et d’une façon bornée, le programme ait en vue, c’est-à-dire à cette fraction des objets de consommation qui est répartie individuellement entre les producteurs de la collectivité.

Le « produit intégral du travail » s’est déjà métamorphosé en sous-main en « produit partiel », bien que ce qui est enlevé au producteur, en tant qu’individu, il le retrouve directement ou indirectement, en tant que membre de la société.

De même que le terme de « produit intégral du travail » s’est évanoui, de même nous allons voir s’évanouir celui de « produit du travail » en général.

Au sein d’un ordre social communautaire, fondé sur la propriété commune des moyens de production, les producteurs n’échangent pas leurs produits ; de même, le travail incorporé dans des produits n’apparaît pas davantage ici comme valeur de ces produits, comme une qualité réelle possédée par eux, puisque désormais, au rebours de ce qui se passe dans la société capitaliste, ce n’est plus par la voie d’un détour, mais directement, que les travaux de l’individu deviennent partie intégrante du travail de la communauté. L’expression : « produit du travail », condamnable même aujourd’hui à cause de son ambiguïté, perd ainsi toute signification.

Ce à quoi nous avons affaire ici, c’est à une société communiste non pas telle qu’elle s’est développée sur les bases qui lui sont propres, mais au contraire, telle qu’elle vient de sortir de la société capitaliste ; une société par conséquent, qui, sous tous les rapports, économique, moral, intellectuel, porte encore les stigmates de l’ancienne société des flancs de laquelle elle est issue. Le producteur reçoit donc individuellement – les défalcations une fois faites – l’équivalent exact de ce qu’il a donné à la société. Ce qu’il lui a donné, c’est son quantum individuel de travail. Par exemple, la journée sociale de travail représente la somme des heures de travail individuel ; le temps de travail individuel de chaque producteur est la portion qu’il a fournie de la journée sociale de travail, la part qu’il y a prise. Il reçoit de la société un bon constatant qu’il a fourni tant de travail (défalcation faite du travail effectué pour les fonds collectifs) et, avec ce bon, il retire des stocks sociaux d’objets de consommation autant que coûte une quantité égale de son travail. Le même quantum de travail qu’il a fourni à la société sous une forme, il le reçoit d’elle, en retour, sous une autre forme.

C’est manifestement ici le même principe que celui qui règle l’échange des marchandises pour autant qu’il est échange de valeurs égales. Le fond et la forme diffèrent parce que, les conditions étant différentes, nul ne peut rien fournir d’autre que son travail et que, par ailleurs, rien ne peut entrer dans la propriété de l’individu que des objets de consommation individuelle. Mais pour ce qui est du partage de ces objets entre producteurs pris individuellement, le principe directeur est le même que pour l’échange de marchandises équivalentes : une même quantité de travail sous une forme s’échange contre une même quantité de travail sous une autre forme.

Le droit égal est donc toujours ici dans son principe… le droit bourgeois, bien que principe et pratique ne s’y prennent plus aux cheveux, tandis qu’aujourd’hui l’échange d’équivalents n’existe pour les marchandises qu’en moyenne et non dans le cas individuel.

En dépit de ce progrès, le droit égal reste toujours grevé d’une limite bourgeoise. Le droit du producteur est proportionnel au travail qu’il a fourni ; l’égalité consiste ici dans l’emploi DU TRAVAIL comme unité de mesure commune.

Mais un individu l’emporte physiquement ou moralement sur un autre, il fournit donc dans le même temps plus de travail ou peut travailler plus de temps ; et pour que le travail puisse servir de mesure, il faut déterminer sa durée ou son intensité, sinon il cesserait d’être unité. Ce droit égal est un droit inégal pour un travail inégal. Il ne reconnaît aucune distinction de classe, parce que tout homme n’est qu’un travailleur comme un autre ; mais il reconnaît tacitement l’inégalité des dons individuels et, par suite, de la capacité de rendement comme des privilèges naturels. C’est donc, dans sa teneur, un droit fondé sur l’inégalité, comme tout droit. Le droit par sa nature ne peut consister que dans l’emploi d’une même unité de mesure ; mais les individus inégaux (et ce ne seraient pas des individus distincts, s’ils n’étaient pas inégaux) ne sont mesurables d’après une unité commune qu’autant qu’on les considère d’un même point de vue, qu’on ne les saisit que sous un aspect déterminé ; par exemple, dans le cas présent, qu’on ne les considère que comme travailleurs et rien de plus, et que l’on fait abstraction de tout le reste. D’autre part : un ouvrier est marié, l’autre non ; l’un a plus d’enfants que l’autre, etc., etc. A égalité de travail et par conséquent, à égalité de participation au fonds social de consommation, l’un reçoit donc effectivement plus que l’autre, l’un est plus riche que l’autre, etc. Pour éviter tous ces inconvénients, le droit devrait être non pas égal, mais inégal.

