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Le Diplo et Quilombo, même combat (DOC)

jeudi 31 octobre 2019, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 31 octobre 2019).

Jean-Pierre Garnier, 31 octobre 2019 :

Version DOC : http://mai68.org/spip2/IMG/doc/Dipl…

Combat pour quoi ? Une « culture de l’émancipation », bien sûr. C’est du moins ce qui ressort de l’envoi qui m’est parvenu hier par la poste (je suis abonné) du dernier numéro du Diplo (novembre) auquel était joint un extrait du catalogue de vente par correspondance (les fêtes de fin d’année approchent) de 8 pages — la version complète en comprend 48 ! — de la librairie Quilombo. On y apprend dans la présentation que le lecteur pourra « retrouver régulièrement dans Le Monde diplomatique » les différentes thématiques selon lesquelles les références ont été classées.

Comme il fallait s’y attendre, les nouveaux ouvrages traitant de l’escrologie bénéficient d’une place de choix : ce sont les seuls à occuper une page entière. Mais le féminisme, bien sûr, est à l’honneur aussi : une demie-page (6 livres). Je dois reconnaitre, néanmoins, que la critique du capitalisme n’est pas oubliée : huit livres en une, dont l’excellent L‘impérialisme au XXIe siècle de John Smith, chercheur indépendant et militant (Éditions critiques). Mais on y trouve aussi, le dernier bouquin du sociologue « zapatiste » Jérôme Baschet, Une juste colère, consacré aux Gilets jaunes (un de plus !) où il annonce une fois encore triomphalement que « les nouvelle formes d’explosion sociales sont vouée à se multiplier », dont évidemment, « les mobilisations pour le climat ».

Tu dois te douter que cette convergence des luttes (verbales) entre la librairie-phare de la pensée anarchoïde et le mensuel de référence du citoyennisme altercapitaliste ne m’étonne aucunement. Outre que Quilombo est la librairie préférée de Serge Halimi et Pierre Rimbert, les deux figures de proue du Diplo, on ne peut manquer de relever la complémentarité des sources d’inspiration respectives qui alimentent leur pensée critique, « radicale », cela va de soi.

L’escrologie et les luttes qui se réclament d’elle constituent précisément le thème majeur de ce numéro du Diplo, avec un article qui débute en une et se poursuit sur 2 pages entières, avec un paragraphe sur Extinction/Rébellion dont l’occupation du centre de commercial de Italie 2 est présentée comme un modèle d’action non violente finement organisé, sans mention aucune, bien entendu, des firmes ou fondations capitalistes à l’origine de cette innovante « mobilisation pour le climat » qui n’a, contrairement à celle des Gilets jaunes, pas eu à souffrir de la brutalité des « forces de l’ordre ».

Un autre article a sollicité mon intérêt en priorité (je n’ai pas eu encore le temps de lire les autres). Il figure en dernière page, celle réservée aux papiers qui se veulent polémiques. Or, il est exceptionnellement signé par Halimi soi-même qui, plus moutonnier que jamais dans la bien-pensance « degôche », a choisi de joindre sa voix à la meute déjà partie en chasse contre la nouvelle bête immonde : Éric Zémour. Pour écraser l’infâme, le directeur du Diplodocus a fait appel entre autres à l’historien Gérard Noiriel, qui joue dans le mensuel un rôle un peu analogue en matière d’histoire de France à celui de Razmig Keucheyan pour l’escrologie : proposer des problématiques « degôche » qui n’engagent à rien sinon sur les sentiers rebattus d’un citoyennisme « progessiste » bon teint. Non content d’avoir pondu Une histoire populaire de la France parue l’an passé dont le Diplo a publié des extraits sur deux pages pour en booster la vente, une histoire revue et corrigée au travers du prisme petit-bourgeois universitaire qui fait l’impasse sur le mouvement anarchiste, Noiriel vient de récidiver avec un pamphlet à charge contre Zémour au titre alléchant : Le venin dans la plume. Je ne sais de pas de quel poison la plume ou les touches du clavier de Noiriel est enduit, mais il semble avoir fait l’effet d’un excitant sur Halimi. Selon celui-ci , l’historien maison du Diplo, en consacrant « un livre de combat[sic] à cet écrivain » que Halimi qualifie ironiquement d’« intrépide » — le rédacteur en chef du Figaro, signale t-il, le trouve « courageux » — viendrait de « prendre un risque : se salir les mains ». Une manière, un peu gauche tout en se voulant « degôche », de laisser entendre que le personnage Zémour et ses discours « de haine » sont à prendre avec des pincettes.

