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L’UPR d’après Le Monde Diplomatique

samedi 5 octobre 2019, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 5 octobre 2019).

Au cœur de l’Union populaire républicaine (UPR)

Ces Français qui militent pour le « Frexit »

https://www.monde-diplomatique.fr/2…

Octobre 2019, pages 4 et 5, en kiosque

Allan Popelard, journaliste

Eugène Berman. — « Mélancolie », non daté
Bridgeman Images

Ces Français qui militent pour le « Frexit ». À la veille des élections européennes de mai 2019, il n’était pas rare d’entendre évoquer le nom d’une formation politique lors des réunions des « gilets jaunes » : l’Union populaire républicaine (UPR), connue pour défendre une sortie brutale de l’Union européenne, ou « Frexit ». Fort d’une base militante dévouée et efficace, le parti prétend dépasser le clivage droite-gauche. Vraiment ?

Nous sommes le 29 mars 2019. Sept cents militants de l’Union populaire républicaine (UPR) se sont donné rendez-vous dans la capitale britannique. Ce rassemblement, baptisé « La France libre de nouveau à Londres », doit célébrer l’entrée en vigueur du Brexit et agir comme une démonstration de force avant les élections européennes. Ce jour-là, cependant, pour la troisième fois, la Chambre des communes rejette l’accord conclu entre la première ministre Theresa May et les dirigeants européens.

Brandissant des drapeaux tricolores cousus d’une croix de Lorraine, les Français commencent par se mêler aux partisans du Brexit qui clament leur colère devant le Parlement. Puis, applaudis par une foule ignorant à peu près tout de ce petit parti politique d’outre-Manche, qu’elle confond parfois avec celui de Mme Marine Le Pen, ils se dirigent en cortège vers la Church House Westminster aux cris de : « Frexit ! Frexit ! »

Là-bas, M. François Asselineau, président-fondateur de l’UPR, commence son discours. Aux côtés d’anciens ministres conservateurs et travaillistes invités pour l’occasion, il s’enthousiasme : « C’est le plus grand rassemblement politique avec des Français de France qui s’est tenu au Royaume-Uni depuis 1940. (…) Les Français libres sont de nouveau à Londres en votre présence [et] j’espère que (…) ce discours du 29 mars 2019 sera un peu pour l’histoire de l’UPR (…) l’équivalent du discours du 18 juin 1940. » Accusant le « IVe Reich » européen d’attenter à la démocratie, il poursuit : « Ce n’est pas parce que nous avons un nouveau Pétain à la tête de la France que les Britanniques doivent se satisfaire d’avoir un nouveau Chamberlain au 10 Downing Street. (…) Nous voulons un nouveau Winston Churchill, comme nous voulons un nouveau de Gaulle à la tête de la France. »

Un chef solitaire et sublime

Le 23 juillet suivant, l’UPR saluera dans l’élection de M. Boris Johnson à la direction du Parti conservateur et sa nomination au poste de premier ministre un « événement historique » permettant de « clôturer plus de trois ans de tromperies » et d’ouvrir enfin la voie au Brexit. Deux mois plus tard, alors que le même Johnson est bousculé par les députés britanniques, elle condamnera « un coup d’État des parlementaires » contre le peuple.

Créée en 2007, l’UPR veut sortir de l’Union européenne, de l’euro et de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN). Sa charte, adoptée le 25 mars, jour du cinquantième anniversaire du traité de Rome, appelle à « rétablir l’indépendance de la France [et à] rendre sa liberté au peuple français ». Dénonçant des textes européens qui corsètent la souveraineté nationale et la souveraineté populaire, l’UPR récuse néanmoins les stratégies de désobéissance, au nom du respect du droit international, et propose d’activer l’article 50, qui autorise un État à quitter unilatéralement l’Union.

Pour ce faire, le parti convie « tous les Français à se rassembler provisoirement au-dessus du clivage droite-gauche ». En effet, inutile « de débattre sans fin, voire de se déchirer, sur la fiscalité, la lutte contre les délocalisations, le financement des retraites, l’immigration, l’environnement, etc. » : ces sujets sont « accessoires » et « subalternes », « puisque les grandes décisions stratégiques en la matière (…) sont déjà prises par les dirigeants non élus de la BCE [Banque centrale européenne] et les commissaires européens, également non élus ». Étiquetée « divers » par le ministère de l’intérieur, l’UPR se présente ainsi comme un parti transitoire. Une fois la France « libérée », assure-t-elle, « chacun retournera à sa famille politique », et le clivage droite-gauche « se redéploiera naturellement, cette fois-ci dans un cadre clair et pertinent » (1).