Mais ces défauts sont inévitables dans la première phase de la société communiste, telle qu’elle vient de sortir de la société capitaliste, après un long et douloureux enfantement. Le droit ne peut jamais être plus élevé que l’état économique de la société et que le degré de civilisation qui y correspond.

Dans une phase supérieure de la société communiste, quand auront disparu l’asservissante subordination des individus à la division du travail et, avec elle, l’opposition entre le travail intellectuel et le travail manuel ; quand le travail ne sera pas seulement un moyen de vivre, mais deviendra lui-même le premier besoin vital ; quand, avec le développement multiple des individus, les forces productives se seront accrues elles aussi et que toutes les sources de la richesse collective jailliront avec abondance, alors seulement l’horizon borné du droit bourgeois pourra être définitivement dépassé et la société pourra écrire sur ses drapeaux « De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins ! »

En résumé, ce qui ressort du principe économique marxiste de transition, c’est que l’échange entre producteurs reste formellement « marchand », basé sur les quantums de travail, et donc en partie sur la loi de la valeur, mais que la notion de valeur d’échange est réduite à la notion de répartition en fonction des besoins sociaux, tant collectifs qu’individuels, et non plus soumise à la loi de l’offre et de la demande, la loi du marché. C’est en ce sens que l’économie de transition cesse d’être une économie de marché pour, précisément, devenir une économie socialiste.

En Septembre 1917, c’est à dire très concrètement et presque littéralement, à la veille de la Révolution d’Octobre, c’est expressément à ce texte de Marx que Lénine se réfère, dans « L’Etat et la Révolution », pour définir la base économique de l’Etat socialiste futur (Chapitre V).

Pourtant l’histoire nous apprend effectivement que ce n’est pas ce qui s’est produit, sur le terrain, mais près de quatre ans de guerre « civile » en réalité essentiellement attisée par les puissances impérialistes occidentales. Une guerre, qui, après celle de 1914-1917, contre l’Allemagne, a achevé de ruiner l’économie en Russie. Dans ces conditions ce n’est qu’une forme encore bien plus rudimentaire de socialisme, basé essentiellement sur les réquisitions, qui a pu se mettre en place. A la guerre civile vont succéder les huit années de la NEP (Nouvelle Economie Politique), avant la collectivisation réelle de l’ensemble des moyens de production.

La NEP comprend effectivement à nouveau un secteur économique marchand, soumis à la loi de l’offre et de la demande, et qui concerne essentiellement le domaine agricole. La terre, bien qu’entièrement nationalisée en Octobre 17, reste donc néanmoins, pour sa plus grande part, allouée individuellement aux agriculteurs.

Le secteur économique socialiste comprend l’essentiel de l’industrie, et surtout, de l’industrie lourde, mais aussi déjà quelques fermes d’Etat collectives (Sovkhozes) et quelques coopératives (Kolkhozes). Les Stations Machines Tracteurs, base de la mécanisation de l’agriculture et de la synergie économique entre industrie et agriculture socialistes naissent déjà par initiative spontanée de l’interaction Sovkhozes/Kolkhozes/Industrie Lourde.

Le secteur Capitaliste d’Etat comprend les entreprises d’économie « mixtes » à capitaux à la fois publics et privés, incluant les « joint-ventures », concessions à capitaux en partie étrangers.

En « mixte » ou en « privé » les concessions étrangères ne représenteront jamais qu’une part dérisoire des forces productives, et il n’y a plus aucune forme de capital financier en Russie (Pas de Bourse).

Le Capitalisme d’Etat, sous la NEP, ne représente au total qu’une part ultra-minoritaire des forces productives, et ne peut en rien caractériser la nature de classe de l’Union Soviétique à cette époque, où l’Etat prolétarien conserve le contrôle des prix et où le secteur socialiste reste dominant dans l’industrie.

Néanmoins, l’influence néfaste du marché reste importante, et après une amélioration du développement, les premières années, entraîne déjà une succession de crise, « crise des ciseaux », « crise des grains », qui ruinent à nouveau le pays et obligent à mettre fin à la NEP, à partir de 1928. C’est l’échec de la NEP qui est la cause de la crise, et non la collectivisation, qui, au contraire, dès le début des années 30, apporte un nouveau développement économique, exponentiel et durable, qui permettra d’arrêter les armées nazies aux portes de Moscou, une douzaine d’années plus tard !

