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Décès de Jacques Sauvageot, figure de Mai 68

lundi 30 octobre 2017, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 30 octobre 2017).

Jacques Sauvageot, le discret de Mai

http://www.liberation.fr/france/201…

Par Laurent Joffrin — 29 octobre 2017 à 20:46

A la tête de l’Unef lors des révoltes de 68, cet homme peu ambitieux et cultivé est devenu presque par hasard un des leaders du mouvement. Il est mort samedi 28 octobre 2017 à 74 ans des suites d’un accident de la circulation.

Geismar, Sauvageot, Cohn Bendit

Dans le trio des leaders de Mai 68, il était le jeune premier, candide et incisif. A côté de Daniel Cohn-Bendit, Till l’espiègle aux yeux bleus, orateur né, anar imprévisible, et d’Alain Geismar, plus rond et plus âgé, Jacques Sauvageot était un vice-président de l’Unef au visage d’ange, entre Saint-Just et Dorian Gray.

Il était là par hasard bien plus que par ambition. Depuis la fin de la guerre d’Algérie, qu’elle avait combattue avec énergie, l’Unef vivait une longue décadence. Ses effectifs, plus de 100 000 au début des années 60, étaient tombés à moins de 30 000 malgré l’augmentation du nombre d’étudiants. L’appareil central était en proie à des luttes picrocholines entre fractions d’extrême gauche. En avril 1968, à la faveur d’un compromis fragile, destiné à contrer l’offensive des trotskistes lambertistes, Sauvageot, jeune militant proche du PSU de Rocard, vice-président en attendant la nomination d’un président, s’était retrouvé seul à la tête d’une organisation faible et déchirée. Un mois plus tard, c’était son baptême du feu, incongru, inattendu, invraisemblable.

Paniers à salade

En butte aux menées sarcastiques du Mouvement du 22 mars animé par Cohn-Bendit, le recteur de Nanterre avait décidé la fermeture de la faculté de toutes les contestations. Les militants étudiants s’étaient retrouvés le vendredi 3 mai dans la cour de la Sorbonne pour un meeting de protestation plutôt poussif. Sauvageot avait pris la parole, avec Cohn-Bendit, sans électriser outre mesure une assistance plutôt clairsemée. Jusqu’à ce que le recteur, effrayé par la perspective d’un affrontement avec les militants d’extrême droite dont on annonçait l’arrivée, demande à la police d’intervenir pour disperser les protestataires. Erreur décisive : sur le boulevard Saint-Michel, tandis que les leaders du mouvement prennent sagement place dans des paniers à salade, les passants et les étudiants autour de la Sorbonne s’en prennent aux pandores, qui répliquent à coups de matraque. Contre toute attente, alors que les chefs de file sont tous arrêtés, une protestation musclée naît dans la rue et se répand comme une traînée de poudre dans le Quartier latin. « Mais qui sont ces types ? », disent les leaders emmenés au commissariat. On ne sait très bien, sinon les éléments avancés d’une génération d’adolescents nourris de musique rock et de contestation, sur fond de révolution sexuelle et de révolte étudiante contre la guerre du Vietnam.

Libéré, Sauvageot a le bon réflexe : chef de file de l’organisation étudiante la plus représentative, il lance un mot d’ordre de grève générale, tandis que Geismar, leader du Snesup, principal syndicat universitaire, fait de même à l’adresse du corps enseignant. Le reste est de l’histoire : le monde étudiant entre en rébellion, jusqu’au vendredi 10 mai, où la brutalité des affrontements lors de la « nuit des barricades » contraint les syndicats ouvriers, plutôt méfiants, à lancer la grève des usines et des bureaux. En quelques jours, la France s’arrête. Sauvageot, Cohn-Bendit et Geismar deviennent des célébrités nationales, porte-parole ébahis d’une révolte qu’ils n’imaginaient pas possible. Tous trois tentent d’orienter la révolte, soucieux de réformes plus que de révolution, décidés à limiter la violence en négociant avec les autorités, mais dépassés par l’ampleur d’un mouvement qui se prend à rêver d’un grand soir. Sauvageot est proche de Marc Heurgon, militant chevronné, secrétaire à l’organisation du PSU, petit parti de la gauche non-communiste qui cherche un débouché politique crédible à cette révolution sans chefs ni programme. Heurgon est lié à Rocard, qui est en liaison avec Pierre Mendès France. Sauvageot participe ainsi à l’organisation du meeting de Charléty, où le PSU, l’Unef, la CFDT, cherchent à mettre sur orbite PMF pour succéder à de Gaulle et brûler la politesse à Mitterrand, leader d’une gauche classique et parlementaire dont personne dans le mouvement ne veut entendre parler.

Bousculés pendant un mois, puis soudain rétablis grâce à un compromis avec le PCF, de Gaulle et Pompidou sifflent la fin de la partie le 30 mai, quand le Général parle à la radio et que Pompidou obtient la dissolution de l’Assemblée. Les élections de la peur plébiscitent le régime et le mouvement de Mai reflue dans l’attente d’une autre occasion. Sauvageot milite encore quelques années au sein du PSU, tout en faisant son service militaire puis en cherchant un boulot qu’il a du mal à trouver.

Architecture

Personnage sensible, cultivé, amateur de beaux-arts et d’architecture, il fait mentir cette idée selon laquelle les anciens de Mai se sont retrouvés ensuite au sommet de la société. Professeur humble et compétent, Sauvageot enseigne tout le reste de sa carrière, écrit des livres d’architecture, dirige l’école des Beaux-arts de Rennes et traverse la fin du siècle et le début du suivant sans chercher le strass, refusant la fonction un peu ridicule d’ancien combattant, gardant les mêmes idées libertaires et égalitaires. Leader d’une révolte sans chefs, il a refusé d’en devenir un. A l’esprit de Mai 68, il est ainsi resté l’un des plus fidèles…

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