À rebours des desservants du patronat, qui frétillent à l’idée d’abîmer le modèle social français, l’UPR assume pleinement l’héritage du Conseil national de la Résistance (CNR), redécouvert au milieu des années 1990 après une longue éclipse pendant la guerre froide. Elle le prend même pour modèle dans son Programme de libération nationale, élaboré en vue des échéances électorales de 2017. Celui-ci défend une Sécurité sociale intégrale et propose de restaurer la centralité de l’État en nationalisant totalement ou partiellement l’énergie (EDF, Enedis, Engie), les télécommunications (Orange), les médias (TF1, TDF), les concessionnaires d’autoroutes et les sociétés d’adduction d’eau. La privatisation des banques, en revanche, n’est pas remise en cause.

Dans un parti épris d’expertise, le mythe de la Résistance confère une dimension épique à l’action ordinaire. L’UPR est cependant plus prompte à célébrer les cols blancs que les combattants de l’ombre : elle valorise ainsi volontiers les figures, les rites et les emblèmes gaullistes, largement abandonnés par la droite au tournant des années 1990 (2). En convoquant la mémoire imagée de nobles causes, elle enrôle des militants tout en parvenant à légitimer l’autorité d’un chef solitaire et sublime.

Diplômé de l’École nationale d’administration (ENA) en 1985, M. Asselineau choisit l’inspection générale des finances. Il entre en 1993 au cabinet de l’ultralibéral Gérard Longuet, ministre de l’industrie et du commerce extérieur dans le gouvernement de M. Édouard Balladur. Assis dans son bureau orné d’un portrait de Charles de Gaulle et d’un bouquet de drapeaux — celui de la France, celui de l’Organisation des Nations unies et celui de l’Organisation internationale de la francophonie —, il s’en justifie : « Il y avait un appel d’air en raison du changement de majorité. En acceptant, j’ai donné une coloration politique à mon parcours. » Deux ans plus tard, dans le gouvernement nouvellement formé par M. Alain Juppé, il rejoint Mme Françoise de Panafieu au ministère du tourisme, puis M. Hervé de Charette aux affaires étrangères. Après la dissolution de l’Assemblée nationale en 1997, le haut fonctionnaire réintègre son corps d’origine.

Contre le « laxisme socialiste »

Monsieur Asselineau a commencé à embrasser la cause souverainiste en 1992, année de la signature du traité de Maastricht. Lui qui avait voté pour la liste de l’Union pour la démocratie française (UDF) conduite par Simone Veil aux élections européennes de 1979 — « j’étais “mainstream” », se défend-il aujourd’hui — a été « sensible au discours de Philippe Séguin » et révulsé par la « campagne délirante des médias pour le “oui” [au référendum organisé le 20 septembre 1992] » (3). En 2001, il adhère au Rassemblement pour la France (RPF) de l’ancien ministre de l’intérieur Charles Pasqua, devenant membre du bureau national, directeur des études et porte-parole. « C’était la première fois que je m’engageais dans un parti politique », souligne-t-il.

Directeur de cabinet de Pasqua au conseil général des Hauts-de-Seine entre 2000 et 2004, M. Asselineau est désigné tête de liste aux municipales de 2001 dans le 19e arrondissement de la capitale et devient conseiller de Paris. Sur ses affiches, il mêle le trafic de drogue et les chiens dangereux, la prostitution et les effectifs de police insuffisants, appelant à tourner la page de « six ans de laxisme socialiste ». Nommé en 2004 par M. Nicolas Sarkozy à la tête de la délégation générale à l’intelligence économique, à Bercy, il rallie l’Union pour un mouvement populaire (UMP) pendant deux ans. Enfin, après un bref passage au Rassemblement pour l’indépendance et la souveraineté de la France (RIF), créé en 2003 par l’eurodéputé Paul-Marie Coûteaux (qui se rapprochera plus tard de l’extrême droite), il finit par fonder l’UPR en 2007.