Sur sa lancée, Halimi suit Noiriel en mettant l’accent, pour expliquer le succès populaire de Zémour, sur« les défaillances idéologiques de la gauche », c’est-à-dire en fait de la deuxième droite pour laquelle nos deux cocos — si l‘on ose dire — ont voté durant plusieurs décennies sans désemparer. Il est au demeurant cocasse qu’un tel jugement émane de quelqu’un qui, dans un autre ouvrage publié à l’orée du présent siècle, avait, comme je l’avais rappelé lors d’un colloque en Espagne , décrété que « Puisque la démocratie est de nos jours notre unique horizon d’attente, tirons-en les conclusions » . Conclusions qui, justement s’inscrivaient dans le renoncement général de « lagauche » hexagonale à imaginer un « au-delà » du capitalisme. Pour G. Noiriel et ses pareils, avais-je ajouté en le citant, le temps est révolu des intellectuels « animés par l’espoir que la rupture qu’ils désiraient introduire dans l’ordre de la connaissance allait bouleverser l’ordre du monde ». Et voilà que ceux qui ont pris la relève, tel Halimi et Noiriel, s’étonnent et s’indignent de voir un Zémour, à l’instar d’autres idéologues ou politiciens « populistes », tirer les marrons de la popularité du feu éteint de l’ardeur révolutionnaire.

Autre inspirateur de Halimi dans sa diatribe contre Zémour, l’humoriste laborieux et semi-inculte mais toujours auto-satisfait François Bégaudeau, dont il s’est entiché au point d’avoir lui-même rédigé un note de lecture flatteuse dans un précédent numéro du Diplo sur un bouquin où ce dernier rivalise de bêtise avec celle qu’il prête à la bourgeoisie, à tort d’ailleurs, car les (gros) traits qui lui servent à la définir, le cosmopolitisme culturel auquel Zemour est allergique, par exemple, ne sont autres que ceux des « bobos » soit de la petite bourgeoisie intellectuelle « branchée » dont lui-même et ses lecteurs sont de parfaits spécimen. Mais cette classe brille par son absence dans la « critique sociale » servie à la chalandise des « amis du Diplo », bien d’accord avec ses maîtres à « repenser l’émancipation » pour que l’on ne parle pas de corde dans la maison du pendu.

« Éric Zémour constitue un signe parmi d’autres de cette menace qui grandit ». La conclusion de Halimi est à l’unisson avec la vulgate « démocratique » de l’antifascisme à la noix qui sert aujourd’hui de viatique politique à notre gauche redevenue respectueuse de l’ordre bourgeois, qualifiée par elle de « républicain », qu’elle accuse le gouvernement macronien de violer avec ses « violences policières » répétées. Comme si celles–ci n’étaient pas la rançon obligée de son acceptation de la définition weberienne (et régalienne) de l’État comme institution détentrice du « monopole de l’usage légitime de la force physique sur un territoire donné » ! Une définition refusée en paroles et en actes par les anarchistes du passé liés au mouvement ouvrier pour qui cette légitimité n’est qu’un postulat d’inspiration étatique niant que la violence est consubstantielle à l’État. D’où la mise sur orbite idéologique, par ceux qui, « à gauche », refusent de reconnaître cette réalité, d’un nouveau concept — importé des Etats-Unis, comme d’habitude — en forme d’oxymore : le « libéral-fascisme » avec ses deux variantes : soit sous la forme de ce que cette gogôche perçoit come une « dérive autoritaire » de notre « État démocratique » pour imposer des « réformes » néo-libérales, ou bien avec l’arrivée à la tête de cet État d’un parti d’extrême-droite « populiste » manipulant les rancœurs populaires à des fins semblables, dont un Zémour serait l’un des fourrier intellectuels. Autant dire que si « menace » il y avait, elle ne serait que consécutive à l’absence d’une gauche autre que celle[s] qui se proclame[nt] aujourd’hui comme telle[s]. À moins que les évènements à venir ne l’obligent à se transformer elle-même pour faire face à cette menace autrement que sur un mode parodique qui ne contribue qu’à l’alimenter.

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1°) On retrouvera cette intervention sur le site de Tropiques : La Reproduction des Sociologues en milieu protégé : 1rewww.librairie-tropiques.fr/2….

2°) Gérard Noiriel, Penser pour, penser contre, Denoël, 2003.

3°) Ibid.

4°) À contre-sens, de surcroît : c’est à l’éditorialiste ultra-conservateur Jonah Goldberg que l’on doit ce néologisme dans un livre portant ce titre où il accuse la gauche (« liberal » en anglais) étasunienne de virer au fascisme.

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