Tant la NEP que la période de collectivisation, même si, de part la contrainte des circonstances historiques, elles n’ont pu suivre le principe économique de transition stricto sensu, n’en sont pas moins deux formes concrètes d’économie de transition socialiste.

Au cours des années 20 la polémique faisait rage, en Union Soviétique, entre les économistes, au sujet des principes économiques actifs ou à mettre en œuvre.

La majorité d’entre eux, influencés par les idées gauchistes, pensaient que la loi de la valeur devenait caduque dans le secteur socialiste et refusaient donc d’en tenir compte. Cette tendance est restée majoritaire jusqu’au début des années 50, contrairement à une idée reçue à ce sujet.

Tout aussi paradoxalement, en rapport des idées reçues, Trotsky, bien qu’il se soit positionné en leader de l’ « Opposition de gauche », s’est toujours positionné en faveur de l’influence du marché sur l’économie, y compris concernant le secteur économique étatique « socialiste », qui, dès lors, aurait donc cessé de l’être… :

« L’assainissement des relations économiques avec les campagnes constituait sans nul doute la tâche la plus urgente et la plus épineuse de la Nep. L’expérience montra vite que l’industrie elle-même, bien que socialisée, avait besoin des méthodes de calcul monétaire élaborées par le capitalisme. Le plan ne saurait reposer sur les seules données de l’intelligence. Le jeu de l’offre et de la demande reste pour lui, et pour longtemps encore, la base matérielle indispensable et le correctif sauveur. »

___Léon Trotsky, La Révolution trahie, 1936

Tout aussi en contradiction avec les idées reçues, c’est Staline qui tente, dès la fin des années trente, de ramener les économistes soviétiques à plus de raison, lors du projet de rédaction d’un manuel d’économie. Mais à nouveau en raison de la guerre, ce projet ne reverra donc le jour qu’au début des années cinquante et ce débat trouvera une synthèse dans « Les problèmes économiques du socialisme en URSS », texte qui en résume les principaux éléments, tout en faisant à nouveau clairement référence aux principes de la Critique du Programme de Gotha .

Toutefois, la contre-révolution khrouchtchevienne, à partir de 1953, mettra un terme à ce projet de réforme révolutionnaire et introduira, au contraire, des réformes contre-révolutionnaires favorables à la renaissance de l’économie de marché, notamment en démantelant les Stations Machines Tracteurs, entraînant une nouvelle crise agricole.

Ainsi, en pratique, la période socialiste de l’URSS se termine au milieu des années cinquante. A partir de Khrouchtchev l’URSS continue de résister à l’impérialisme US, mais sur une base nationale bureaucratique bourgeoise, et non plus socialiste.

A la même époque, la Chine de Mao Zedong se constitue elle aussi en Etat national bureaucratique bourgeois et pseudo- « socialiste », sur un modèle économique « communaliste » (Communes populaires), encore plus désastreux sur le plan économique et social (« Grand bond en avant », 16,5 millions de morts officiellement reconnus en Chine). A partir de 1972 Mao passe carrément du côté de l’impérialisme US et les dollars commencent à affluer en Chine. Près d’un demi-siècle d’économie kollabo-comprador permettront néanmoins à la Chine d’accéder au rang de seconde puissance mondiale, là où il avait suffit d’une douzaine d’années à l’URSS, tout en restant indépendante et en mettant à terre la puissance nazie.

Seconde puissance économique mondiale, la Chine est aussi la seconde puissance mondiale en termes de capitalisme financier, et pourtant elle ne dédaigne pas de se réclamer du socialisme et même, du marxisme-léninisme : "économie de marché socialiste", ce qui doit donc se lire, concrètement, "capitalisme financier socialiste", un oxymore qui prête à sourire mais que cette même puissance financière et son « rayonnement bénéfique » permettent assez facilement d’ « accréditer » auprès d’une partie de plus en plus importante de la gauche française, entre autres…

Mais la problématique du capitalisme financier et de l’impérialisme, c’est ce que nous aborderons dans la partie suivante…

Luniterre

SOURCES :

https://tribunemlreypa.wordpress.com/2019/05/17/marxisme-leninisme-marx-lenine-ml-en-deux-mots-cest-quoi-partie-1/

https://tribunemlreypa.wordpress.com/2019/05/19/marxisme-leninisme-marx-lenine-ml-en-deux-mots-cest-quoi-partie-2/

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