Du RPF au RIF, de dissidence en dissidence, la trajectoire de M. Asselineau épouse celle de la droite conservatrice et souverainiste. « À l’UPR, je dis souvent qu’il y a trois choses qui sont de droite : le nom, qui rappelle le RPR [Rassemblement pour la République], mon costume-cravate et mon parcours il y a vingt ans. Pour le reste, j’ai toujours eu à cœur de rassembler. » Dans les discours de l’énarque, on reconnaît les ritournelles eurosceptiques d’un Jacques Chirac première manière, celui qui, en 1978, dénonçait le « parti de l’étranger », « l’Europe non européenne dominée par les intérêts germano-américains », les « partisans du renoncement » et du « déclin de la patrie ». Mais plus sûrement encore résonne l’écho du juridisme de Séguin.

De Maastricht, en 1992, à la candidature de M. Jean-Pierre Chevènement à la présidentielle de 2002, le souverainisme s’est enraciné dans le paysage politique français à mesure que s’effritait le mythe d’une mondialisation heureuse. Dans la galaxie des formations qui s’en réclament, celle de M. Asselineau se singularise. Alors que Les Patriotes de M. Florian Philippot ou Debout la France de M. Nicolas Dupont-Aignan manquent rarement une occasion de prendre à partie les migrants et les musulmans, l’UPR est peu diserte sur ces questions. Une commission consacrée à l’immigration a bien vu le jour fin 2017, mais en provoquant quelques remous, et, à notre connaissance, elle n’a jamais rendu publics ses travaux.

Longtemps groupusculaire, l’UPR compterait aujourd’hui, après douze ans d’existence, 38 000 adhérents. La véritable poussée date de 2017, lorsque M. Asselineau s’est présenté à l’élection présidentielle pour la première fois. Il est alors parvenu à recueillir 587 parrainages (contre 17 en 2012), dont près de la moitié dans les départements du Nord-Est. « À la recherche d’un but plus grand que [son] confort personnel », Mme Manon Chevalier, affiliée à l’UPR depuis 2014 et ingénieure à Montréal (Canada), a pris cette année-là un congé sabbatique pour collecter les promesses de soutien, se logeant à ses frais en Picardie. « Il n’y avait presque aucun relais sur place. J’ai appelé huit cents maires et j’en ai rencontré trois cents. Je leur disais que, pour la démocratie, il fallait parrainer M. Asselineau. Mais la plupart ne le connaissaient pas. » Cette « amoureuse de tout ce que la France a apporté », convaincue que « sortir de l’Union permettrait au pays de s’ouvrir au monde francophone », a finalement réussi à récolter trente-cinq parrainages — « des élus de communes de moins de trois cents habitants, sans étiquette, souvent dégoûtés par les partis traditionnels ».

Chiffres et formules latines

Âgés de 46 ans en moyenne, les adhérents sont majoritairement de sexe masculin (75 % (4)). La plupart (85 %) n’ont jamais été engagés dans un parti auparavant (5). Si, au cours de notre enquête, nous avons rencontré d’anciens électeurs de tous bords, ainsi que beaucoup d’abstentionnistes, nombreux étaient ceux qui venaient des rangs de la droite (6). Les horizons professionnels de nos interlocuteurs étaient très divers : commerçant, exploitante d’un terrain de camping, chômeur, contrôleur de gestion dans un groupe industriel, journaliste, trader, étudiant, électricien, agent immobilier, ingénieur (souvent), mais aucun fonctionnaire.

En général, ces militants ont décidé d’adhérer après avoir lu une publication en ligne ou visionné l’une des conférences de M. Asselineau. Défiants à l’égard des médias traditionnels, ils leur préfèrent une constellation alternative : les chaînes RT (anciennement Russia Today) ou TV Libertés, l’agence de presse multimédia Sputnik, des blogs comme ceux d’Olivier Berruyer (Les Crises) ou d’Étienne Chouard (Le Plan C), ou encore des chaînes YouTube gravitant à plus ou moins de distance du parti (Trouble Fait, Penseur sauvage, Thinkerview…).

