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Syrie-Turquie : la Pax Russica n’a rien de surprenant

mardi 29 octobre 2019, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 29 octobre 2019).

J’écrivais le 13 octobre que « si la Turquie cesse l’offensive, elle pourra continuer à occuper une partie substantielle du territoire syrien et Erdogan pourra ainsi vendre à son opinion publique le énième coup porté « aux terroristes kurdes » et « la récupération de cette partie du sol syrien qui appartient à Ankara depuis près d’un siècle ». Il en a été ainsi.

L’habilité de la Russie et la confusion totale dans laquelle se trouve l’administration américaine – depuis plusieurs années, bien avant que Trump n’occupe la Maison-Blanche – ont permis à Moscou de marquer un point de plus dans l’échiquier du Moyen-Orient.

Pendant plusieurs années, après la dissolution de l’URSS, la Fédération de Russie a subi une offensive féroce de la part des États-Unis, puis de certaines puissances régionales : alors que l’OTAN militarisait et annexait de nouveaux territoires jusqu’à ses frontières (en ce sens, le coup d’État pro-occidental en Ukraine est significatif), les puissances sunnites et Washington même fomentaient le fondamentalisme religieux parmi les communautés islamiques du Caucase ; en même temps, les États-Unis, après avoir fait sauter l’Irak, ont commencé la déstabilisation de la Syrie, faisant exploser une concurrence féroce dans la région entre le nouveau blocus régional réuni autour de l’Arabie saoudite et les frères musulmans guidés par la Turquie.

La Russie est intervenue massivement en Syrie en 2015 et en quelques années a inversé le cours du conflit, assurant la défaite des djihadistes, soutenant le régime de Damas, évitant l’affaiblissement de l’axe chiite et de l’Iran en particulier, assurant la permanence de son aviation et de sa marine autour des bases militaires du littoral méditerranéen pour les défendre de l’avancée des mercenaires à la solde des Saoud.

Puis, ces derniers jours, les troupes russes et syriennes ont remplacé les Américains (et avec eux les Français et les Britanniques) dans leurs bases du nord de la Syrie et à la frontière avec la Turquie, reprenant le contrôle d’une partie du pays et réduisant considérablement l’administration mise en place par les Kurdes grâce au vide politique déterminé au cours des dernières années.

Cependant, il n’y a pas que les Kurdes qui doivent avaler une pilule amère et en payer le prix fort.

Paradoxalement, même la Syrie ne peut être satisfaite du pacte signé par Poutine et Erdogan à Sotchi il y a deux jours [le 22 octobre, NDLR].

En effet, Moscou a accordé à la Turquie et à ses milices, remplies de djihadistes, le droit de continuer à occuper les territoires syriens conquis lors des trois offensives militaires de ces dernières années et même d’autres zones, pour un total de 3200 kilomètres carrés, en violation de l’intégrité territoriale du pays dont la défense semblait représenter, jusqu’à récemment, la raison d’être de l’intervention russe. Une occupation turque sans échéances convenues qui renforce le contrôle par Ankara de la province d’Idlib et du canton kurde d’Afrin, où se concentrent des milliers de djihadistes et de terroristes islamiques.

De plus, après la gifle du gouvernement irakien qui a refusé « l’hospitalité » à environ un millier de marines à peine évacués, les soldats américains qui se sont retirés du Rojava se sont concentrés dans une région de Syrie riche en gisements pétroliers.

D’ailleurs, la Russie – ce n’est pas surprenant – cherche aujourd’hui à préserver, d’abord et avant tout, ses propres intérêts géopolitiques, militaires et économiques, comme toutes les autres puissances mondiales et régionales impliquées dans l’échiquier du Moyen-Orient (tout en rappelant que certains pays ont une responsabilité bien plus grande dans l’abattoir syrien…).

Et c’est en gérant un équilibre très précaire que chacun des acteurs sur le terrain peut sauter à tout moment. D’une part, Moscou garantit la défense de la Syrie et de l’Iran – sans oublier son rôle en Libye, aux côtés du général Haftar – mais, d’autre part, elle tente de maintenir la Turquie de plus en plus éloignée de l’OTAN. Pour l’instant, cela semble réussi : Trump a même menacé une guerre contre Ankara alors que les généraux dénoncent l’armée turque pour les crimes de guerre commis dans la Rojava et que les journaux américains accusent le « sultan » de viser la bombe atomique. Erdogan, pour sa part, a acheté un système de missiles à Moscou, a laissé passer un gazoduc stratégique russe – le Southstream – à travers son territoire et menace tous les deux jours la permanence à Incirlik de la plus importante base aérienne de l’OTAN de la région, forçant Washington à chercher des alternatives en Grèce ou en Jordanie.

Tout en défendant l’Iran et la Syrie, Moscou entretient d’excellentes relations avec leurs ennemis, Israël et l’Arabie saoudite, exploitant les aspirations hégémoniques de ces deux pays et leur recherche d’une plus grande autonomie par rapport aux intérêts américains dans la région.

Des alliances asymétriques et une géométrie variable en évolution continue, un système dans lequel il devient difficile de s’extirper, surtout si l’on persiste à encourager l’un ou l’autre concurrent sur la base de concepts romantiques ou d’une division manichéenne entre le bien et le mal qui peut s’avérer réconfortante mais qui ne reflète guère la réalité… Dans ce contexte, les peuples sont de trop, des simples pions d’un jeu de Risk sans scrupules.

MARCO SANTOPADRE

28 Oct 2019 / Source : Investig’Action https://www.investigaction.net/fr/s…

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