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Libertaire, Michel Onfray ? Le dernier nouveau philosophe !

lundi 1er juin 2020, par Jean-Pierre Garnier (Date de rédaction antérieure : 1er juin 2020).

https://www.monde-diplomatique.fr/2…

Le Diplo du mois de mars 2012, page 28

Repris ici : http://libertaires93.over-blog.com/…

Pour qui souhaite connaître la pensée d’Albert Camus et, éventuellement, s’en pénétrer, il suffira de lire son œuvre. A défaut d’être toujours profonde, elle a le mérite de la clarté. A cet égard, l’ouvrage que Michel Onfray vient de lui consacrer n’est d’aucune utilité (1). En revanche, pour qui s’intéresserait à la vision du monde et surtout de lui-même de ce philosophe à succès, la lecture de cette somme est indispensable.

Camus vu par Onfray n’est autre que le miroir où celui-ci se mire et s’admire. « Lecteur avisé, libre, indemne de formatages universitaires », « nietzschéen de gauche », « anarchiste positif », « philosophe hédoniste, païen, pragmatique », « fils de pauvres et fidèle aux siens » : ce portrait avantageux présente toutes les caractéristiques, pour ceux qui ont lu Onfray, d’un autoportrait. Sauf le trait final : « Il avait tout pour déplaire aux Parisiens faiseurs de réputation. » A lire les éloges publiés dans Marianne et Le Nouvel Observateur, et qui atteignent le dithyrambe dans Le Point, pour célébrer la parution de l’opus, non seulement celui-ci plaît aux « Parisiens », c’est-à-dire aux journalistes, mais ceux-ci semblent même en raffoler. Non sans raisons.

Dans ce brouet censé extraire la substantifique moelle de la pensée camusienne, assaisonné d’aperçus sur la vie de l’auteur destinés à prouver la rigoureuse « adéquation entre l’œuvre et l’existence », on retrouve les amalgames qui firent fureur sous le règne mitterrandien, où l’affaissement du sens critique alla de pair avec l’abandon des idéaux progressistes. A commencer par le renvoi dos-à-dos des fascistes et des « marxistes », assimilés aux staliniens — La Peste, par exemple, servant de prétexte pour rappeler que celle-ci « pouvait hier être brune ou rouge ». Se compose ainsi au fil des pages le défilé des poncifs qui firent les beaux jours, trois décennies plus tôt, de Bernard-Henri Lévy et consorts. Camus, assène l’auteur, « ne croit pas à l’Homme nouveau souhaité dans un même temps par Marx et Lénine, Mussolini et Hitler. Il ne croit pas à l’Homme total des marxistes et au Reich aryen des nazis ». Onfray, dernier des « nouveaux philosophes » ? Les années 1970 sont loin, où de jeunes penseurs, après quelques années d’engagement dans un maoïsme mondain, pouvaient passer pour subversifs en recyclant les lieux communs de la pensée conservatrice. C’est donc en faisant d’abord profession d’anarchisme qu’Onfray, à la suite de ses glorieux prédécesseurs, se pose comme le chantre anticonformiste d’un « ordre libertaire » pensé par Camus.

Confirmer ce dernier dans la figure emblématique du « Juste », identifié au juste milieu, implique une relecture singulière de l’histoire. A commencer par l’énumération des méfaits, pesant d’un poids égal dans la balance tenue par Onfray, de la répression colonialiste en Algérie et de ceux commis par les indépendantistes. Le biographe a jugé opportun, pour parfaire ce qui tient lieu de démonstration, d’insérer dans son ouvrage une série de photographies sinistres visant à impressionner le lecteur plutôt qu’à le faire réfléchir. On y retrouve pêle-mêle les atrocités commises « de part et d’autre » : images du goulag et des camps d’extermination, de la guillotine héritée de la « Terreur robespierriste » et de cadavres mutilés par les « terroristes du FLN », de civils russes pendus par des soldats de la Wehrmacht et d’un collaborateur fusillé par des résistants français, d’un enfant irradié à Hiroshima et d’une fillette égorgée par les « rebelles » algériens…

Pour donner un tour philosophique aux diatribes habituelles, qu’il a faites siennes, de la droite contre les « gauchistes », Onfray ajoute des innovations de son cru. Ainsi s’enthousiasme-t-il pour une « gauche dyonisienne » qui « dit “oui” et tournant radicalement le dos à une gauche du ressentiment qui dit “non” », la première animée, comme il se doit, par la « pulsion de vie » et la seconde, bien entendu, par la « pulsion de mort ». Une dichotomie placée sous le signe d’un « gramscisme méditerranéen », le militant et théoricien communiste italien Antonio Gramsci ayant, on ne sait trop pourquoi, miraculeusement échappé à la vindicte du philosophe « libertaire ». En fait de philosophie, on a affaire à une psychanalyse sommaire, dont le manichéisme n’a rien à envier à celui qu’Onfray prête à tous les adversaires du capitalisme.

Parmi ces derniers, Karl Marx constitue une cible de choix. On apprend qu’il était « méprisant » à l’endroit du peuple parisien qui s’était soulevé en mars 1871 contre le gouvernement d’Adolphe Thiers, et « plutôt [sic] du côté des versaillais » par haine des anarchistes proudhoniens et pour des « raisons de stratégies et de tactiques opportunistes ». Ici, l’auteur s’appuie sur une lettre adressée à l’Association internationale des travailleurs où « Marx recommandait au peuple de Paris de ne surtout pas s’insurger et de préparer la révolution (marxiste à venir) ». Un document dont n’importe quel historien sait qu’il s’agit d’un faux grossier (2). Robespierre et Lénine figurent également en bonne place, non seulement pour avoir été des penseurs de la révolution, mais aussi, crime suprême, des acteurs de premier plan. Dans ce livre, toutefois, c’est Jean-Paul Sartre qui remporte haut la main la palme de la malfaisance. Le crime, cette fois-ci, est de lèse-majesté, puisqu’il aurait tenté de « tuer Camus », symboliquement au moins, comme Marx Mikhaïl Bakounine, à coups d’« intrigues », de « coups bas », de « désinformation », de « calomnies », de « médisances », d’« insinuations » et, à travers lui, par anticipation, Onfray lui-même, son héritier présomptif et présomptueux.