Chaque automne depuis 2012, le parti organise une université. Des personnalités comme Annie Lacroix-Riz, Emmanuel Todd, Jean Bricmont ou Coralie Delaume ont déjà accepté d’y intervenir une ou plusieurs fois. Forte d’un site Internet très consulté, l’UPR possède également une chaîne YouTube dynamique (114 900 abonnés) et, depuis peu, une chaîne de télévision : UPR TV. Car « le parti qui monte malgré le silence des médias », ainsi que le proclame son slogan, dit souffrir, comme tous les « petits candidats », du mépris des « grands journalistes ». « On a créé UPR TV pour les européennes, explique M. Fabien Semat, responsable des réseaux sociaux. Aujourd’hui, une quinzaine de militants s’en occupent. » En plus d’un journal et d’une revue de presse hebdomadaires, la chaîne diffuse les déplacements de M. Asselineau, des entretiens menés par M. Asselineau, des allocutions de M. Asselineau, et peut-être prochainement une émission culturelle animée par M. Asselineau. Il semblerait qu’Internet ait renforcé la centralisation…

Dotée d’un bureau national et de délégués régionaux et départementaux, l’UPR est un parti structuré. Ses faibles scores électoraux (0,92 % à la présidentielle de 2017) ne lui ayant pas permis d’être remboursée de ses frais de campagne, elle ne peut compter que sur ses adhérents, qui paient une cotisation de 30 euros (7). Les plus énergiques d’entre eux sont décorés. Ainsi Mme Chevalier a-t-elle reçu une médaille en or massif, « faite spécialement à la Monnaie de Paris », a expliqué M. Asselineau en la lui remettant devant un parterre de militants. L’avers représente la pièce de 1 franc en agrandi — c’est le logo de l’UPR —, et le revers porte les mots « UPR — Manon Chevalier — présidentielle 2017 ». Réputés pour leur activisme, les membres réunis en congrès votent les statuts et élisent leurs représentants — uniquement à l’échelon national. En revanche, ils ne participent guère à l’élaboration des grandes orientations stratégiques et politiques. La charte fondatrice « n’a subi strictement aucune modification » depuis sa rédaction en mars 2007, comme s’en vante le site Internet du parti. Quant au programme, il n’a pas fait l’objet de discussion ni de vote de la part des militants de base.

Entouré de ses deux lieutenants — M. Charles-Henri Gallois, chargé des questions économiques, et M. Vincent Brousseau, ancien économiste à la BCE, responsable des questions monétaires —, M. Asselineau est la clé de voûte de l’organisation. Dans les rangs du parti, on loue son sens de la pédagogie, sa manière toujours pointue d’administrer la preuve, son agilité à manier les dates, les articles de loi, les chiffres et les formules latines, et même ses petites afféteries, certes quelque peu désuètes et compassées, mais plus sincères, en apparence, que les formules éculées des conseillers en communication. On vante aussi la rectitude de ce haut fonctionnaire que l’on dit dépourvu de toute ambition personnelle et de toute malice, entièrement voué à la vertu et à la vérité — lui, l’homme du sérail qui aurait pu choisir de pantoufler comme tant de ses condisciples. On l’appelle souvent « Monsieur Asselineau », même en son absence, et on l’écoute en prophète autant qu’en professeur.

Quartiers nord de Marseille, 8 mars 2019. « Comment il s’appelle, déjà, celui qui se prenait pour Louis XVI ? », demande M. Jean-Claude Dib, assis sur le siège avant de la voiture qui nous emmène à une rencontre entre le patron de l’UPR et des « gilets jaunes ». « Balladur », répond sans hésitation notre chauffeur, M. Marc Antoniotti. « Voilà, c’est ça !, reprend M. Dib. Monsieur Asselineau, il est pas comme Balladur. Il touche la main de tous ceux qu’il rencontre. Et puis il n’y a que lui qui parle de la France. »

Respectivement âgés de 69 et 65 ans, les deux militants, l’un ancien chauffeur routier, l’autre musicien touchant le revenu de solidarité active (RSA), font partie du millier de membres que compterait l’UPR dans les Bouches-du-Rhône. Resté longtemps « apolitique », M. Antoniotti a décidé de s’engager au moment de la crise ukrainienne, séduit par le « discours argumenté » de M. Asselineau dénonçant « les ingérences des États-Unis et les guerres illégales de l’OTAN ». Depuis, il s’occupe du site Internet, tout en bricolant une petite bibliothèque en ligne dans laquelle on trouve des essais comme Tuer une nation. L’assassinat de la Yougoslavie, de Michael Parenti, ou Propaganda. Comment manipuler l’opinion en démocratie, d’Edward Bernays.