Après Sigmund Freud (« sorcier postmoderne » cupide et complice du fascisme) et Jean-Paul Marat (« l’homme du ressentiment »), étrillés dans de précédents ouvrages (3), Onfray poursuit ses règlements de comptes avec ce qui transparaît cette fois derrière la figure honnie de Sartre : outre l’idéal révolutionnaire voué aux gémonies, la philosophie professée à l’Ecole normale supérieure. Comme le sous-titre du livre le laisse entendre, ce n’est pas la réflexion théorique qui aurait fait de Camus un philosophe, mais simplement la vie qu’il a menée. A la différence des lettrés confinés dans la caverne de Platon sise rue d’Ulm, coupée du monde concret, Camus aurait philosophé, tout au long de son existence, au travers d’un « art de vivre » et des récits, des pièces, des essais, des chroniques qu’il en a tirés. Où ? A Tipaza, entre autres, « haut lieu du bonheur camusien », de la « philosophie dionysienne » et du « gai savoir nietzschéen », où Onfray s’est rendu en pèlerinage, sur les pas de Camus, accompagné par le directeur du Point Franz-Olivier Giesbert, émerveillé, et par un photographe.

Parmi les obsessions d’Onfray revient une incarnation majeure du mal : « Le petit marigot parisien, mafieux à souhait », « milieu intellectuel d’après-guerre imprégné de communisme » qui aurait « décidé de rendre impossible la vie à Camus ». A croire que celui-ci n’aurait jamais fait partie du Tout-Paris des lettres ! Ou que ce Prix Nobel de littérature y aurait toujours été mal vu. Il y a pourtant passé une bonne partie de sa vie d’écrivain, comme un auteur reconnu. Et l’on pourrait même dire, à cet égard, qu’il est mort symboliquement comme il a vécu : la Facel-Vega fracassée contre un arbre où l’on retrouva son corps en janvier 1960 était conduite par son ami Michel Gallimard, neveu du célèbre éditeur. Camus n’a jamais été un exilé de l’intérieur, pas plus en tout cas qu’Onfray, qui fraye avec le gratin intello-médiatique de la capitale.

On l’aura compris : pour cet anarchiste couronné qui n’a pas craint d’aller « dialoguer » place Beauvau sur l’existence de Dieu et la différence entre le bien et le mal avec un ministre de la police (4), ni d’adresser à celui-ci, devenu président, une « lettre ouverte » pour appuyer l’idée d’un transfert des cendres de Camus au Panthéon parce que, « en agissant de la sorte », il se trouverait « à l’origine d’une authentique révolution qui nous dispenserait d’en souhaiter une autre », ni enfin de se faire le chantre d’une « gestion libertaire du capitalisme », puisque celui-ci « est aussi vieux que le monde et durera autant que lui » (5), ce terme de « libertaire » perverti n’est plus qu’un colifichet langagier. C’est de l’ordre tout court qu’Onfray est devenu le suppôt. « Pas de grand soir, pas de révolution providentielle », clame-t-il en guise de conclusion, caricaturant la volonté de ceux qui persistent à vouloir en finir avec le capitalisme, cet appel faisant écho à celui d’outre-tombe qu’il croit entendre de Camus : « Oui à la vie. Non à ce qui l’entrave. » Folle audace…

Jean-Pierre Garnier
Sociologue. Auteur de l’essai Une violence éminemment contemporaine, Agone, Marseille, 2010.

(1) Michel Onfray, L’Ordre libertaire. La vie philosophique d’Albert Camus, Flammarion, Paris, 2012.

(2) Cf. Mathieu Léonard, L’Emancipation des travailleurs. Une histoire de la Première Internationale, La Fabrique, Paris, 2011.

(3) Michel Onfray, Le Crépuscule d’une idole, Grasset, Paris, 2010, et La Religion du poignard. Eloge de Charlotte Corday, Galilée, Paris, 2009.

(4) Entretien Michel Onfray – Nicolas Sarkozy, Philosophie Magazine, n° 8, Paris, mars 2007.

(5) Citations tirées du Monde, 25 novembre 2009 ; de l’émission « Mots croisés », France 2, 10 novembre 2008 ; du Monde libertaire, hors-série, Paris, 29 décembre 2009-22 février 2010.

1 Message

  • Le projet politique de la nouvelle publication d’ONFRAY, la revue "Front Populaire" c’est de réunir les souverainistes des deux bords (droite et gauche, mais ça va jusqu’à Zemmour)… Il s’agit donc évidemment de parachever la dédiabolisation du FN, DLF, Patriotes, UPR et de recruter quelques benêts de gauche sociaux-chauvins dans cette gonfle microcéphale. Ce fusil à un coup ne durera que jusqu’aux lendemains des élections présidentielles et législatives de 2022…

    C’est quand même un défi. Seule une lutte des classes acharnée et opiniâtre pourra couper les couilles de cette entreprise de recomposition politique qui consiste à remplacer le clivage DROITE/GAUCHE par un clivage sans contenu économique et social SOUVERAINISTES/MONDIALISTES…

    En l’absence probable de cette lutte des classes non polluée par des fétiches politiques (écologie, RIC, …etc.) il faudra faire preuve d’une immense intelligence politique pour limiter les dégâts.

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