Quand M. Asselineau fait son entrée dans la petite salle qui accueille la réunion, 250 personnes l’attendent déjà. Comme MM. Dib et Antoniotti, la plupart sont des adhérents. Beaucoup portent un gilet jaune et manifestent chaque samedi. Ancienne animatrice en grande surface, Mme Genny Miranda a pris une part active aux protestations à Port-de-Bouc et à Martigues, où, en compagnie de quelque soixante-dix compagnons, elle a construit une cabane et tenu un rond-point jour et nuit. « C’est certain que l’UPR a joué un rôle dans le mouvement des “gilets jaunes”, explique-t-elle. Elle a permis d’élever le niveau de conscience des Français sur l’Europe. » Si elle-même, qui avait toujours voté à droite, a pris sa carte en 2007, c’est parce qu’elle a vécu comme une « trahison » le fait que M. Sarkozy ne tienne pas compte du vote des Français, qui avaient rejeté le traité constitutionnel européen par 54,67 % des voix lors du référendum du 29 mai 2005. « Je n’avais jamais appartenu à un parti politique avant ça, et je n’avais jamais non plus manifesté avant les “gilets jaunes”. » Dans les cortèges, la présence de militants UPR a incontestablement favorisé la diffusion de leurs idées au-delà des cénacles numériques où elles étaient déjà présentes. Conscient de cette opportunité, UPR TV a d’ailleurs programmé une émission intitulée « Des “gilets jaunes” prennent la parole ».

Pendant des années, l’UPR s’est tenue à distance des mobilisations sociales. Si elle s’est jointe aux manifestations appelant à la défense de la Société nationale des chemins de fer français (SNCF), le 22 mars 2018, et à celles des 1er mai 2018 et 2019, elle reste dépourvue de relais syndicaux et indifférente au mouvement ouvrier. Ainsi, dans sa conférence de trois heures quinze sur l’histoire de France — sans doute la plus regardée par les militants —, M. Asselineau ne dit pas un mot de l’expérience du Front populaire. Dans une autre conférence, « Qui gouverne la France et l’Europe ? », le haut fonctionnaire explique que Mai 68 se serait produit parce que la Central Intelligence Agency (CIA) et les fondations Ford et Rockefeller auraient cherché à déstabiliser la présidence de la République en stipendiant les syndicats étudiants. « Les historiens commencent à comprendre que Mai 68 a probablement été la première “révolution de couleur”, comme les Américains ont fait en Géorgie, en Ukraine, au cours des années 2000 », déclare M. Asselineau, éclipsant totalement la place déterminante des revendications ouvrières dans ce mouvement contestataire, de même que ses aspirations égalitaires.

Réfractaire à tout matérialisme, le fondateur de l’UPR ne mentionne pas davantage le rôle historique de la bourgeoisie. Le regard braqué sur les forfaitures, il rappelle qu’être français, « c’est savoir que les élites peuvent trahir la France ». Le terme « élite » n’est cependant jamais adossé à une classe sociale. La défense de la démocratie demeure toute formelle, et la structure inégalitaire de la société apparaît comme un problème secondaire. Très déférent envers l’empire du droit, le parti a fait du référendum d’initiative populaire une des mesures centrales de son programme. Il ne croit cependant ni à la nécessité de dénouer le lien de subordination salariale, ni à celle d’étêter les grandes fortunes pour fortifier la démocratie. Que « la Révolution [ait] fait du Français un roi dans la cité et l’[ait] laissé serf dans l’entreprise (8) » ne l’émeut guère.

Mélancolie de droite

Responsable des affaires sociales de l’UPR, Mme Christine Annoot, qui nous reçoit chez elle, le concède volontiers. D’abord adhérente du RPR et du RPF, puis membre fondatrice de l’UPR et de Debout La République (devenu Debout La France en 2014), désormais maire adjointe de Lisieux, elle est prompte à fustiger la tyrannie de l’Union européenne. Sa notice biographique sur le site du parti la décrit en ces termes : « D’origine serbe par son père et française par sa mère, elle sait que la France, comme la Serbie, son alliée en 1914, n’est la France que si elle est une puissance souveraine et indépendante. » En revanche, Mme Annoot semble ignorer à peu près tout du programme social de sa formation. Ainsi, elle ne s’attardera ni sur l’abrogation de la loi travail ni sur la revalorisation du smic à 1 300 euros net mensuels.

Célébrant en de Gaulle « un homme d’ordre et de révolte », cette lectrice du Figaro et du Monde diplomatique, présente sur les ronds-points avec les « gilets jaunes », déplore : « Le progrès social s’est arrêté. Je fais partie de cette génération qui a connu l’expansion grâce au capitalisme. Aujourd’hui, c’est bloqué. (…) Il n’y a plus de lutte des classes, mais une lutte entre les partisans du modèle mondialiste et ceux qui défendent une certaine idée de la nation. Dans une France indépendante et souveraine, le progrès social ne pourra découler que de la coopération entre le capital et le travail. » Quand nous demandons à Mme Annoot s’il faut accorder de nouveaux droits aux travailleurs, sa réponse ne se fait pas attendre : « De nouveaux droits ? Je ne vois pas vraiment. Vous savez, il y a déjà beaucoup de droits. Il faut renforcer l’économie de la participation et l’intéressement des travailleurs. »

Portée par un haut fonctionnaire issu des grands corps de l’État, l’UPR renoue avec la grande geste modernisatrice. Dans ses rangs, le mythe des « trente glorieuses » ne fait guère l’objet d’un examen critique. Pas plus que le dogme du productivisme et son cortège de brutalités sociales et environnementales ne sont blâmés, ou que le césarisme de la Ve République n’est remis en cause. Déconsidérés par le capitalisme actionnarial autant que par l’atlantisme et l’européisme triomphants, les héritiers proclamés du gaullisme ont rejoint le camp des vaincus. Cependant, à mesure que vacille l’absolutisme du marché, l’aspiration à retrouver une grandeur nationale suscite de nouveau une forme d’élan. La mélancolie de droite, dont le surgissement de l’UPR est l’un des signes, conserve un pouvoir mobilisateur.

Notes :

(1) « L’UPR veut-elle abolir le clivage droite-gauche ? », 9 janvier 2013.

(2) Lire François Denord, « Et la droite française devint libérale », Le Monde diplomatique, mars 2008.

(3) Lire Serge Halimi, « Décideurs et délinquants », Le Monde diplomatique, octobre 1992.

(4) Et non pas 85 % comme indiqué par erreur dans la version imprimée.

(5) Selon les chiffres du parti au 31 décembre 2018.

(6) L’UPR, elle, déclare que ses militants auraient majoritairement une sensibilité de gauche.

(7) Les étudiants, les chômeurs et les bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) ne paient que 10 euros.

(8) La formule est de Jean Jaurès.

1 Message

  • L’UPR d’après Le Monde Diplomatique 11 octobre 2019 01:27, par a_suivre

    Bonjour Camarades,

    Il y a quelques erreurs dans ce “premier“ article sur l’UPR du Monde Diplomatique :
    Notamment, le Monde Diplomatique cite le blog « d’Olivier Berruyer (Les Crises) » comme “repère“ des Superiens, cela me semble inexacte car ce site "Les Crises" n’a publié ou repris - d’après leur moteur de recherche – que 8 articles en 6 ans où Asselineau et/ou l’UPR sont mentionnés _ :

    29 novembre 2018 // Les Crises - Interdit d’Interdire – Brexit : à quel prix peut-on sortir de l’Europe ?

    22 avril 2017 // Les Crises - “C’est dommage qu’on passe à autre chose !”

    24 juillet 2016 // Les Crises - Attentat de Nice – Responsables et coupables – L’analyse de François Asselineau

    2.mai.2015 // Les Crises - L’UPR appelle les députés à “censurer” le gouvernement français au sujet de son aide à l’Ukraine (+ Le Pen)

    11 novembre 2014 // Les Crises - L’attribution du Prix Nobel de la Paix, par François Asselineau

    9 juin 2014 // Les Crises - [Reprise] Pourquoi De Gaulle refusa-t-il toujours de commémorer le débarquement du 6 juin ? Par François Asselineau

    22 mai 2014 // Les Crises - Conférences de François Asselineau sur l’Europe

    16 mars 2013 // Les Crises - Le Venezuela avant et après Hugo Chávez, par François Asselineau

    Par contre, le Monde Diplomatique n’ont pas cité « mai68.org » qui peut se flatter d’avoir publier - en seulement quelques années - d’après leur moteur de recherche – plus de 25 articles sur l’UPR et/ou Asselineau.

    Alors, il est où, le vrai Média Libre, Indépendant, Pluraliste et… Révolutionnaire ?

    Bien à vous
    A_ suivre
    = ! :-D

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